La Belle et la Bête – L’artiste entre corps et âme

décembre 28, 2016 22:27, Last Updated: décembre 29, 2016 5:03
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Depuis 18 ans, Thierry Malandain dirige le « Malandain Ballet Biarritz », centre chorégraphique national qui est aujourd’hui le seul centre chorégraphique contemporain de style classique. La Belle et la Bête, sa dernière création, est passée fin novembre au Théâtre des sablons à Paris. Après le succès de Cendrillon, récompensé du prix du meilleur chorégraphe aux Taglioni European Ballet Awards, Laurent Brunner, directeur de l’Opéra Royal de Versailles, lui commande un deuxième conte.

Thierry Malandain. (Olivier Houeix)

Ses créations, fondées sur un vocabulaire classique, font des profondes valeurs humaines sa priorité. La rencontre avec Thierry Malandain, passionné d’histoire de la danse, est une leçon enrichissante et surprenante sur l’univers de la danse en France.

La Belle et la Bête est une deuxième commande de l’Opéra Royal de Versailles. Quels étaient les défis de cette création ?

Il n’y a pas de partition pour La Belle et la Bête. Comme nous avons fait la première avec un orchestre, il fallait absolument une partition symphonique. J’ai écouté beaucoup de musiques de compositeurs différents et finalement je suis revenu à Tchaïkovski.

Généralement dans les partitions de ballets, il y a des trames narratives mais là il n’y avait rien. Il fallait donc mettre la chorégraphie sur la musique de Tchaïkovski qui n’est pas faite pour cela.

Mais, il y avait un côté dramatique dans sa musique, parfois peut être un peu trop. Tchaïkovski souffrait toujours. Il ressentait la douleur de la bête comme sa propre douleur d’artiste.

Par ailleurs, c’était une deuxième commande d’un conte et je ne voulais pas le traiter de la même façon.

J’ai donc rajouté ce trio – l’artiste, le corps de l’artiste représenté par un autre danseur, et la jeune fille qui incarne son âme. Je me suis mis dans la peau de celui qui essaie de créer La Belle et la Bête.

Ce trio double surtout la bête car le conflit de l’artiste c’est d’essayer d’accéder à la beauté via l’inspiration ou la grâce. Le conflit de la bête c’est aussi d’essayer de recourir à la beauté via l’amour. Ce sont des chemins qui s’entremêlent. Cela m’a paru plus intéressant de le présenter de telle façon que de refaire un deuxième compte.

La scène finale montre ce rêve doré où l’amour et le sublime triomphent. Pourtant, l’artiste qui a accompli un chef-d’œuvre est en souffrance. Pourquoi ?

Oui, on se dit à chaque fois qu’on a fait le mieux que l’on pouvait, mais on n’est jamais content parce qu’on aurait pu faire mieux. Ce n’est pas une situation toujours facile. C’est d’essayer de se dépasser à chaque fois alors qu’on se heurte à nos propres limites.

N’êtes-vous jamais satisfait de vos créations ?

D’un certain côté oui. On fait de notre mieux et parfois on juge que ce n’est pas suffisant. Mais c’est aussi cette insatisfaction qui est le moteur pour continuer.

Qu’est-ce que c’est la danse pour vous ?

C’est la question la plus difficile qui soit. Je danse depuis l’enfance. Pour moi, c’est d’essayer de se dépasser, peut-être de rêver à un idéal. En tout cas, la danse permet de s’extraire de la réalité. Quand on danse, on voyage.

Conte et Claire Lonchampt. La Belle et la Bête (© Olivier Houeix)

Selon vous, la danse ne doit pas être seulement du domaine du plaisir mais aussi du sacré et établir un lien entre le beau et le bien ?

À mon sens, c’est un peu la mission de l’art d’apporter quelque chose de plus aux gens, c’est-à-dire quand ils repartent, qu’ils soient un peu transformés. Pour moi l’art est quelque chose qui élève. J’essaie d’atteindre ces sphères-là. La grâce et l’inspiration sont de grands mots mais il n’ y a que cela qui nourrit. Ce sont des strates inaccessibles qu’on ne peut pas mettre en mots mais c’est ce que j’essaie de toucher.

Ce sont des valeurs classiques qui ne sont pas figées. Elles font la promotion d’un idéal que l’on peut critiquer sans doute. Mais disons que c’est un chemin pour essayer d’accéder à une sorte de bonheur, même s’il est artificiel. Le beau, le bon et le bien sont des valeurs vers lesquelles il faut tendre.

Il y a un contraste de couleurs dans La Belle et La Bête qui représente une dualité. Quelle est-elle ?

