En septembre 2015, Le CESE (Conseil économique, social et environnemental) rendait son Avis à propos du biomimétisme au travers d’un travail coordonné par Patricia Ricard. Cet avis préconisait quatre ensembles de solutions pour lui permettre de se développer dans notre pays : lui donner de la visibilité, lever les obstacles à ses applications, l’ancrer dans le paysage éducatif et progresser grâce à lui vers la durabilité.
Trois ans après, on doit constater que cet avis n’a pas, malgré la qualité du travail réalisé, déclenché l’intérêt voire les passions des politiques, de l’État, des entreprises, des médias ou du monde éducatif comme espéré par la commission. Et pourtant, ce concept nous offre l’opportunité de changer véritablement notre modèle économique fondé sur « l’aspiration de la nature » en un modèle symbiotique qui s’en inspire. C’est ce que cet article tend à démontrer.
Le biomimétisme ou la bio-inspiration
Notre développement et nos principes économiques se fondent sur un processus d’aspiration parasitaire, qui épuise sans relâche notre hôte, la nature, alors qu’il nous faudrait un système harmonieux, dans lequel l’hôte et le symbiote s’enrichissent mutuellement, se développent conjointement. Il est évident, quoi qu’en pensent certaines de nos élites, que notre croissance ne peut que s’effondrer à terme si nous continuons sur cette voie mortifère.
C’est pourquoi, avec l’adoption d’une approche qui s’inspire du vivant, considérant que l’évolution de ce dernier repose sur une expérience de plusieurs milliards d’années, nous serions en mesure de faire naître un cercle économico-social vertueux, durable voire infini :
« La nature, c’est 3,8 milliards d’années de recherche et développement et d’optimisation continue… une source d’inspiration inépuisable et renouvelable. Une source de solutions à nos enjeux contemporains, de développement pérenne, et de survie économique et écologique. » (Ricard, 2015, p. 36)
Janine M. Benyus (1997), auteure de référence dans le domaine, nous invite à changer de modèle. D’un modèle industriel fondé sur ce que nous pouvons extraire de la nature, elle nous recommande d’apprendre d’elle.
Selon les experts, le biomimétisme ou la bio-inspiration est une « démarche qui invite l’homme à puiser aux multiples sources d’inspiration que lui présente la nature, qu’il s’agisse des formes, des matériaux ou des écosystèmes » (Ricard, 2015, p.6) afin de concevoir un développement en adéquation avec son environnement.
Cette définition fait la part belle à l’innovation, qu’elle soit de produit/service, de procédé, d’organisation, de commercialisation ou encore de matière première. Des matériaux bio-inspirés peuvent devenir de nouvelles matières premières donnant naissance à de nouveaux produits. Des formes imitant des représentations de la nature peuvent aussi produire de nouveaux objets et les écosystèmes peuvent servir de modèles à de nouvelles formes d’organisation ou de commercialisation.
Ainsi, si nous sommes en accord avec Schumpeter concernant l’impact des innovations sur la destruction et ensuite la création des cycles économiques, nous ne pouvons qu’invoquer le biomimétisme avec l’espoir d’une nouvelle croissance économique : une croissance bio-inspirée.
Un modèle économique bio-inspiré et durable
Une nouvelle croissance économique, oui, mais pas n’importe laquelle : une croissance viable économiquement, vivable écologiquement, équitable socialement. Depuis la contre-révolution libérale, avènement du néo-libéralisme, il est promu l’aspiration des richesses par le haut de la pyramide économique. Le principe défendu est le suivant : il suffit d’abreuver abondamment les plus riches. Lorsque leur coupe est pleine, la richesse, par effet de ruissellement, descend dans les coupes du dessous et ainsi de suite. Mais, que se passe-t-il si les plus riches remplacent leur coupe par un bol d’une contenance plus grande ? Il s’agit de néo-libéralisme et non de « bio-libéralisme » !
Un modèle économique bio-inspiré ne peut s’envisager en laissant au bord du chemin l’immense majorité des individus. Il ne peut s’agir que d’un modèle inclusif. Dans la nature, lors d’une crise écologique, la plante flétrie, l’animal qui s’en nourrit dépérit et, en fin de chaîne, le lion s’éteint ; mais lorsque les conditions naturelles sont favorables, la plante fleurit, l’animal grossit et le lion étincelle de sa magnificence. À sa mort, ses restes viennent alimenter la plante et ainsi de suite.
Ainsi, un modèle bio-inspiré doit s’assurer de l’enrichissement de la base de la pyramide pour que le haut prospère. En fait pour être parfaitement juste, dans un modèle économique bio-inspiré ou bio-libéral, il n’y a plus de haut ni de bas, il n’y a plus de pyramide mais une sphère sociale.
De la même manière, le modèle actuel s’envisage au travers du prisme de l’exploitation infinie des ressources. Le problème c’est que nous sommes sur une planète effectivement riche de ressources (naturelle, minière…), mais en aucune sorte infinies. Enfin, si ! Ces richesses sont sans limites car renouvelables, mais pas à la vitesse à laquelle nous les consommons. De façon similaire, la capacité à polluer du modèle actuel dépasse très largement les capacités de la nature à se « détoxiquer ». Ainsi, notre modèle s’est construit sur une conception linéaire des richesses, du berceau au tombeau.
