Le bonheur, entre illusion et réalité

18 mars 2017 08:15 Mis à jour: 19 mars 2017 09:30

Faire du bonheur une mesure clé pour le développement des pays, tel était l’objectif  de quelques spécialistes à l’origine du dernier Rapport mondial de l’ONU sur le bonheur, «World Happiness Report», sorti en 2016. Ces éminents experts dans différents domaines – psychologie, économie, analyse d’enquêtes et statistiques nationales – ont ainsi élaboré ce rapport afin de décrire comment utiliser efficacement les mesures du bien-être pour évaluer le progrès des nations. C’est l’Europe du Nord qui arrive en tête du classement des pays avec le Danemark en première position, suivi de la Suisse, de l’Islande, de la Norvège, de la Finlande, des Pays-Bas et du Canada.

Selon John F. Helliwell, professeur à l’université de Colombie britannique et co-auteur du rapport, «le rapport signale des tendances importantes et cerne six facteurs clés qui expliquent beaucoup de choses sur le bonheur national».

Ces six variables sont : le PIB réel par habitant, l’espérance de vie en santé, avoir quelqu’un sur qui compter, la liberté perçue dans les choix de vie, être à l’abri de la corruption et la générosité. La mesure du bonheur national avait déjà vu le jour en 1972, à l’instigation de Jigme Singye Wangchuck, le roi du Bhoutan à l’époque, qui avait créé une variable jusqu’alors ignorée, le BNB, Bonheur National Brut.

La variable jusqu’alors ignorée du Bonheur National Brut (BNB) a vu le jour en 1972 à l’instigation du roi du Bhoutan. (ckmck/Flickr)

Ce palmarès 2016 a ainsi révélé des changements importants à propos du bonheur au sein des pays dont certains voient leur niveau de bonheur augmenter et d’autres, diminuer au cours des cinq dernières années. Certains résultats indiquent une convergence mondiale dans les niveaux de bonheur, avec des gains de bonheur plus fréquents en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, et des pertes plus fréquentes parmi les pays industrialisés.

Les pays placés en fin de classement sont évidemment ceux qui connaissent des situations de guerres ou de gouvernances dictatoriales avec une absence de liberté d’expression, des systèmes éducatifs inexistants, une précarité importante.

La France, elle, se place à la 32e place avec une moyenne de 6,47 sur 10 (la moyenne mondiale étant de 5,1 sur 10), derrière les Etats-Unis (17eplace) et l’Allemagne (16e place).

Certaines études ont démontré que l’un des facteurs déterminant pour le niveau de bonheur réside dans le psychisme des personnes, et notamment la santé mentale, qui même dans les pays riches, est encore trop souvent délaissée ou même occultée.

«L’argent ne fait pas le bonheur», cet adage prend alors tout son sens, révélant que le PIB d’un pays n’est pas l’élément principal qui amène au bonheur, et amenant le rapport à conclure dans ces termes: «Il est important d’équilibrer mesures économiques et mesures du bien être et de veiller à ce que le progrès économique conduise à de vastes améliorations dans tous les domaines de la vie, et pas seulement à une plus grande capacité économique subjective».

En France, une étude plutôt inquiétante du bureau des préventions des risques professionnels Technologia a révélé que près d’un actif sur trois a déjà pensé au suicide, soit 27% des actifs en France, et parmi eux, 3% y ont même pensé «souvent».

12% d’entre eux ont déjà été confrontés au suicide au cours des 12 derniers mois,  soit un membre de leur famille (27%), un ami (32%), un voisin (8%) ou autre (6%). En effet, la France présente un taux de suicide de 14,7 pour 100.000 habitants, bien au dessus de la moyenne de l’Union européenne (10,2). Ce taux élevé, révélateur d’un malaise au sein de la société  française est aussi corroboré dans le domaine médical: la France fait aussi partie des pays qui consomment le plus d’antidépresseurs dans le monde. 21,4% des Français auraient ainsi déjà eu recours à des psychotropes au cours de leur vie. Chiffre qui pourrait être vu à la baisse car la dépression est synonyme de souffrance intérieure, et tenter d’y remédier avec des substances externes, ne peut endormir cette souffrance que superficiellement.

