Désormais consommé sous des formes diverses et variées, le cacao fait généralement l’objet d’un long façonnage afin d’obtenir une pâte de chocolat onctueuse qui permettra ensuite d’élaborer de délicieuses friandises.
Une fois les fèves de cacao récoltées, plusieurs opérations intermédiaires destinées à transformer la matière première doivent en effet être réalisées de façon successive. Elles font appel au savoir-faire des cultivateurs, mais aussi à l’expertise des acteurs spécialisés dans le broyage et la transformation des fèves.
Quelles sont les caractéristiques des procédés mis en œuvre à chaque étape et la nature des différentes déclinaisons obtenues à partir du cacao brut ?
La fermentation : une première opération incontournable
L’aventure commence au sein de plantations qui bénéficient à la fois d’un climat tropical, de sols fertiles et bien drainés, ainsi que de la présence d’espèces végétales de haute taille – en mesure de protéger les plants d’une exposition directe aux rayons du soleil.
C’est par exemple le cas dans les forêts équatoriales d’Amazonie, où des cacaoyers d’une dizaine de mètres côtoient des arbres qui peuvent atteindre une envergure trois à cinq fois supérieure à la leur.
Une fois mûrs, les fruits des cacaoyers – appelés cabosses – sont récoltés à la main, avant d’être ouverts afin de recueillir les fèves qu’ils contiennent. Chaque cabosse renferme en effet quelques dizaines de fèves enrobées d’une épaisse pulpe blanchâtre, riche en mucilages.
Les fèves fraîches sont ensuite nettoyées une première fois, avant d’être triées et mises à fermenter pendant plusieurs jours. Elles sont alors étalées sur des feuilles de bananiers ou des toiles de jute, ou encore entreposées dans des caisses de bois et des paniers en osier.
La fermentation représente une étape cruciale du processus global de transformation des fèves. Elle favorise en effet les réactions biochimiques et le développement de micro-organismes qui jouent un rôle déterminant dans l’apparition des composants précurseurs des arômes naturels de chocolat.
La période pendant laquelle les fèves de cacao fermentent se décompose en deux phases distinctes : un premier épisode de fermentation alcoolique anaérobie (c’est à dire au sein d’un environnement dépourvu d’oxygène), suivi d’une fermentation acétique et aérobie.
Au cours de la fermentation alcoolique, la pulpe résiduelle qui entoure les fèves de cacao prévient l’apport d’oxygène et favorise ainsi le développement de levures microbiennes. Ces micro-organismes vont dégrader les pectines présentes dans la pulpe, mais aussi transformer les sucres qu’elle contient en alcool éthylique.
Une fois cette première étape terminée, de nouveaux micro-organismes apparaissent sous la forme de bactéries. Elles ont la mission de convertir les composés alcooliques issus de la première phase de fermentation en acide acétique. Celui-ci pénétrera ensuite au cœur de chaque fève, afin de permettre la synthèse de réactions biochimiques spécifiques.
L’acide acétique facilite notamment la transformation des sucres complexes contenus dans les graines de cacao en sucres simples et contribue à dégrader les chaînes de protéines en acides aminés. Il permet aussi de réduire la part des composés phénoliques présents dans chaque fève.
Par ailleurs, les différentes réactions induites par le processus de fermentation sont indispensables à la création de nouvelles molécules, à l’origine du développement des arômes précurseurs du chocolat.
Une fois la fermentation terminée, les fèves sont ensuite placées dans des séchoirs ou disposées sur des claies en couches de quelques centimètres d’épaisseur, afin d’être séchées naturellement au soleil. Cette étape permet d’éliminer une grande partie de l’eau et de l’acide acétique qu’elles renferment encore.
L’ensemble de ces opérations revêt une importance capitale et détermine à la fois le goût et l’apparence des fèves qui serviront ensuite à fabriquer de nombreux aliments chocolatés.
