Cabinets de conseil : « Favoritisme », « menace pour la souveraineté », recours « massif et croissant », le ministère de la Santé perquisitionné

Par Germain de Lupiac
30 mai 2024 14:30 Mis à jour: 30 mai 2024 14:32

Des perquisitions ont eu lieu le 29 mai au ministère de la Santé dans le cadre d’une enquête pour favoritisme et recel de favoritisme après un recours jugé « massif et croissant » aux cabinets de conseil.

Selon un rapport du Sénat sur «l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques», les cabinets de conseil sont «intervenus sur la plupart des grandes réformes» du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, mais aussi dans la gestion de la crise sanitaire ou dans la création d’outils de pilotage de la fonction publique.

Ces perquisitions ont été menées par les gendarmes de la section de recherches et des juges d’instruction financiers, dans le cadre de l’information judiciaire ouverte le 21 octobre 2022.

Près d’un milliard d’euros de dépenses en 2021

Le 17 mars 2022, les sénateurs Eliane Assassi (PCF) et Arnaud Bazin (LR) avaient présenté un rapport contre le recours par l’État aux cabinets de conseil. Un phénomène « tentaculaire » dont le coût pour les finances publiques a grimpé en 2021 à près d’un milliard d’euros, tous opérateurs publics confondus – contre 379 millions d’euros en 2018.

Le rapport indiquait un «recours massif et croissant» à des cabinets de conseil, comme Accenture, CapGemini ou McKinsey et pointait une « véritable menace pour la souveraineté de l’État », posant question sur la place de l’État français par rapport à ces cabinets privés, dont certains étrangers.

Les cabinets sont « intervenus sur la plupart des grandes réformes » du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, mais aussi dans la gestion de la crise sanitaire ou l’organisation de colloques, soulignait le rapport. Le parquet national financier (PNF) a d’abord ouvert, le 31 mars 2022, une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée à l’encontre de McKinsey.

Puis six mois plus tard, les 20 et 21 octobre, le PNF a ouvert deux informations judiciaires, l’une « sur les conditions d’intervention de cabinets de conseil dans les campagnes électorales de 2017 et 2022 » d’Emmanuel Macron, l’autre sur des soupçons de « favoritisme ».

Le 28 mai, le Sénat a adopté en deuxième lecture, à l’unanimité, la proposition de loi destinée à encadrer les prestations de conseil commandées par les administrations aux cabinets privés, et exhorté le gouvernement à rapidement la faire examiner par l’Assemblée nationale.

Des conditions problématiques d’obtention des marchés pendant la crise du Covid-19

Les dépenses de l’État dans les cabinets de conseil sont passées de 11 millions d’euros en 2014 à 100 millions en 2018 et 200 millions en 2022, d’après un rapport de la Cour des comptes publié en juillet 2023 (sans compter les prestations informatiques et les services connexes de l’ensemble des cabinets, comptés quant à eux par le Sénat). Selon le rapport, plusieurs contrats de cabinets de conseil ont été conclus par l’État dans des conditions « problématiques » pendant la crise sanitaire du Covid-19, pointant du doigt des dépenses ayant «triplé entre 2017 et 2021»

Les magistrats financiers se sont penchés sur une série de marchés passés en 2020 et 2021 avec les cabinets McKinsey, Accenture, Citwell, JLL et Roland Berger. Les deux premiers cabinets ont été sollicités en 2017 par la Direction interministérielle de la transformation publique, pour contribuer à élaborer la stratégie de vaccination.

Selon la Cour, il a « été considéré que la stratégie vaccinale pouvait être rattachée à la transformation publique. Ce rattachement apparaît largement artificiel. » « En effet, les projets désignés doivent s’inscrire dans l’objectif d’améliorer l’efficacité de l’action publique tout en en réduisant le coût », des critères auxquels ne répondait pas la mission sur la stratégie de vaccination.

La Cour des comptes trouve « anormal » que le gouvernement ait délégué au cabinet Roland Berger des missions relevant des attributions de l’administration, « alors même qu’il est doté d’un puissant corps d’inspection interne [l’Inspection générale des affaires sociales], dont les membres ont toutes les compétences requises. »

Pour la Cour des comptes, nombre de ces dépenses posaient question quant au respect du droit de la commande publique. En cause les conditions d’attribution à certains cabinets de marchés-clés « sans mise en concurrence ni négociation ». Parmi ces cabinets figurait en premier lieu le cabinet McKinsey.

Selon Le Monde, le cabinet entretient depuis 2017 des liens étroits avec Emmanuel Macron.  Les « Macronleaks » avaient rendu publics des milliers de courriels internes de la campagne du président révélant des contacts avec plusieurs hauts responsables de McKinsey qui ont été au cœur du dispositif de la campagne du futur chef de l’État.

Dans son rapport, la Cour des comptes recommandait de « limiter strictement le recours aux cabinets aux seules missions techniques pour lesquelles les directions d’administration centrale du ministère de la Santé ne disposent pas des compétences requises en interne »

Un encadrement retoqué en début d’année par le gouvernement

Début février, l’Assemblée nationale avait adopté en première lecture la proposition de loi encadrant les dépenses de conseil des pouvoirs publics, dans une version bien différente de celle votée par le Sénat en octobre 2022.

Près de deux ans après le rapport explosif du Sénat qui avait qualifié le recours par l’État aux cabinets de conseil privés de phénomène « tentaculaire », le texte voté le 1er février 2024 a été voté avec 331 voix pour, 12 abstentions et 0 contre au Sénat en deuxième lecture, le 28 mai.

Au cours des débats entamés à l’Assemblée en février, le gouvernement et les députés Renaissance avaient mis en avant les efforts déjà entrepris par l’exécutif pour rationaliser le recours de l’État aux cabinets de conseil: publication de plusieurs circulaires, d’une annexe aux projets de loi de finances détaillant les achats de conseil sur un an, nouvel accord-cadre pour les prestations de conseil en stratégie et organisation…

La majorité présidentielle avait réécrit l’article 13 de la proposition de loi, de façon à appliquer des sanctions pénales déjà existantes aux cabinets et consultants qui manqueraient à certaines obligations déontologiques, plutôt que de créer une nouvelle commission des sanctions à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, chargée de prononcer des amendes administratives.

La rapporteure et le président de la commission d’enquête du Sénat sur les cabinets de conseil avait déploré dans un communiqué un « acharnement du gouvernement à dénaturer » la proposition de loi issue de la chambre haute. Pour Eliane Assassi (communiste) et Arnaud Bazin (LR), « le texte de l’Assemblée nationale multiplie les reculs » et « n’est pas à la hauteur des constats alarmants de la commission d’enquête ».

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