Bras de fer Breton/Musk : « Ce n’est plus du droit mais de l’idéologie », fustige le conférencier Guillaume Zambrano

Par David Vives
23 août 2024 20:51 Mis à jour: 23 août 2024 21:48

Le bras de fer entre la Commission européenne et le dirigeant de X ne semble pas s’apaiser au fil des mois. Averti à plusieurs reprises sur l’insuffisante modération du contenu de X, Musk a systématiquement botté en touche aux avertissements de la Commission. Le milliardaire américain a répondu le 12 août avec une insulte sur X à la lettre envoyée par le Commissaire européen Thierry Breton au sujet de la diffusion d’une interview avec Donald Trump. Le duel engagé pourrait tourner à la bataille juridique, éventualité qu’aucun des partis ne rejette. Pour le professeur de droit attaché à l’université de Nîmes Guillaume Zambrano, le règlement du DSA marque un tournant significatif sur la régulation des plateformes numériques et sur les libertés des individus. Entretien.

Epoch Times : Comment interpréter la passe d’armes entre Elon Musk et Thierry Breton, qui s’est conclue par une réponse aux accents d’insultes de la part du patron de X  ?  

Guillaume Zambrano : Cette réponse est dans le personnage d’Elon Musk. Il a fait le même type de réponse au Gouverneur de Californie, Gavin Newsom, qui était assez drôle d’ailleurs. Si j’avais été son avocat, je lui aurais déconseillé. Ce n’était pas la réaction la plus sage, la plus stratégique.

Le courrier envoyé par le commissaire Thierry Breton le 12 août 2024 est vraiment un nouvel acte dans la procédure visant à la sanction de X. Il y a des étapes dans la procédure à suivre, notifier le mis en cause, mener une enquête… Thierry Breton avec ce courrier, montre que X et Elon Musk ont été personnellement avertis à de multiples reprises. Si on demande la suppression de certains contenus et que X n’obtempère pas, cela pourrait déclencher l’infraction. Cela permettrait à la Commission non pas d’entrer en voie de condamnation, mais de déclencher  des mesures provisoires telles que mentionnées dans l’article 70 du DSA.

La Commission n’a pas besoin d’adopter une décision qui démontre une infraction au Digital Services Act, elle peut se contenter d’une apparence d’infraction. En fin de course, il peut y avoir une amende automatique pour X de 6% du chiffre d’affaires mondial, donc d’après le calcul du chiffre d’affaires de X, cela fait 200 millions de dollars. 

Sur une base légale, Thierry Breton est dans son droit dans cette lettre. C’est aussi ce qui est un peu terrifiant et ubuesque à la fois. Tout cela est parfaitement en règle avec le DSA.

Thierry Breton évoque dans sa lettre une “menace envers la sécurité publique”, évoquant l’interview de Donald Trump et d’Elon Musk. Des termes assez surprenants, dont la Commission européenne s’est distancée. Que faut-il comprendre ?

Le commissaire européen écrit qu’il est forcé de rappeler ses obligations à Elon Musk dans le contexte des récents événements, je cite, du Royaume-Uni (la diffusion de vidéos des révoltes rassemblant plusieurs milliers de personnes dans des grandes villes, ndr). N’est pas nommé Donald Trump, mais c’est sous-entendu.

L’élément surprenant est que ni le Royaume-Uni, depuis 2020, ni les États-Unis, ne font partie de l’Union européenne. Alors, pour quelle raison un commissaire européen va-t-il se préoccuper d’informations ou de conversations qui ont lieu sur des événements en dehors de l’Union européenne ? Eh bien, c’est parce que l’article 2 du règlement DSA précise que le champ d’application s’applique aux destinataires du contenu, ici situés dans l’Union européenne. 

Au lieu d’avoir un réseau social avec une multitude de droits applicables en fonction du pays de résidence des auteurs des messages, on se retrouve avec un conflit entre lois applicables : un post légal aux USA devient illégal quand il est lu par un Européen. Absurde et inapplicable, à moins de restreindre l’accès des Européens aux tweets venant du reste du monde. C’est le retour du mur de Berlin. Le nouveau grand pare-feu de Bruxelles.

Il est important de noter que les juges nationaux auront l’obligation de s’aligner sur l’interprétation du droit imposée par la Commission, dans son application du DSA. C’est ce qu’on appelle le principe de primauté du Droit européen qui est mis en application à l’article 82 : « Lorsqu’une juridiction nationale statue sur une question qui fait déjà l’objet d’une décision adoptée par la Commission au titre du présent règlement, cette juridiction nationale ne prend aucune décision allant à l’encontre de la décision de la Commission. Les juridictions nationales évitent également de prendre des décisions qui iraient à l’encontre d’une décision envisagée par la Commission ». C’est la seule Commission qui aura le pouvoir de dire ce qui est licite ou illicite. 

Il suffira à la Commission de piocher dans n’importe laquelle des législations des 27 États membres pour trouver la règle de droit lui permettant d’interdire tel ou tel contenu, en fonction des circonstances. Il n’y a pas de définition objective du licite ou de l’illicite. Il n’y a qu’une définition subjective qui dépend des personnes nommées à la Commission européenne en charge de son application. Ce n’est plus du droit mais de la pure idéologie politique. 