Dans l’optique de préserver l’intégrité des fèves et de sublimer les qualités aromatiques du cacao, chacune des étapes inhérentes au processus de fermentation nécessite ainsi des soins rigoureux et requiert l’expérience et la maîtrise de cultivateurs chevronnés.
Si les procédés liés à la fermentation ne sont pas correctement mis en œuvre, les fèves obtenues ne seront pas en mesure d’exprimer tout leur potentiel et de développer l’intégralité de leurs parfums. Elles risquent alors de se révéler amères ou astringentes, voire de s’abîmer de façon prématurée et de finalement s’avérer impropres à la consommation.
À l’issue des stades de fermentation et de séchage, les producteurs envoient leurs précieuses cargaisons aux industries spécialisées dans la transformation du cacao brut. À la réception des fèves, les transformateurs – appelés aussi couverturiers – procèdent à un premier nettoyage, avant de les ventiler pour éliminer les débris et les éventuelles impuretés.
Des fèves fermentées à l’obtention de chocolats fins et délicats
Une des principales opérations réalisées par les couverturiers consiste à torréfier les fèves de cacao rassemblées. Cette étape va permettre de diminuer encore davantage leur teneur résiduelle en eau et d’éliminer toute trace d’acide acétique, mais aussi d’accentuer – voire de modifier – les arômes formés au cours du phénomène naturel de fermentation.
La torréfaction repose sur le chauffage des fèves à très haute température pendant un temps limité. Les caractéristiques précises (durée et degré de chaleur) du processus diffèrent selon les variétés spécifiques de cacao utilisées et les parfums que le torréfacteur souhaite mettre en valeur.
Elle entraîne une réaction chimique spontanée – qualifiée de « réaction de Maillard », en référence au savant qui l’a découverte au début du 20e siècle – qui s’exprime d’ailleurs également lors de la torréfaction de fruits à coque, de grains de café ou d’orge destinée à la fabrication de bières, ou encore pendant la cuisson des viandes et du pain.
Ce procédé va notamment permettre aux différents acides aminés et aux sucres contenus dans les fèves de cacao de se combiner pour donner naissance à de nouveaux composés volatils, qui viendront s’ajouter aux précurseurs des arômes chocolatés développés au cours de la fermentation initiale.
En outre, la torréfaction peut aussi permettre de masquer les saveurs peu agréables de certaines fèves issues de variétés de moindre qualité.
Une fois torréfiées, les graines de cacao sont ensuite décortiquées par ventilation, puis broyées et compressées, afin d’obtenir une pâte compacte et homogène parfois désignée sous le nom de « masse de cacao ».
À ce stade, la pâte peut éventuellement faire l’objet d’un pressage destiné à séparer la partie maigre de la partie grasse. La part dégraissée se présente alors sous la forme d’une galette solide appelée tourteau, qui sera ensuite pulvérisée afin d’être réduite en poudre et commercialisée auprès des industriels spécialisés dans la préparation de boissons ou de confiseries chocolatées.
De couleur jaune pâle, la matière grasse issue de la masse constitue quant à elle le beurre de cacao. D’aspect liquide, il est coulé dans des moules afin de constituer des blocs qui finiront par se solidifier.
Intacte, la masse de cacao permet de fabriquer le chocolat dit « de couverture », produit semi-fini qui représente la base utilisée par bon nombre de chocolatiers pour la préparation de douceurs plus élaborées.
Selon la teneur en cacao souhaitée, les transformateurs peuvent d’ailleurs incorporer une quantité variable de sucre aux chocolats de couverture. D’autres ingrédients, comme de la poudre de lait ou des épices, sont aussi susceptibles d’être ajoutés en fonction de la demande des industriels ou des artisans chocolatiers.
Le transformateur procède ensuite au conchage du mélange obtenu. De puissantes machines brassent vigoureusement la pâte de cacao à chaud pendant de longues heures, afin de fluidifier et d’uniformiser la préparation. C’est aussi l’occasion d’ajouter du beurre de cacao pour apporter fondant et onctuosité à la pâte.
