La réalisatrice, actrice et humoriste Blanche Gardin a publié jeudi 20 avril une lettre ouverte destinée au fondateur d’Amazon, Jeff Bezos ; celle-ci a été si largement relayée et appréciée sur les réseaux sociaux qu’il devient indispensable – ou au moins amusant — de se demander si les pouces levés et les icônes en forme de cœur, dont ce « post » a été agrémenté, suffisent à l’apprécier pleinement.
Avec près de 200.000 « likes », la publication de l’humoriste lui a déjà valu des articles dans Le Monde, Le Parisien et plusieurs autres grands quotidiens : « Blanche Gardin se paie Jeff Bezos », « Blanche Gardin refuse d’être payée ‘200.000 euros pour une journée de travail’». Il y a presque partout un respect exprimé pour le panache du refus face au géant du commerce en ligne, et ce n’est qu’en cherchant loin dans le blog de Mediapart qu’on déniche la première ombre d’une critique, venant d’un militant woke qui rappelle que Blanche Gardin a dans le passé moqué le mouvement féministe, se plaçant ainsi elle-même – dit l’auteur – dans le camp de « l’oppression ». Partout ailleurs et dans l’opinion générale, la voici Jeanne d’Arc, nouvelle Liberté au sein nu sur les barricades, son portable en guide de drapeau.
Qu’a donc fait Blanche Gardin pour mériter d’être accrochée au Louvre ? Elle explique, dans sa lettre ouverte, qu’elle a refusé de jouer dans une série humoristique d’Amazon Prime Vidéo, « LOL : qui rit sort » alors qu’on lui proposait 200.000 euros par jour pour le faire. Parce que c’était trop d’argent, qu’à côté de cela Amazon ne verserait que 5 à 50.000 euros aux associations soutenues par les acteurs de l’émission ; parce qu’Amazon pollue avec ses camions de livraison, exploite des travailleurs dans ses entrepôts, utilise indirectement la main-d’œuvre des camps de concentration ouïghours, englue les gens sur leur canapé au lieu de leur donner envie de sortir et d’aller au cinéma.
On lit, on applaudit… avant de réaliser qu’on n’a pas encore réfléchi. Comme beaucoup, on sent bien que le modèle de consommation ultra-rapide promu par Amazon est toxique – mais on achète quand même sur la plateforme, parce que c’est pratique. On sent bien, aussi, que les vidéos en ligne emprisonnent – mais on en regarde aussi. On a aussi toujours une voiture, qui pollue, on ne vérifie pas que le coton de nos vêtements n’est pas produit au Xinjiang, que nos produits électroniques, jouets pour enfants ne sont pas le résultat du travail forcé, seize heures par jour, de ouïghours ou de pratiquants du Falun Gong qu’on peut aussi bien tuer pour vendre leurs organes. Amazon, d’après le Tech Transparency project, hébergerait encore sur sa plateforme des fournisseurs douteux exploitant le travail forcé. Parmi les autres entreprises exploitant ou tolérant celui-ci, Apple, Sony, Samsung, Microsoft, Nokia, Adidas, Lacoste, Gap, Nike, Puma, Uniqlo, H&M, BMW, Volkswagen, Mercedes-Benz, Land Rover, Jaguar, pour commencer par les grandes marques.
Puis, enfin, on se rappelle le soutien marqué de l’humoriste à Jean-Luc Mélenchon, qui est pourtant un grand défenseur du régime chinois. Alors ? Alors pour reprendre les mots de l’abbé Pierre, il est un petit peu possible que s’abrite, sous nos indignations sélectives, un peu d’hypocrisie. Blanche Gardin s’indigne contre le travail forcé et boycotte Amazon, mais utilise Facebook, roi de l’aliénation connectée, pour ventiler son opinion. Elle est contre les vidéos en ligne d’Amazon mais est payée par Netflix et Canal+. Elle est contre la pollution mais explique que dans la relation avec son compagnon, un humoriste américain, chacun a pu traverser l’Atlantique en avion simplement pour aller dîner avec l’autre. Elle regrette, enfin, la faible somme attribuée par Amazon aux associations caritatives, alors qu’en acceptant de participer à l’émission et en offrant une seule journée de son travail, elle aurait pu multiplier par 4 ce que celles-ci allaient toucher.
Les êtres sont complexes et, comme disait encore l’abbé Pierre, on n’a pas à attendre d’être parfait pour commencer à agir. Mais on peine ici, dans l’interprétation du geste de l’humoriste, à savoir quelle est la part de l’engagement et celle de la communication. Blanche Gardin pourrait, au final, n’avoir fait que s’acheter, pour 200.000 euros, un énorme pot de fard, du cosmétique de bonne conscience dont elle a rapidement couvert son visage avant de le prendre en selfie. Comme pour tous les selfies, ce qui est vraiment intéressant (quand on est anti-selfie), est de voir comment le cadre a été choisi et tout ce qui en sort, le bruit autour, la réalité du visage non modifié, la partie authentique qu’aurait pu capter un photographe, quitte à donner une image moins belle, voire un peu tragique ou fanée. Blanche Gardin nous a fait le cadeau de montrer le besoin de cultiver davantage la pudeur et, pour chacun de nous, de prendre garde à bien équilibrer nos indignations par une solide dose d’action.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.