Les personnages en gris ou en noir représentent la réalité alors que tout ce qui est doré c’est l’illusion, le rêve et l’idéal.

Les costumes sont somptueux. Cependant, vous avez choisi un décor très minimaliste…

Oui, c’est un peu comme Cendrillon. Nous faisons beaucoup de spectacles, nous n’avons pas non plus beaucoup de moyens. La Belle et La Bête évidemment exigerait beaucoup de décors différents. Alors j’ai trouvé cette idée avec les rideaux qui créent des espaces. C’est aussi un peu comme des pages d’un livre que l’on tourne.

Pourrait-on dire que vous appréciez l’importance de la tradition ?

Oui, je n’ai pas honte de la tradition. Je m’appuie dessus. J’essaie de faire un lien entre le passé et aujourd’hui. Le passé m’apporte beaucoup. Je ne cherche pas à être un révolutionnaire.

Vous travaillez souvent avec un orchestre ?

Oui, souvent.

Préférez-vous travailler avec un orchestre ou une bande sonore ?

Cela dépend des chefs. Quand tout est bien ensemble, c’est un avantage. C’est un luxe et un atout pour le public, pour les danseurs aussi. Mais c’est une grande prise de risque, car avec la bande, ils sont sûrs des tempi, alors qu’avec l’orchestre, le chef doit être très rigoureux.

Êtes-vous devenu chorégraphe par hasard ?

Arnaud Mahouy, Miyuki Kanei et Daniel Vizcayo. La Belle et la Bête (© Olivier Houeix)

Quand j’étais plus jeune, je souhaitais être décorateur. J’étais au ballet de Nancy et un jour j’ai vu qu’il y avait un concours de chorégraphie et par curiosité j’ai décidé d’essayer. J’ai obtenu le premier prix. L’année d’après, j’ai fait un autre concours et j’ai gagné de nouveau. Et la troisième année, j’ai encore remporté le premier prix. Les danseurs avec lesquels j’ai travaillé m’ont proposé alors de monter notre propre compagnie. C’était en 1986.

Vous vouliez être décorateur au départ. Cela a-t-il influencé votre démarche ?

Oui, quand j’écoute une musique, tant que je ne l’ai pas posée dans un cadre particulier, mon esprit s’échappe constamment. Je dois la placer dans un endroit précis. Le décor pour moi, c’est comme une boîte, une fois que je l’ai, je peux imaginer la danse.

Je travaille avec le même décorateur, Jorge Gallardo, depuis bientôt 30 ans. Il est Chilien et habite à Santiago. Quand je réfléchis à un ballet, je suis obligé d’imaginer tout de suite le décor pour savoir où cela va se passer. Quand il arrive, je sais déjà plus ou moins ce que sera le décor. Je décide de l’idée principale. Puis, il l’aménage.

Vous avez fait des recherches sur la danse. Quelle est l’origine de votre intérêt ?

Je me suis intéressé à l’histoire de la danse car je viens de la danse classique. Quand j’ai commencé la chorégraphie en France, c’était l’époque de ce que l’on appelait la « Nouvelle danse française » : la danse contemporaine. On m’a vite classé comme marginal. Puis, quand on a quitté le ballet de Nancy pour créer notre compagnie, mon travail n’a pas été reçu comme je l’aurais espéré, j’étais toujours mis à part. À travers l’histoire, j’ai commencé à chercher d’où je venais. Comme danseur, on ne vous demande que de danser mais en tant que chorégraphe, il fallait que je défende mon travail. J’ai dû retourner aux sources de la danse pour comprendre d’où je venais.

Vous parlez de l’histoire officielle et de l’histoire secondaire de la danse.

Oui, pour moi, il y a l’histoire de la danse officielle et la réalité.

En effet, les ballets russes sont arrivés en 1909 au Châtelet avec toute une émigration d’intellectuels russes dont beaucoup étaient passionnés par la danse et écrivaient sur la danse. Quand ces critiques se sont installés à Paris, ils se sont mis à écrire sur les ballets russes puis sur l’histoire de la danse en France. Pour valoriser les Russes, ils avaient intérêt à faire l’impasse sur l’histoire de la danse française. Donc si vous regardez aujourd’hui un livre sur l’histoire de la danse en France entre 1870 et 1909, il ne s’est rien passé pour eux. Et, comme les historiens ont tendance à recopier éternellement ce que les autres ont recopié et qu’ils ne font aucune recherche, on retrouve le même discours. Alors que notre histoire entre 1870 et 1909 a été extrêmement riche. Curieusement, il était plus facile de créer sous la monarchie que sous le régime bourgeois. Donc beaucoup d’artistes se sont débrouillés pour trouver d’autres lieux. La création est très riche dans les cabarets, aux Folies Bergères, à l’Olympia. Dans tous ces théâtres, la création est phénoménale. Mais personne n’en parle. On pourrait dire qu’à partir de 1830, la danse en France a été dominée par deux vagues, les Italiens et les Russes.