Guillaume Zambrano, professeur de droit et conférencier attaché à l’université de Nîmes. (DR)

Le DSA se prévaut de “sécuriser” les contenus accessibles en ligne et les pratiques des grandes plateformes numériques. À quels changements peut-on s’attendre à moyen terme ?

L’article 6 du Digital Services Act (DSA) marque un tournant important dans la régulation d’Internet en Europe. En effet, il introduit une approche radicalement différente de la responsabilité des fournisseurs de services en ligne, qui rompt avec le principe de neutralité du net qui a prévalu jusqu’à présent.

Pour comprendre l’importance de ce changement, il est utile de rappeler la section 230 du Code des États-Unis, qui a été adoptée en 1996 (Communication Decency Act) pour protéger les fournisseurs de services en ligne contre les poursuites judiciaires liées au contenu généré par les utilisateurs. La section 230 du Code des États-Unis explicite qu’aucun fournisseur ou utilisateur d’un service informatique interactif ne peut être traité comme l’éditeur ou le locuteur de toute information fournie par un autre fournisseur de contenu d’information. Cette section établit un principe de non-responsabilité pour les fournisseurs de services en ligne, sauf pour les contenus obscènes, excessivement violents ou harcelants. Le principe est clair, et les exceptions définies objectivement. Ce principe de non-responsabilité a été fondamental pour le développement d’Internet, car il a permis aux fournisseurs de services en ligne de se concentrer sur la fourniture d’infrastructures et de services, sans avoir à se soucier de la responsabilité pour les contenus que les utilisateurs publient en ligne. 

L’article 6 du DSA renverse ce principe de neutralité du net pour rendre les fournisseurs de services en ligne responsables du défaut de surveillance des contenus publiés par les utilisateurs. L’article 6 dispose que « le fournisseur de services n’est pas responsable des informations à condition que le fournisseur, dès le moment où il en prend connaissance ou conscience, agisse promptement pour retirer le contenu illicite ou rendre l’accès à celui-ci impossible ».

Cette formulation est vraiment perverse, parce qu’elle vise à faire croire que le principe de non-responsabilité des hébergeurs est maintenu, alors qu’en réalité il est nié. Le DSA prévoit explicitement que les plateformes doivent supprimer, bloquer, cacher (shadow ban) ou démonétiser les contenus illicites.

L’exonération de responsabilité pour les contenus publiés n’est accordée qu’à condition que le fournisseur de services supprime les contenus publiés… vous voyez la contradiction dans les termes ! 

Dans la dystopie totalitaire de l’Union européenne, le DSA rend les plateformes responsables pour n’avoir pas empêché la diffusion des crimes de pensée commis par les utilisateurs. Les fournisseurs de services en ligne doivent désormais jouer le rôle de censeurs.

De plus, la plateforme est présumée coupable simplement parce qu’elle n’a pas supprimé un contenu signalé comme illicite. C’est le signalement par les utilisateurs qui déclenche l’obligation de « due diligence » de la plateforme. 

C’est une privatisation du droit fondamental d’exprimer des opinions et de recevoir des informations. Ces droits ne seront plus jugés par des magistrats avec des garanties procédurales, mais arbitrés par des employés des entreprises, sous la pression d’amendes administratives à plusieurs centaines de millions de dollars. Vous pouvez imaginer facilement qu’il n’y aura pas beaucoup de marges pour la discussion : dans le doute, tout ce qui pourrait de près ou de loin être considéré comme illicite par la Commission européenne sera impitoyablement censuré.

Nous parlons également ici du renversement de la présomption d’innocence. 

Rappelons que la Commission européenne, ce sont des bureaucrates non élus. Ils n’ont pas fait l’objet du suffrage universel, ils ne sont pas responsables devant une assemblée parlementaire élue. Je le dis de façon très sérieuse : le modèle de la Commission européenne et de l’Union européenne c’est le Parti communiste chinois.  C’est-à-dire qu’il existe un parti unique qui est capable de décider de ce que les gens ont le droit de dire ou de ne pas dire, et de ce qui constitue ou non un crime de pensée. 

Concernant le bras de fer entre Musk et M. Breton, quelles sont les perspectives pour le milliardaire américain de s’opposer à la machine juridique européenne ?

On est sur la trajectoire de la confrontation. Elon Musk l’a dit très clairement : « On se retrouvera au tribunal. » Thierry Breton a répondu de la même manière. Je pense qu’Elon Musk a une vision très américaine de la justice. C’est-à-dire qu’il a bien intégré cette dimension du pot de fer, on le voit avec Disney où il finance la procédure Carano, il a également annoncé financer toutes les actions en justice mettant en cause des problèmes de liberté d’expression et de wokisme. Il a une attitude de milliardaire en croisade. Mais il se base, je pense, sur sa compréhension du système judiciaire américain où finalement c’est celui qui a le plus de millions qui gagne. La différence est que, dans le conflit actuel avec Thierry Breton, cela ne se réglera pas à coups de millions. La Commission européenne a, comme je l’ai dit, mis en place un cadre juridique qui lui permet de gagner à tous les coups. 

Elon Musk donne actuellement du grain à moudre. Il donne prise à la Commission pour qu’elle engage un procès. On peut supposer que c’est loin d’être le pire scénario pour elle, la Commission pourrait avoir besoin de démontrer que le DSA fonctionne, et pourrait être tentée de faire de Musk un exemple. 

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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