Elles ont tout abandonné et œuvrent dans l’ombre à renverser la junte. Trois Birmanes, sur les listes noires des militaires, racontent à l’AFP leur vie quotidienne et leur lutte depuis le coup d’État, entre colère et espérance.
L’identité de ces femmes, qui témoignent pour marquer les 100 jours – mardi – du putsch, a été changée pour des raisons de sécurité.
« Ils ont assassiné mon futur ». Ma Hninsi, 55 ans, a beaucoup perdu depuis le passage en force des généraux: sa revue littéraire, son train de vie et son cercle d’amis.
Détenue politique pendant six ans sous la précédente dictature militaire dans la tristement célèbre prison d’Insein de Rangoun, son monde s’est de nouveau « effondré » au matin du 1er février.
Ils n’avaient plus rien à perdre
« Une immense confusion régnait car les communications étaient coupées. Les rues étaient vides, seuls des partisans de l’armée paradaient ».
Rapidement, la résistance s’organise. L’écrivaine manifeste tous les jours dans la capitale économique.
« Il y avait beaucoup de monde, des femmes, des enfants. Les gens étaient en colère, mais l’ambiance était pacifiste. On chantait, on dansait ». Et puis, « un jour, les militaires ont commencé à tirer. On a compris qu’ils n’avaient plus rien à perdre ».
Le 27 mars, « journée des forces armées », ils mettent en scène leur toute-puissance et tuent une centaine de personnes à travers le pays. Près du domicile de Ma Hninsi, des étudiants sont encerclés. « J’ai profité d’une accalmie pour en cacher cinq dans ma voiture et les évacuer. A quelques minutes près, on tombait sur une patrouille ».
Ecrit et médite
Depuis, elle se cache, écrit et médite « pour évacuer le stress ».
Concert de casseroles, peinture rouge sang déversée en hommage aux victimes, veillées aux bougies, des actions éclairs sont organisées entre voisins.
Elle collecte aussi de l’argent pour soutenir les grévistes qui paralysent des secteurs entiers de l’économie.
« La solidarité est énorme (…). Nous allons gagner, ce n’est pas un rêve, c’est une certitude ».
Htoi Zin a toujours vécu dans l’Etat Kachin, dans le nord du pays, près de la frontière chinoise.
La résistance politique s’organise
Ces trois derniers mois, de nombreux opposants à la junte, qui ont fui les violences des villes, ont trouvé refuge dans ce territoire contrôlé en partie par une faction rebelle, l’Armée pour l’indépendance kachin (KIA).
Depuis cette région isolée, la résistance politique s’organise.
Htoi Zin aide les nouveaux arrivants à s’installer. « Ils ont voyagé pendant plusieurs jours pour éviter les contrôles de sécurité. Beaucoup sont déprimés, ils ont tout perdu, ont été parfois témoins d’atrocités ».
Elle leur fournit un toit, de la nourriture et des cartes Sim chinoises pour contourner les coupures internet, aidée par des dons en ligne de Birmanie mais aussi des Etats-Unis, du Japon ou de Singapour. « Quelques dizaines de dollars, mais cela peut monter jusqu’à 1.000. Je les échange contre du cash chez des commerçants ».
Trouver des vêtements, des médicaments
L’arrivée de cet afflux de réfugiés rend difficile la vie quotidienne. « Il faut trouver des vêtements, des médicaments pour tout le monde ».
Les prix ont flambé depuis le putsch et l’intensification des affrontements entre l’armée et la KIA. « 20 kilos de riz coûtent 30 dollars contre 19 avant (…). On ne va bientôt plus pouvoir y arriver ».
« Je suis trop âgée pour prendre les armes, mais je soutiens à 100% les insurgés ».
Le 1er mars, recherchée par les militaires, Nan Poe, une activiste de 53 ans, quitte sa maison de Rangoun, « par la porte de derrière, sans avoir le temps de mettre des chaussures » et gagne dans l’est du pays un territoire rebelle Karen qui accueille aussi de nombreux opposants à la junte.
Un mois plus tard, la faction Union nationale karen (KNU) s’empare d’une base militaire et l’armée riposte par des raids aériens.
« Résister aux côtés des jeunes Karen »
Pendant une semaine, Nan Poe reste cachée dans la jungle, aidée par des villageois qui l’aident à se nourrir. Elle franchit la frontière thaïlandaise voisine, mais au bout de trois jours est renvoyée par les autorités.
Elle préfère désormais rester en Birmanie, « résister aux côtés des jeunes Karen ».
A flancs de colline, elle creuse des trous qu’elle recouvre de sacs de sable et de bois, des abris de fortune pour se protéger des frappes aériennes.
« A l’aube, dès qu’on entend les avions, on court y mettre les enfants. Je leur dis d’être courageux que la victoire sera de notre côté ».
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