La première base militaire chinoise à l’étranger – située au point stratégique pour le commerce international qui passe par le canal de Suez – pourrait être un élément crucial dans les jeux géopolitiques, mais elle aurait moins d’impact du point de vue militaire.
Selon les experts, l’établissement de la base de Djibouti à la Corne de l’Afrique manifeste les intentions stratégiques à long terme du régime chinois. Le Parti communiste chinois (PCC), qui s’est engagé à l’époque à ne pas se mêler des affaires des autres pays, est aujourd’hui en train d’étendre sa puissance militaire bien au-delà de ses propres frontières.
Toutefois, ce virage dans la politique de la Chine est moins important pour l’accroissement de sa capacité militaire que pour son habilité à intervenir directement dans la navigation internationale. Plus tôt cette année, le régime chinois a convaincu le Panama – le pays qui abrite un autre passage crucial pour le commerce maritime – de réduire ses liens avec Taïwan et de soutenir pleinement la revendication de la Chine, qui considère ce pays insulaire comme sa province séparatiste.
Ces événements font suite à une série d’acquisitions portuaires chinoises dans différents pays. Il a alors été possible pour le régime chinois d’assurer les voies critiques d’approvisionnement. Toutefois, jusqu’à présent, aucune de ces installations portuaires n’a été directement destinée à des buts militaires.
L’établissement de la base à Djibouti bouleverse complètement la stratégie militaire chinoise de longue date, souligne Gabe Collins, expert sur la Chine et cofondateur de China Signpost.
« Si on examine la politique étrangère menée par la Chine au long de son histoire, la création des bases étrangères dépassait toujours la ligne rouge que les Chinois ne voulaient jamais franchir et qu’ils ont clairement franchi aujourd’hui », a-t-il précisé. II y a deux ans, Gabe Collins a co-rédigé un rapport sur cette base et ses conséquences éventuelles.
Le changement de la politique chinoise survient au moment où le régime devient de plus en plus belliqueux dans ses revendications d’une grande superficie de la mer de Chine méridionale. Ce régime est devenu également plus actif et menaçant quant à l’approche de ses multiples conflits frontaliers avec l’Inde. Ceux-ci ont atteint une intensité jamais observée depuis des décennies.
La réforme militaire
Les troupes et les ouvriers chinois sont en train de s’installer dans la base militaire de Djibouti dans la perspective de construire. Ils ont voyagé dans des navires de guerre faisant partie des forces armées du régime qui se modernisent rapidement et qui sont en train d’être réformées pour pouvoir accomplir des missions militaires au-delà des frontières de la Chine.
L’Armée chinoise vise, entre autres, à « améliorer ses capacités de combat dans des conflits régionaux de courte durée, de haute intensité et à longues distances de la Chine continentale », peut-on lire dans le rapport 2017 sur le développement des forces armées chinoises, présenté par le secrétaire à la Défense au Congrès américain.
Bien que le régime chinois se prépare surtout aux conflits potentiels dans les mers de Chine méridionale et orientale, la position de Djibouti dans le coin nord-ouest de l’océan Indien a suscité l’inquiétude de l’Inde, le rival stratégique de la Chine, qui se soucie que l’armée chinoise est en train d’acquérir une nouvelle position stratégique qui pourrait menacer les intérêts indiens.
Une importance militaire limitée
Heureusement pour l’Inde, l’importance stratégique militaire de la base de Djibouti est actuellement assez limitée, explique Gabe Collins. Bien qu’elle puisse être utilisée pour attaquer avec des capacités miliaires limitées des ennemis beaucoup plus faibles au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord, elle offre autant d’avantages que d’inconvénients dans un conflit avec un adversaire plus important.
« Je soupçonne que cette base pourrait devenir une éponge explosive très rapidement. C’est une cible de rêve, car elle est située assez loin de la ville », a-t-il confié.
Utiliser la base de Djibouti comme une base opérationnelle pour combattre une autre grande puissance serait comme jeter des pierres depuis une « maison en verre très, très, très mince », estime Collins, ajoutant que cette base ne durerait pas longtemps.