La souffrance, elle, est la résultante d’une quête, consciente ou non, d’un type de bonheur attendu: être bien entouré (famille, amis), avoir une descendance, être en bonne santé, gagner de l’argent, accéder à un confort de vie, acquérir du pouvoir, réussir là où d’autres ne l’ont pas fait, être le meilleur… bref, vouloir des choses qui, à des degrés plus ou moins grands, ne viendront peut-être pas, et lorsque c’est le cas, ces quêtes désespérées se muent alors en souffrances psychiques, symptomatiques de désirs non réalisés.

Qu’en disent les scientifiques ?

Le professeur Ruut Vennhoven de l’université de Rotterdam a ainsi mené une étude qui est à l’origine d’une base de données mondiale sur le bonheur: on y trouve donc tous (ou presque) les facteurs permettant d’être heureux. En premier lieu, être actif  et si possible bien sûr, réaliser des activités que l’on aime; établir une relation solide de couple puis de famille; réduire ses temps de transport entre le domicile et le lieu de travail… ces facteurs, parfois insignifiants, seraient selon le professeur Vennhoven, tout de même fondamentaux à l’exercice du bonheur.

A l’université de Pennsylvanie, le professeur Martin Seligman et ses collègues ont mis au point le projet «Authentic Happyness», qui, à travers un site internet très visité, propose divers exercices permettant d’améliorer le sentiment de bonheur sur le long terme. On retiendra par exemple, d’apprendre à identifier et apprécier les petits moments agréables de la vie, penser en fin de journée à 3 choses qui se sont bien passées ce jour-là, et enfin pratiquer la gentillesse par hasard, et sans arrière-pensée.

C’est d’ailleurs cette dernière suggestion qui constitue le point d’orgue d’une autre étude, menée par l’Association Américaine de Psychologie (APA) qui a rassemblé suffisamment de preuves démontrant que, quelque soit l’endroit au monde, le sexe, le niveau socio-culturel, on se sent mieux en donnant plutôt qu’en achetant pour soi-même.

Faire du bien aux autres permet de faire du bien à soi-même: c’est aussi le conseil donné par Mathieu Ricard, le moine bouddhiste le mieux connu des occidentaux après le Dalaï Lama. Pratiquer l’altruisme et se rendre heureux par la méditation, tels sont les messages qu’il s’est donné de transmettre.

Faire du bien aux autres permet de faire du bien à soi-même : c’est aussi le conseil donné par le moine bouddhiste Mathieu Ricard. (matthieuricard.org)

Dans cette optique, l’institut Mind &Life a été créée afin d’établir un pont entre la science et le bouddhisme. Mathieu Ricard s’est ainsi prêté à plusieurs tests scientifiques dont il a présenté les résultats lors d’un entretien au Monde en 2013 : «Les recherches des neuroscientifiques montrent que l’attention, l’équilibre émotionnel, la bienveillance, la compassion et d’autres qualités peuvent être engendrés et cultivés par la méditation et qu’elles ont un impact mesurable. Notamment grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), qui permet de localiser les aires cérébrales activées. Dans le cadre de ces recherches, le méditant expérimenté – qui totalise de 10.000 à 60.000 heures de méditation – n’est pas seulement un cobaye: c’est un véritable collaborateur. Son rôle est essentiel pour établir le protocole de recherche, et sa faculté d’engendrer des états mentaux clairs et durables, capacité acquise par la méditation, permet d’obtenir des résultats fiables.»

Selon Mathieu Ricard, il a été démontré que la pratique de 20 minutes de méditation chaque jour peut entraîner un changement réel de certaines zones du cerveau, réduisant par exemple, les zones reliées à l’agressivité, et augmentant celles reliées à l’empathie.

Au vu de ces différentes études, il en ressort que l’exercice d’un bonheur durable tiendrait, non dans la recherche de désirs assouvis, mais dans l’acceptation de sa situation, grâce, notamment, à des techniques de travail sur son soi permettant de développer une pensée positive tournée vers les autres.

Bref, regarder en soi afin de libérer cette compassion qui nous conduira à aborder l’autre, personne ou situation, avec un regard lumineux et plein d’entrain.

 

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