C’est un vêtement sacré, majestueux, fait de plumes écarlates et transformé pendant plus de trois siècles en pièce de musée : pour les indigènes Tupinamba, le retour au Brésil d’un manteau longtemps exposé au Danemark dépasse largement l’aspect matériel.
Ce manteau, « c’est notre père et notre mère. Nos ancêtres disent que quand (les Européens) l’ont emporté, notre village a été désorienté », confie à l’AFP le cacique Sussu Arana Morubyxada Tupinamba.
Ce chef autochtone est venu spécialement cette semaine à Rio de Janeiro avec environ 200 autres membres de ce peuple pour une « veillée » avec chants rituels, tambours et maracas, à l’approche de la cérémonie officielle de présentation du manteau prévue jeudi, en présence du président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva.
Les indigènes Tupinamba ont installé un campement au Parc de Boa Vista, non loin du centre-ville de Rio, où la cérémonie aura lieu devant le Musée national, ancien palais impérial détruit par un incendie en 2018.
Brazil’s Indigenous people hail return of sacred cloak.
The Tupinamba people are counting down the hours of a 335-year wait for the return of a sacred cloak taken in colonial times. The symbolic artifact has been held at the National Museum of Denmark since 1689… pic.twitter.com/3jRVuACu0E
— AFP News Agency (@AFP) September 12, 2024
« Seul notre peuple sait dialoguer avec ce symbole »
Confectionné sur une base de coton avec des plumes de guara, échassier connu également sous le nom d’ibis rouge, le manteau, qui mesure 1,80 m de haut, était exposé au Musée national du Danemark depuis 1689.
Il est arrivé au Brésil en juillet, une « restitution historique » pour le gouvernement Lula, qui est en négociation pour récupérer d’autres objets de ses peuples autochtones exposés dans des musées à l’étranger, en France et au Japon notamment.
Selon les estimations des experts, des indigènes Tupinamba l’ont revêtu dès le XVIe siècle.
« En le voyant, j’ai ressenti à la fois de la joie et de la tristesse », confie Yakuy Tupinamba, vêtue d’une jupe de fibres naturelles et arborant une coiffe de plumes.
Les Européens « l’ont exposé dans un musée, comme s’ils l’avaient mis dans un zoo, pour qu’il soit étudié, mais seul notre peuple sait dialoguer avec ce symbole », explique cette femme qui a parcouru en bus 1200 km depuis l’État de Bahia (nord-est), où se situe le fief des Tupinamba, pour être présente lors de la cérémonie.
La restitution du manteau, dont on ignore dans quelles circonstances il a été emporté en Europe, sous la colonisation portugaise, est le fruit de négociations diplomatiques du gouvernement Lula, qui s’affiche en défenseur des peuples autochtones.
Un territoire menacé par « l’agro-négoce »
Mais ce retour est aussi l’occasion pour les indigènes de rappeler leur priorité : la reconnaissance de leurs terres ancestrales, qui n’avance pas assez rapidement selon eux. Les Tupinamba réclament l’homologation en tant que réserve indigène de 47.000 hectares où 8000 familles vivent de l’agriculture et de la pêche.
Selon le cacique Sussu Arana Morubyxada Tupinamba, son territoire est menacé par « l’agro-négoce » – la puissante agro-industrie brésilienne – et attire également des convoitises d’entreprises minières, car son sol regorge de lithium, de nickel et de silice, minerais essentiels pour la fabrication de smartphones et d’ordinateurs.
Il espère que ces menaces vont s’estomper « quand le gouvernement va débarquer dans notre territoire », les réserves indigènes étant censées relever de la protection des autorités.
Les experts considèrent que ces réserves jouent un rôle essentiel au niveau climatique, en tant que remparts face à la déforestation et les incendies qui ravagent l’Amazonie et d’autres régions du Brésil.
Le retour au pouvoir de Lula, en 2023, a fait naître l’espoir chez les autochtones, le président s’étant engagé à ériger en priorité l’homologation de nouveaux territoires réservés aux indigènes. Elle était totalement à l’arrêt sous le mandat de son prédécesseur Jair Bolsonaro.
Mais seules une dizaine de réserves ont été régularisées depuis, et le Conseil missionnaire indigéniste (CIMI), une organisation catholique, estime que ce mouvement a « stagné » malgré toutes les attentes.
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