La base est plus utile en tant que point de puissance dans le cadre des conflits régionaux, un dépôt de ravitaillement et de réapprovisionnement, plutôt qu’une base d’opérations militaires. Le fait que les États-Unis, la France et le Japon disposent des bases dans la région renforce cet argument. Jusqu’à présent, la Chine a utilisé ses installations commerciales dans la région pour combattre la piraterie et pour évacuer du Yémen 500 ressortissants chinois en 2015.
Toutefois, ces opérations ont donné à la Chine un prétexte pour déployer dans la région ses forces navales. Avec sa présence à Djibouti qui s’est élargie pour l’usage militaire, le régime chinois a obtenu une base dans un pays relativement stable au milieu d’une région pleine de conflits. C’est un gain important pour une Chine expansionniste, qui cherche à étendre son influence géopolitique en Afrique et dans les États du Golfe riches en pétrole.
« Si vous avez un navire amphibie avec des hélicoptères armés, et que vous combattez les insurgés dans certains pays d’Afrique de l’Est, ou même au Yémen ou à un endroit semblable, alors vous avez tous les atouts », a commenté Collins.
Même si l’Inde peut dire avec une certaine certitude que la base chinoise a une valeur militaire limitée, le fait que la Chine obtienne la possibilité de déployer ses forces navales le long d’une voie commercialle très importante a des implications inquiétantes.
Pax Sinica
Le régime chinois s’efforce d’assurer sa présence aux points cruciaux du commerce du pétrole : le détroit de Malacca, le canal de Suez, le détroit d’Ormuz, le canal de Panama, le détroit de Bab el-Mandeb et les détroits turcs. Ce faisant, la Chine pourrait jouer un rôle majeur en tant que puissance qui assure ou contrôle le commerce mondial. Ce commerce est aujourd’hui assuré par la Pax Americana – un état de stabilité internationale relative supervisé par les États-Unis.
Mais la « Pax Sinica » ou « Paix chinoise » pourrait être bien différente, souligne Gabe Collins. « L’une des choses qu’on doit voir, c’est quels sont les pays qui servent de garants de sécurité, on doit voir quels sont leurs motifs. Est-ce qu’ils ont une mentalité mercantile ou une mentalité axée plutôt sur l’assurance du commerce global », questionne-t-il.
Selon lui, les États-Unis assurent la sécurité d’approvisionnement d’une façon généralement égale, peu importe où est livré le pétrole, que ce soit en Europe ou en Asie de l’Est.
« Il n’y a pas de discrimination dans la manière dont nous assurons la sécurité, indépendamment de la destination de la cargaison, et je pense que c’est quelque chose qui rend la Pax Americana unique », a-t-il poursuivi.
Les intentions de la Chine ne soient pas claires. Pourtant, ses revendications agressives en mer de Chine méridionale, ainsi que l’utilisation des pirates informatiques de l’armée chinoise pour dérober la technologie commerciale moderne au profit des entreprises d’État et des industries prioritaires, témoignent que le régime chinois a une approche plutôt mercantile envers le commerce.
Aujourd’hui, la Chine ne peut que faire flotter son drapeau à Djibouti, avertit Gabe Collins. Ses forces navales se limitent à quelques navires de guerre et aux navires de soutien opérationnel, présents sur cette base d’une manière temporaire.
Mais cela pourrait changer si la Chine utilisait les mêmes tactiques qu’elle a utilisées avec succès dans la mer de Chine méridionale – « des tactiques coercitives, telles que l’utilisation des navires des forces d’application de la loi et des milices maritimes, pour faire valoir ses revendications maritimes et promouvoir ses intérêts de manière bien réfléchie – sans aller aussi loin que provoquer un conflit réel ».
Même si la base de Djibouti peut ne pas avoir beaucoup de poids pour une réelle guerre, elle pourrait bien contribuer aux efforts visant à imposer d’une autre manière les intérêts du régime chinois.
Version anglaise : China’s First Overseas Military Base More Critical to Trade Than War
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