Depuis l’an 2000, la législation française autorise d’ailleurs l’adjonction de six matières grasses végétales autres que le beurre de cacao, dans la limite de 5 % du poids global du produit fini. Ces substances incluent notamment l’huile de palme, le beurre de karité, l’huile des noyaux de mangue, ou encore le beurre d’illipé.
À ce stade, le cacao brut est presque entièrement transformé et on peut désormais parler de pâte de chocolat. La dernière étape consiste alors à tempérer l’assemblage, afin d’obtenir une cristallisation optimale du beurre de cacao incorporé au préalable et de donner au chocolat l’aspect brillant et la texture rigide et cassante qui le caractérisent.
Enfin, la pâte de chocolat est coulée dans des moules afin de confectionner des tablettes, des blocs ou des pistoles destinés aux artisans chocolatiers et aux compagnies de l’industrie agro-alimentaire.
En effet, rares sont les chocolatiers qui travaillent directement à partir des fèves brutes. La plupart se contente en effet de fondre la matière transformée au préalable par les couverturiers, avant de la façonner à leur convenance.
Des méthodes innovantes à même de mieux préserver les propriétés du cacao
Si la réaction de Maillard, qui intervient au cours du processus de torréfaction, entraîne la création de nouvelles molécules odorantes qui confèrent au cacao torréfié des parfums de noisette, des notes grillées ou caramélisées, elle altère pourtant aussi une partie des arômes subtils et délicats des fèves.
Les saveurs fruitées et florales qui font la finesse de certaines variétés de cacao ont ainsi tendance à disparaître lors de l’opération.
De plus, le recours à des températures très élevées – généralement comprises entre cent vingt et cent quarante degrés Celsius – pendant la torréfaction, détruit une part non négligeable des différents micronutriments contenus dans la matière première, tels que les minéraux, les vitamines et les acides gras, ou les antioxydants.
De surcroît, les substances issues de la dégradation des micronutriments sont susceptibles de réagir entre elles et de générer plusieurs composés inédits dénommés Produits Terminaux de Glycation (PTG) ou produits de Maillard, à même de perturber les processus métaboliques, mais aussi de favoriser les phénomènes inflammatoires et l’augmentation des radicaux libres au sein de l’organisme.
De nouveaux procédés de transformation des fèves de cacao ont toutefois fait leur apparition ces dernières années. Les méthodes mises au point permettent d’éviter la torréfaction et de préserver les précieux nutriments du cacao, tout en limitant la création de nouvelles molécules potentiellement néfastes.
Ces processus innovants recourent à des périodes de fermentation plus étendues et remplacent la torréfaction et le conchage par une longue étape de broyage « à froid » à la meule – c’est à dire en deçà de quarante degrés. Au lieu d’être chauffées à très haute température durant quelques dizaines de minutes, les fèves de cacao décortiquées et concassées sont ainsi lentement écrasées pendant près de quarante-huit heures.
Bien que ces nouveaux procédés s’avèrent plus longs et demandent plus d’attention que les techniques conventionnelles employées par les transformateurs industriels, ils présentent pourtant de nombreux avantages, aussi bien sur le plan nutritionnel que sanitaire.
Par ailleurs, ils permettent de préserver l’intensité et la puissance du cacao, mais aussi la noblesse des arômes originels des fèves aux notes sauvages et végétales.
Aujourd’hui, ceux qui osent délaisser les processus classiques de torréfaction et de conchage à chaud au profit de procédés novateurs – à même de mieux respecter les matières premières et de mettre davantage en valeur leurs parfums subtils et complexes – sont encore peu nombreux.
Néanmoins, quelques artisans se sont déjà lancés dans l’aventure avec audace et gourmandise. Ils confectionnent ainsi des chocolats qualifiés de « crus », qui allient à la fois excellence gustative et bienfaits nutritionnels.
Des déclinaisons variées propices à de nombreuses utilisations en cuisine
Au-delà des traditionnelles tablettes de chocolat disponibles dans le commerce, le cacao se décline sous plusieurs formes, qui présentent chacune des caractéristiques spécifiques.
