ENTRETIEN – Professeur de géopolitique du Pacifique océanien à l’Université Catholique de Lille, Bastien Vandendyck répond aux questions d’Epoch Times sur la situation en Nouvelle-Calédonie.
Epoch Times – Bastien Vandendyck, depuis une semaine, la Nouvelle-Calédonie est en proie à des émeutes d’une rare violence. On déplore la mort de six personnes, dont deux gendarmes. Est-ce la première fois que l’archipel s’embrase de manière aussi forte ?
Bastien Vandendyck – Ce n’est pas la première fois que l’archipel s’embrase de manière assez exceptionnelle. Il y a eu une période de guerre civile de 1984 à 1988 que l’on appelle pudiquement en Nouvelle-Calédonie « Les événements ». Cette période a particulièrement marqué la population calédonienne. C’était très dur et très violent. On compte un peu moins d’une centaine de morts sur le territoire.
Néanmoins, après ces événements, il y a eu des accords politiques qui ont permis d’obtenir plusieurs décennies de paix. Mais effectivement, cela faisait longtemps que la Nouvelle-Calédonie n’avait pas été secouée par un tel niveau de violence. Et les derniers jours ont été particulièrement intenses dans les violences qui ont pu être commises par des militants indépendantistes.
Des responsables politiques kanaks, mais aussi français ont pointé du doigt la responsabilité d’Emmanuel Macron. Le chef du groupe Union nationale pour l’indépendance (UNI) au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, Jean-Pierre Djaïwé a déclaré que le président de la République a « mis le feu aux poudres » en annonçant la révision constitutionnelle l’an dernier. « Il était irresponsable d’engager le dégel du corps électoral avant les Jeux olympiques », a quant à lui regretté le président du RN, Jordan Bardella. Emmanuel Macron est-il responsable de la situation ?
Je crois qu’Emmanuel Macron a simplement tenu sa parole et appliqué la démocratie. Il a tenu la parole que l’État avait donnée aux Calédoniens puisqu’ils avaient décidé, d’abord 1988, puis en 1998, d’entrer dans un processus d’autodétermination avec des règles clairement établies. Tout le monde y a souscrit. Et ces règles stipulaient que les Calédoniens devaient voter un certain nombre de fois pour savoir s’ils restaient Français ou non. Ce qui a été fait. Les Calédoniens ont choisi de rester Français.
Et la conséquence de ce vote a été notamment d’arrêter les mesures transitoires qui avaient été mises en place lors du processus de décolonisation. Et l’une de ces mesures transitoires était le gel du corps électoral. Cet élément-là était donc connu de tous auparavant. Et le fait d’engager, après plusieurs mois de négociations, le dégel du corps électoral, ce n’est que tenir sa parole. Pour moi, ce sont les émeutiers qui sont responsables de la situation. Il ne faut pas inverser les rôles.
Le contexte des émeutes en Nouvelle-Calédonie est aussi marqué par une grave crise économique. Le secteur du nickel est en mauvaise posture à cause de la baisse des prix sur les marchés mondiaux et le chômage des jeunes est très élevé. Quelle est votre analyse ?
La Nouvelle-Calédonie, comme tous les territoires ultramarins, connaît une situation économique difficile, ce qui induit une situation sociale également compliquée.
Par ailleurs, l’archipel, par rapport à d’autres territoires d’outre-mer ou même du Pacifique, a connu pendant un certain nombre d’années une croissance et un dynamisme économique assez important. La Nouvelle-Calédonie est l’un des territoires les plus développés du Pacifique parce qu’elle pouvait s’appuyer sur une industrie minière, notamment le nickel, qui était moteur dans son économie.
Mais depuis une décennie, elle connaît un fort un ralentissement. Et ce ralentissement a entraîné une dégradation de la situation économique du territoire. Il est donc vrai que la crise politique que l’on connaît aujourd’hui s’ajoute à une crise économique qui n’améliore pas la situation, voire l’aggrave.
Des puissances étrangères ont joué un rôle dans les tensions qui frappent l’archipel depuis une semaine. Des services de l’État ont confirmé des agissements de l’Azerbaïdjan. Vous avez déclaré à nos confrères de France info que Bakou est dans une stratégie de « représailles » vis-à-vis de Paris parce que la France avait condamné les attaques de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh. Ces manœuvres d’ingérences de la part de Bakou peuvent-elles s’inscrire dans la durée et aller au-delà de la stratégie de représailles ?
Il était déjà assez improbable qu’une puissance étrangère comme l’Azerbaïdjan puisse s’ingérer dans un dossier aussi complexe et sensible que le dossier calédonien et force est de constater que cela a été le cas. Cette ingérence, d’une certaine ampleur, a notamment été d’ordre politique puisque des responsables indépendantistes calédoniens ont déjà été reçus à Bakou.
Il y a eu également de la part de l’Azerbaïdjan, comme l’a noté le Viginum, une ingérence numérique. Des comptes X, Facebook ou TitkTok proches du régime de Bakou sont à l’origine de fausses informations qui circulent sur la situation en Nouvelle-Calédonie. À partir du moment où ces éléments ont été constatés, on peut craindre qu’ils perdurent dans le temps.
Beaucoup s’inquiètent de la très forte influence de l’Empire du Milieu dans la zone pacifique et plus précisément en Nouvelle-Calédonie. Quelle est la stratégie d’influence de la Chine dans la région ? Entretient-elle des liens étroits avec certains mouvements hostiles à la France dans l’archipel ?
Le Parti communiste chinois et certains partis indépendantistes entretiennent effectivement des relations de proximité. La Chine a développé ces dix dernières années son influence dans le Pacifique pour poursuivre un certain nombre d’objectifs, que ce soit la réduction des soutiens de Taïwan, le développement de ses liens commerciaux ou contrer les influences australiennes, mais surtout américaines.
Et la Nouvelle-Calédonie, depuis plusieurs décennies, fait l’objet de convoitises d’un certain nombre de puissances étrangères parce qu’elle profite d’une position géographique extrêmement avantageuse et de ressources naturelles qui peuvent être rentables, si elles sont correctement utilisées.
La Chine a donc un regard tout à fait intéressé sur ce territoire français et a tenté de s’ingérer dans ses affaires, mais de manière beaucoup plus discrète que lors des précédents référendums.
Aujourd’hui, cette ingérence est moins perceptible, nettement moins que l’ingérence azerbaïdjanaise. Mais il est évident qu’il faut rester attentif aux manœuvres chinoises dans la région, puisque ces dernières années, l’Empire du Milieu a démontré qu’il était extrêmement efficace pour développer son influence dans le Pacifique océanien.
Des banderoles pro-Kremlin ont également été aperçues en Nouvelle-Calédonie. Quel rôle joue Moscou ?
L’implication de Moscou est beaucoup moins perceptible que celle de l’Azerbaïdjan. Pour autant, l’influence qu’ont pu exercer un certain nombre de comptes sur les réseaux sociaux en faveur des militants indépendantistes, en critiquant notamment l’action de l’État ou en visant des personnalités loyalistes est un modus operandi qu’on peut retrouver dans des zones où la Russie a été extrêmement présente et a obtenu gain de cause. Je pense en particulier à l’Afrique. À ce stade, il faut rester attentif à ce que Moscou ne fasse pas dans le Pacifique avec la France ce qu’elle a fait en Afrique, notamment parce que dans cette zone et surtout en Nouvelle-Calédonie, la France est souveraine.
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