Bilan sécuritaire JO : « La délinquance va repartir à la hausse », estime Jean-Christophe Couvy

Par Julian Herrero
26 août 2024 08:22 Mis à jour: 26 août 2024 08:42

ENTRETIEN – Les Jeux olympiques ont pris fin le 11 août. Du côté des autorités, on salue un « succès sécuritaire ». Dans un entretien au Figaro, le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin s’est également félicité d’une forte baisse de la délinquance à Paris. Pour le secrétaire national du syndicat UN1TÉ, Jean-Christophe Couvy, si les forces de l’ordre ont démontré leur capacité à garantir la sécurité des sites olympiques pendant la compétition sportive, il estime que la délinquance va maintenant « repartir à la hausse ».

Epoch Times – Quel bilan tirez-vous de ces semaines olympiques d’un point de vue sécuritaire ?

Jean-Christophe Couvy – D’un point de vue sécuritaire, nous avons démontré que la police française était vraiment au niveau des attentes et capable de réaliser des choses qui n’ont jamais été faites auparavant dans les autres pays contrairement à ce qu’affirmaient certains pessimistes, notamment au sujet de la cérémonie d’ouverture. Je pense, par ailleurs, que la haute technicité de nos forces de l’ordre n’a pas été assez mise en valeur.

L’autre point positif de ce succès sécuritaire est le renforcement du lien entre la police et la population. Certains nous disaient fâchés avec les Français. Je pense que nous pouvons parler de réconciliation, mais surtout de rapprochement et d’affirmation du lien avec la population.

Les sondages montrent qu’environ 60-70 % des Français soutiennent les forces de l’ordre. Si nous avons pu prendre quelques points dans les 30 % restants qui n’aiment pas la police, alors nous avons rempli notre mission.

Nous avons également pu constater à l’occasion des Jeux olympiques que si beaucoup d’effectifs sont déployés et occupent le terrain, mathématiquement, la délinquance recule. D’ailleurs, les statistiques l’ont confirmé. Partout où il y avait des policiers, elle reculait.

Mais la nature ayant horreur de vide, la délinquance se déporte là où il y a moins de policiers, notamment autour des points de deal. Il y a une délinquance ancrée autour du trafic de drogue qui engendre des règlements de comptes, des tentatives d’homicide, des homicides et des agressions.

Selon de récentes enquêtes, les quartiers de reconquête républicaine sont les endroits qui concentrent le plus de vols et de violences par rapport au reste du territoire. Il y a une concentration de la délinquance dans certains quartiers.

Cette diminution importante de la délinquance qui a été constatée lors des Jeux olympiques est-elle seulement temporaire ? Va-t-elle durer ?

Malheureusement, je pense qu’elle va repartir à la hausse. Pendant les Jeux olympiques, il y a eu comme une synergie entre la police et la justice, c’est-à-dire qu’un nombre important d’effectifs a été mobilisé, mais aussi plus de magistrats dédiés à une mission bien particulière.

Par conséquent, quand vous interpellez, pendant les JO, un individu qui a commis un vol, même sans violence, les juges d’instruction et les procureurs sont automatiquement saisis et vont être en mesure de traiter l’affaire rapidement et de condamner.

Nous l’avions vu l’année dernière au moment des émeutes qui ont suivi l’affaire Nahel. Beaucoup disaient que la justice devait être beaucoup plus rapide et plus ferme.

Et regardez ce qu’il s’est passé plus récemment au Royaume-Uni. Pour casser l’élan des émeutes, les policiers ont procédé à des interpellations rapides et les juges ont prononcé des condamnations très lourdes dans un délai réduit. S’il y a une bonne coopération entre la justice et les forces de l’ordre, on peut réduire de manière drastique la délinquance.

On sait ce qu’il faut faire, mais la volonté politique n’est pas au rendez-vous. Depuis très longtemps, nous demandons plus d’effectifs de police pour occuper le terrain. Par exemple à Grenoble, il y a eu en un mois sept règlements de compte avec des homicides et il manque dans cette ville 115 policiers. Comment voulez-vous occuper le terrain quand vous avez 115 policiers de moins ?

S’ajoute à la problématique des effectifs d’agents de police, le manque de moyens de la justice. La France est d’ailleurs en dessous de la moyenne européenne des crédits déployés par an et par habitant pour la justice. L’hexagone dépense 72,53 euros par an et par habitant, alors que la moyenne européenne est de 85,80 euros. L’Italie et l’Espagne dépensent respectivement 82 et 88 euros alors qu’elles ont un PIB inférieur au nôtre.

Il est également intéressant de voir qu’en France, il y a trois procureurs de la République pour 100.000 habitants et que la moyenne européenne est de 12 pour 100.000 habitants. Même chose concernant les juges. La moyenne française est de 11,2 juges pour 100.000 habitants et en Europe, on atteint les 17,6. Nous sommes en deçà de toutes les moyennes européennes. Ces résultats sont le fruit de décisions politiques prises et n’accordant que peu d’importance à la police et à la justice.