Plutôt utilisées pour réaliser de savoureuses recettes sucrées en France, les différentes déclinaisons du cacao entrent aussi dans la composition de différents plats salés en Amérique du Sud, en Espagne ou en Italie.
À l’état brut, on retrouve les fèves entières de cacao crues ou torréfiées. Elles peuvent être dégustées telles quelles à tout moment de la journée et constituent un en-cas à la fois léger et stimulant. Dénuées d’édulcorants, leur délicate amertume peut surprendre, bien qu’elles restent cependant plus douces qu’une tablette de chocolat noir à la teneur complète en cacao.
Épluchées et concassées, les fèves se transforment alors en pépites. Outre leurs arômes chocolatés, elles apportent une texture croustillante à de nombreuses préparations et s’intègrent par exemple très bien à des céréales ou à des porridges. Elles peuvent également être saupoudrées sur des gâteaux, ou incorporées à des salades de fruits.
Quant à la poudre de cacao, elle représente évidemment un ingrédient indispensable à la confection de boissons réconfortantes, à consommer chaudes ou froides, mais agrémente aussi de multiples recettes sucrées ou salées.
Elle peut ainsi servir à préparer des glaces et des crèmes, des pâtes à tartiner ou des confiseries comme les truffes, ou encore des collations saines et tonifiantes comme les energy balls.
La poudre de cacao permet aussi de rehausser la saveur de chilis et de divers mélanges d’inspiration mésoaméricaine, destinés par exemple à garnir tacos et autres tortillas. Enfin, en petites quantités, elle peut également être associée à plusieurs pâtes à base de céréales, afin de confectionner du pain qui accompagnera à merveille différents fromages.
La pâte de cacao s’avère aussi très utile pour lier les sauces, auxquelles elle confère un aspect brillant et velouté. Sans aucune adjonction de sucre, la pâte de cacao fondue apporte ainsi une touche d’acidité qui permet à la fois d’équilibrer et de sublimer le goût des plats de viandes ou de poissons.
Le fameux mole constitue d’ailleurs une sauce traditionnelle à base de cacao pur très appréciée au Mexique, où elle accompagne la dégustation de nombreuses volailles depuis la nuit des temps. La pâte de cacao peut également être râpée sur diverses préparations, comme des plats de pâtes, des risottos ou des salades.
Enfin, le beurre de cacao peut remplacer avantageusement les corps gras utilisés d’ordinaire pour la cuisson des aliments. Au même titre que l’huile de coco, il représente une matière grasse stable, supporte bien les températures élevées et dispose d’un point de fumée relativement haut.
À froid, il s’avère aussi très utile pour chemiser tout type de moules. De plus, le beurre de cacao se conserve plusieurs mois sans se dégrader. Son odeur relativement neutre exprime de subtils arômes chocolatés, qui parfument de nombreuses recettes de façon originale.
Râpé sur des pâtes, du riz ou des salades, il se confond avec le parmesan et permet ainsi de réaliser de jolis trompe-l’œil. Enfin, il entre aussi dans la composition des chocolats faits maison et de diverses pâtisseries.
Un aliment plus sain, qui reste synonyme de douceur et de volupté
Le cacao offre ainsi des déclinaisons aux saveurs et aux textures très variées, en mesure d’agrémenter de façon créative de multiples préparations. Passer des graines de cacao brutes aux différentes formes transformées exige cependant la mise en œuvre de techniques et de procédés à la fois rigoureux et sophistiqués.
Héritées de l’expérience et du savoir-faire ancestral des peuples précolombiens – qui furent les premiers à cultiver les plants de cacao, il y a plusieurs milliers d’années – les méthodes de transformation ont peu à peu évolué et se sont perfectionnées à travers le développement de nouvelles technologies.
L’essor récent de procédés innovants permet désormais de mieux préserver les remarquables propriétés nutritionnelles de cette précieuse denrée, afin de réunir plaisir et vitalité. Il serait vraiment dommage de s’en priver.
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