À l’inverse, un modèle bio-inspiré conçoit la richesse de manière cyclique, du berceau au berceau. Telle une forêt, chaque organisme produit des biens et services, mais aussi des déchets, utiles pour les autres organismes de cet écosystème. Lorsque cette conception trouve une application économique, on appelle cela généralement la symbiose industrielle.
L’expérience de Kalundborg en est le parfait cas d’école. Pour rappel, dans cette ville danoise a été mis en place une démarche territoriale de circulation des produits et des déchets entre chaque entreprise. Ainsi, les vapeurs chaudes de la centrale électrique sont utilisées par un maraîcher tandis que ses déchets sont utilisés pour les fours d’une cimenterie, et ainsi de suite.
Une autre façon d’aborder ce principe consiste à concevoir et produire de façon circulaire. Cela passe par l’analyse du cycle de vie et l’écoconception. Fuller (1999) voit dans ce système une stratégie « P2R » pour Prévention, Recyclage et Réutilisation. Il s’agit, dans ce cas, et avant toute étape du cycle de vie d’un produit, de prévenir les déchets possibles et donc limiter, autant que faire se peut, l’intrant de matière et d’énergie à chacune des étapes. Les déchets ultimes qui apparaissent doivent pouvoir être soit recyclés, soit réutilisés.
Il peut s’agir aussi de s’inspirer de la nature afin d’innover sur les formes (design) ou pour inventer de nouveaux matériaux. Dans le premier cas, l’observation de la nature permet de concevoir des designs de produits en parfaite cohérence avec l’environnement et souvent plus performants et plus économes en matière et en énergie que les formes imaginées par notre seul esprit. Dans le second cas, il est possible de retrouver dans la nature des matériaux, créés il y a des milliers, millions, voire milliards d’années par des êtres vivants et améliorés jusqu’à aujourd’hui par ces derniers.
La dernière solution biomimétique relève de l’usage. Pourquoi devenir propriétaire d’un bien alors que ce qui nous intéresse c’est son usage ? Cette idée a donné naissance à l’économie des fonctionnalités et en pratique à quelques exemples d’entreprises dites « de l’économie collaborative » telles que BlaBlaCar. En effet, pourquoi acheter un bien pour ne l’utiliser que quelques minutes par jour, alors qu’il suffirait de l’emprunter ces quelques minutes pour être satisfait ?
Et si nous allions plus loin…
Idriss Aberkane (2015), lors d’une allocution devant des membres du CESE, voit en l’économie de la connaissance un moyen de lire la nature pour en extraire le savoir nécessaire à une croissance infinie. Re-concevoir nos systèmes industriels, réinventer nos processus de production, créer de nouveaux matériaux, repenser nos produits en copiant la nature, organiser l’usage aux dépens de la propriété, demande une lecture pointue, intelligente de notre environnement naturel (y compris de nos systèmes sociaux).
L’extraordinaire capacité de connaissances que sont capables de produire nos sociétés, aidées par les systèmes modernes d’information, doivent être mise à contribution pour inventer cette économie nouvelle bio-inspirée. Mais plus encore, aucun érudit quel qu’il soit, ne serait être en mesure de penser voire d’imaginer une économie aussi parfaite que celle inventée par la nature.
Cette invention fût longue, agrémentée de soubresauts, de crises majeures (5 grands effondrements), mais elle a, à chaque fois, créée davantage de valeurs et de richesses à travers toujours plus de diversité. Une économie bio-inspirée doit non plus penser uniformité, mais diversité.
L’économie actuelle c’est la même maison, la même voiture, la même tomate, la même vache, la même éducation… pour tous. Quelle pauvreté ! C’est au contraire en produisant moins d’une chose, mais plus de choses différentes, telle que la nature l’a faite au cours de son évolution, que nous parviendrons à la plus grande des richesses.
C’est à travers l’enseignement et l’éducation qu’il sera possible de faire évoluer notre modèle vers cet objectif. Nos écoles, telles que les écoles de management ou les UFR d’économie et de Gestion doivent introduire des cours, des recherches sur l’écologie, la biologie, les sciences du vivant. Les économistes et chercheurs en science du management doivent travailler en symbiose avec des biologistes et écologues. C’est à travers ce travail transversal qu’il sera possible d’inventer le monde de demain, un monde sans aucun doute plus complexe, mais en harmonie avec notre habitat : la Terre. N’oublions pas que le mot économie désigne la gestion (nomie) de l’habitat (éco).
Ainsi, le passage d’une économie bio-aspirée standardisée, linéaire, destructrice, appauvrissante, à une économie bio-inspirée, circulaire, diversifiée, enrichissante et créatrice d’innovations, devrait nous permettre d’accroître le bien-être recherché par l’Homme depuis son apparition. Il s’agira d’une économie durable, équitable, viable et vivable. Une économie non pas décroissante, mais qui autorisera, véritablement, une croissance infinie sans crainte d’un tarissement inéluctable des ressources car fondée sur la connaissance, elle-même infinie.
Changer d’un modèle capitaliste d’aspiration à un modèle capitaliste bio-inspiré ne relève pas d’un vœu pieux, mais d’une impérieuse nécessité car sans cela les prophéties de Schumpeter ou encore de Marx – qui voyaient l’effondrement du capitalisme – deviendront une réalité.
Piré-Lechalard Pierre, Enseignant-chercheur en Marketing, ESC Clermont
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.