Le retour de la Syrie dans le giron arabe et la guerre en Ukraine ont mis fin à l’isolement post-Khashoggi du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane sur la scène internationale, estiment des analystes au lendemain d’un événement inédit en Arabie Saoudite.
Pays hôte du sommet de la Ligue arabe vendredi, l’Arabie Saoudite a réuni le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et son homologue syrien, Bachar al-Assad, dans la même salle de conférence à Jeddah, ville sur la mer Rouge, un signe fort montrant les ambitions diplomatiques du royaume.
Cet improbable évènement semble avoir été organisé pour mettre en exergue le poids de Mohammed ben Salmane, dit MBS, qui était récemment encore lui-même dans le collimateur de la communauté internationale en raison de l’assassinat en 2018 par des agents saoudiens du journaliste Jamal Khashoggi, critique du pouvoir. L’Arabie Saoudite est régulièrement accusée par des ONG de commettre de graves violations des droits humains.
Une figure essentielle dans le paysage géopolitique
« Un objectif majeur des dirigeants Saoudiens est de présenter le prince héritier comme une figure essentielle dans le paysage géopolitique en évolution », explique Kristian Ulrichsen, chercheur à l’Institut Baker de l’Université américaine Rice. La guerre en Ukraine a « définitivement mis fin » à l’isolement de MBS après l’affaire Khashoggi, ajoute-t-il.
Ryad peut s’enorgueillir d’avoir organisé vendredi un événement au cours duquel les tensions liées à la présence de M. Assad – allié de Moscou – et de M. Zelensky ont été atténuées, du moins pour la journée.
Réouverture de missions diplomatiques
L’arrivée de M. Assad sur le sol saoudien a été longuement préparée : les ministres des Affaires étrangères des deux pays se sont rencontrés au cours des dernières semaines et ont annoncé publiquement leur intention de rouvrir les missions diplomatiques fermées en 2012, année où Ryad a rompu les liens avec la Syrie en raison de l’escalade de la guerre dans ce pays.
Vendredi, M. Assad a fait l’éloge de MBS qui l’a invité au sommet de la Ligue arabe, auquel il participait pour la première fois depuis plus d’une décennie. Les médias d’État syriens ont rapporté que M. Assad avait même serré la main de l’émir du Qatar et discuté avec ce fervent critique de M. Assad, Doha ayant demandé des comptes pour les « crimes de guerre » commis en Syrie.
Ces gestes ne signifient toutefois pas que le débat sur la Syrie est résolu, surtout si la réintégration du pays au sein de la Ligue arabe n’aborde pas les questions liées aux réfugiés syriens et au trafic de captagon, une drogue de synthèse dont la Syrie est devenue un exportateur mondial.
« Imposer un consensus arabe »
« Le retour d’Assad dans le giron arabe a entraîné des désaccords, notamment avec le Qatar », observe Kristine Diwan, de l’Institut des États arabes du Golfe à Washington. Mais l’Arabie Saoudite cherche à « imposer un consensus arabe », ajoute-t-elle.
L’apparition de M. Zelensky à Jeddah a elle été plus difficile, le président ukrainien accusant certains chefs d’État arabes de fermer les yeux sur les souffrances infligées à son pays par l’invasion russe.
« La présence de M. Zelensky a gâché la joie de M. Assad lors du sommet, car il a rappelé aux participants les crimes de la Russie en Ukraine », souligne Rabha Saif Allam, spécialiste des affaires du Moyen-Orient au Centre d’études stratégiques du Caire.
Mettre en garde la Russie
Mais les Saoudiens eux cherchaient plutôt à atténuer les perceptions selon lesquelles ils sont trop proches de la Russie, ce qui préoccupe particulièrement les États-Unis. « L’invitation de M. Zelensky contrebalance cette impression et met également en garde la Russie : réhabiliter Assad ne vous donne pas les coudées franches dans la région », estime Mme Diwan.
Cela correspond à l’image que se fait Ryad d’une « tête de pont diplomatique et potentiellement économique entre les différents acteurs internationaux », indique pour sa part Oumar Karim, expert en politique saoudienne à l’université de Birmingham au Royaume-Uni.
L’ « invitation de Zelensky montre que Ryad ne veut pas seulement être un acteur régional, mais aussi un acteur international, et qu’il veut se trouver une place diplomatique particulière dans un ordre international multipolaire en pleine évolution », conclut l’expert.
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