Depuis des années, ceux qui nous dirigent nous parlent d’une hausse de 8 % par an jusqu’en 2025 des crédits de la justice, mais on part de tellement loin pour rattraper ce retard qu’on est encore aujourd’hui englué dans la lutte contre la délinquance sans parvenir à s’en débarrasser.

Si nous voulons casser cet élan de délinquance, il nous faut impérativement condamner plus tôt et plus vite.

Les Jeux paralympiques vont débuter la semaine prochaine. 25.000 policiers et gendarmes vont être mobilisés ainsi que la BRI, le RAID, le GIGN et 10.000 agents de sécurité privée. Peut-on parler, là aussi, de « dispositif hors normes » ?

C’est effectivement un dispositif hors normes même s’il n’y a pas autant de forces de l’ordre mobilisées que pendant les JO en raison du nombre moins important de sites à protéger. On passe de 35.000 à 25.000 policiers et gendarmes, ce qui va nous permettre de récupérer 10.000 agents pour le reste du territoire.

Vous avez en temps normal, 20.000 policiers qui sont présents sur la capitale. Et là, 25.000. Des renforts arrivent de province. Nous sommes à la cinquième vague de renforts et nous attendons la sixième. Ce sont des moyens que nous sommes capables de mobiliser ponctuellement, encore une fois, pour occuper le terrain.

Ces dispositifs doivent nous donner des idées pour l’avenir. Je note que le ministre de l’Intérieur a dit qu’il manquait 40.000 policiers. Si l’État embauche d’ici les prochaines années, entre 20 et 40.000 policiers supplémentaires, nous serons en mesure d’envoyer des effectifs dans les villes qui en ont besoin et de mettre sous cloche certains quartiers et de traiter le mal.

Il y a aujourd’hui un triptyque à respecter : le premier est celui des effectifs sur la voie publique. Ensuite, il faut augmenter le nombre d’officiers de police judiciaire dans la police nationale pour le traitement des procédures. Nous sommes censés en avoir 22.500 et actuellement, il y en a seulement 17.500 contre 37.000 pour la gendarmerie nationale.

La situation est paradoxale puisque la police nationale en a moins que la gendarmerie alors qu’elle en a le plus besoin. Je rappelle que la police traite 80 % de la délinquance sur 20 % du territoire. C’est l’inverse pour les gendarmes. Cela peut avoir des conséquences sur la qualité des procédures effectuées par les policiers. Mes collègues se retrouvent à devoir traiter entre 200 et 300 procédures et bien faire une procédure est difficile et prend du temps.

Mais si les moyens humains étaient présents, davantage de procédures tiendraient la route. Il y aurait moins de failles judiciaires que les avocats pourraient exploiter pour faire tomber la procédure. Et derrière, le procureur et le juge pourraient prononcer des peines assez lourdes.

C’est précisément le troisième point du triptyque. Il faut une réponse pénale ferme et dissuasive. Mais le manque de place dans les prisons empêche les juges de prononcer des peines exemplaires.

Le 13 août à Savigny-sur-Orge, une femme de 31 ans a été sauvagement attaquée par un individu à qui elle a refusé une relation sexuelle tarifée. Il lui a asséné deux coups de cutter. Les femmes sont les principales victimes de ce genre d’agressions dans l’espace public. Avez-vous constaté une hausse de ces attaques ces dernières années ?

Oui, les femmes sont de plus en plus importunées. Nous avons constaté une hausse des infractions pour outrage sexiste et sexuel en 2023. D’ailleurs, beaucoup de femmes à Paris nous ont remerciés pendant les Jeux olympiques pour notre présence et sont les premières à nous exhorter à rester.

Pour lutter contre ce fléau, il faudrait essayer de trouver le profil type de l’agresseur, mais c’est très difficile parce que les statistiques ne sont pas assez précises.

Cela étant, on sait qu’on peut lutter efficacement contre ces agressions en envoyant des effectifs à certains endroits à des horaires bien précis. On sait qu’il y a des endroits et des heures qui sont plus criminogènes que d’autres, en particulier les gares et les arrêts de transports en commun le soir. Les transports en commun attirent par définition du monde et le monde attire la délinquance y compris dans les villes moyennes. Il faut donc vraiment insister là-dessus. À Nantes par exemple, une police des transports a été créée et effectivement, la délinquance a reculé. Il n’y a pas de secret, quand la police occupe le terrain, les délinquants partent.

Il y a également la question de la vidéoprotection qui se pose. C’est un sujet clivant parce que certains considèrent que les caméras de surveillance portent atteinte à la liberté, mais elles nous aident en détectant en amont certains individus qui n’ont rien à faire dans un périmètre et ainsi, envoyer une patrouille.Ces caméras sont aussi très utiles pour amasser un certain nombre de preuves et donc, mener correctement une enquête.

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