Pourtant, c’est Louis XIV qui a mis en avant la danse ?

Oui en effet, c’est sous Louis XIV et sous Napoléon Ier que la danse a connu son apogée. Sous le Premier empire, la danse française s’est répandue dans toute l’Europe. C’est déjà vrai sous Louis XIV. Mais sous Napoléon Ier, avec toutes les conquêtes, il envoie les danseurs français sur plusieurs territoires. Et là, hommes et femmes sont à égalité.

Napoléon Ier était très présent, non pas par goût de la danse mais par celui du rayonnement de la culture française. Il voulait de l’excellence et donc il a donné les moyens.

La Belle et la Bête avec l’Orchestre Symphonique d’Euskadi. (© Olivier Houeix)

Qu’est devenue cette excellence ?

Le problème de la danse c’est qu’on la traite comme un art mais c’est aussi un enjeu politique. Quand la gauche a voulu – à juste titre – mettre en avant la danse contemporaine, car elle était un peu mise de côté, il ne fallait pas la mettre en avant au détriment de la danse classique. Cela a été l’erreur fondamentale. Mais aussi une erreur d’ignorance. Dans l’art, il faut des connaisseurs ce qui n’empêche pas la modernité.

Par ailleurs, dans les institutions de la danse, les conservatoires, on a préféré enseigner pour le plus grand nombre en bannissant l’excellence. Mais c’est un peu ridicule car quand on enseigne la musique dans les conservatoires, l’excellence existe toujours, alors qu’en danse, elle n’existe plus. On critique la danse classique de ne pas évoluer mais cela n’embête personne de voir depuis au moins un siècle tous les Verdi, tous les Rossini. Par contre, cela les embête de voir Casse-Noisette ou Le Lac des Cygnes. À Montpellier, le public n’a pas vu un ballet classique depuis 25 ans, alors que quand ils voient Giselle, ils sont en folie dans la salle.

En gardant un style très classique, vous êtes en marge de la danse contemporaine et vos recherches sont consacrées à ce qui est en dehors de l’histoire officielle de la danse, mais vous dirigez le centre chorégraphique national de Biarritz depuis maintenant 18 ans. N’est-ce pas en soi une forme de reconnaissance officielle ?

Je fais juste mon métier. C’est vrai que mon genre est marginal en France, mais il ne l’est pas forcément ailleurs. Mon souci, aujourd’hui, c’est plutôt la relève. Que ce genre de danse puisse continuer. L’art aujourd’hui est un art multiple, et il n’ y a pas de raison qu’une esthétique s’efface vis-à-vis d’autres.

Vous avez établi l’année dernière le projet de coopération du Sud Ouest, avec le ballet du Capitole de Toulouse et le ballet de l’Opéra national de Bordeaux. Quel est votre but ?

C’est justement dans le souci de mettre en avant une relève dans le genre néoclassique, des chorégraphes qui font appel à la technique classique. Nous avons organisé ce concours l’an dernier. Malheureusement, le ballet du Capitole n’a pas pu se joindre à nous. Mais nous avons poursuivi le projet avec Bordeaux. Les deux lauréats, dont la première danseuse est une jeune Russe qui vient du ballet de Berlin Xenia Wiest, feront un ballet à Bordeaux. Quant à nous, c’est un Français, Martin Harriague de la compagnie de danse contemporaine Kibbutz (Kibbutz Contemporary Dance Company) en Israël qui fera une chorégraphie ici au mois de juin.

Qu’en est-il de Noé, votre prochain spectacle ?

Noé sera présenté début mai 2017 au théâtre de Chaillot mais on fait une première à Saint-Sébastien (Espagne) et une première à Biarritz début janvier. Nous avons commencé au mois d’avril l’année dernière, mais nous travaillons par étape. Nous avons passé trois semaines en Chine, nous sommes souvent en tournée…

Il n’ y aura pas d’animaux. Juste vingt-deux danseurs accompagnés de la musique de Rossini, c’est une messe. Je le traite comme une sorte de baptême, c’est-à-dire que la scène du déluge sera présentée comme un baptême.

Noé est une figure intéressante puisque c’est une sorte de second Adam. Il représente une deuxième chance donnée au monde. Je trouve que c’est un sujet d’actualité.

Pour en savoir plus : malandainallet.com

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