SCIENCE

Café au lait, ondes gravitationnelles et univers primordial

mars 28, 2018 8:09, Last Updated: mars 27, 2018 23:05
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Le 11 février 2016 est une date qui restera gravée dans l’histoire de l’astronomie avec l’annonce officielle par les laboratoires LIGO et Virgo de la première observation directe d’une onde gravitationnelle. L’article publié dans la prestigieuse revue américaine Physical Review Letters présente la détection qui a été faite en septembre 2015 sur les deux sites américains jumeaux LIGO distants de 3 000 km.

Il s’agit de la fusion de deux trous noirs en un plus gros trou noir de masse toutefois inférieure à la somme des deux masses initiales. La différence – environ trois fois la masse du Soleil – a été transformée en rayonnement d’ondes gravitationnelles.

À l’instar des rides concentriques produites sur une étendue d’eau lorsqu’un élément extérieur, par exemple un caillou que l’on jette, vient perturber ce milieu, une onde gravitationnelle est une ride de l’espace-temps qui se propage à la vitesse de la lumière, soit environ 300 000 km/s. Le concept d’espace-temps a été introduit pour rendre compte de l’indissociabilité de l’espace et du temps. Par exemple, le temps s’écoule plus rapidement dans l’espace que sur Terre où la gravitation est plus forte. Le système GPS ne serait pas aussi précis sans la prise en compte de cette différence.

En 1915 Albert Einstein propose une nouvelle conception de l’espace, du temps et de la gravité : c’est la théorie de la relativité générale. Pour Einstein, le mouvement d’un corps n’est pas déterminé par des forces, mais par la géométrie de l’espace-temps qui constitue le tissu de l’univers.

Tout ce qui se déplace traverse l’espace-temps et tout ce qui possède une masse le déforme ; plus la masse est importante, plus la déformation est prononcée. Ainsi le Soleil courbe l’espace-temps telle une balle créant une dépression sur un tissu élastique. En se propageant, l’énergie de l’onde gravitationnelle se dilue et par conséquent son amplitude décroît. Aussi, lorsqu’en septembre 2015 LIGO parvient à détecter une onde gravitationnelle produite il y a un peu plus d’un milliard d’années, c’est un signal extrêmement ténu qui est mesuré !

Une nouvelle astronomie

Cette nouvelle astronomie, qualifiée de gravitationnelle, est révolutionnaire car en principe elle peut nous permettre de sonder les tout premiers instants de l’univers. La densité de matière y étant trop forte pour libérer les ondes électromagnétiques (la lumière originelle), l’univers primordial reste totalement opaque aux plus puissants télescopes.

Les ondes gravitationnelles n’ont pas cette contrainte et ont pu s’échapper emportant avec elles une empreinte de la physique du Big Bang. Cette physique reste très spéculative car les expériences de laboratoire comme celles du CERN à Genève ne peuvent atteindre que des conditions équivalentes à environ 10-11s(et une température de 1015°C), ce qui est infiniment loin des conditions de l’univers lorsque celui-ci n’avait qu’environ 10-35s(et 1028°C).

Vue d’artiste de deux trous noirs massifs spiralant l’un vers l’autre jusqu’à fusionner en un seul. (Aurore Simonnet/LIGO)

À cet instant, un phénomène d’une extrême violence se serait produit : une expansion fulgurante de l’univers appelée inflation lui aurait permis de grossir d’un facteur astronomique (au moins 1030) en une infime fraction de seconde (moins que 10-32s). Ce scénario proposé au début des années 1980 permet d’expliquer les propriétés du rayonnement fossile – la première lumière de l’univers émise environ 400 000 ans après le Big Bang quand celui-ci, moins dense à cause de son expansion, perd son caractère opaque.

En effet, ce rayonnement fossile est d’une très grande homogénéité sur tout le ciel. Comment deux régions éloignées du ciel qui n’ont pas eu le temps de communiquer entre elles peuvent présenter une telle similitude ? La théorie de l’inflation répond à cette question en proposant que deux points initialement très proches et donc ayant pu échanger de l’information (s’homogénéiser) se seraient retrouvés très éloignés après une expansion de l’univers à des vitesses supérieures à la vitesse de la lumière. Une question demeure : quel est le mécanisme physique à l’origine de l’homogénéisation de l’univers primordial ?

L’univers primordial

C’est en se posant une question en apparence anodine, « que se passe-t-il lorsque deux ondes gravitationnelles se rencontrent ? », qu’une réponse inattendue surgit : la turbulence produite par les ondes gravitationnelles a la propriété d’homogénéiser efficacement l’univers.

La question posée peut sembler a priori peu intéressante car les ondes détectées depuis 2016 sont infiniment faibles. Dans ce cas, la physique est dite linéaire et les deux ondes se traversent sans se voir. La situation est bien différente pour l’univers primordial.

À l’image de l’eau qui, en se refroidissant, passe de l’état liquide à l’état solide à 0 °C (on parle d’une transition de phase), l’univers primordial subit aussi une transition de phase après environ 10-35s. À cet instant, certaines forces de la nature se séparent. Il s’agit de l’interaction forte et de l’interaction électrofaible : la première régit la physique à l’intérieur des noyaux atomiques et la seconde celle de la radioactivité et de l’électromagnétisme (qui sont en fait deux interactions différentes mais encore unies à ces températures).

Cette transition de phase s’accompagne d’un phénomène très violent : des bulles de vide sont créées, grossissent et rentrent en collision, générant de puissantes ondes gravitationnelles. C’est aussi pendant cette période que l’univers subit une inflation. Un traitement non linéaire est alors nécessaire pour comprendre ce qui se passe lorsque deux ondes – ou une multitude d’ondes – se rencontrent.

Cascade d’équations

C’est le sujet de l’article théorique présenté fin 2017 dans la revue Physical Review Letters. Ce travail s’appuie sur des méthodes mathématiques rigoureuses appliquées aux équations de la relativité générale afin de comprendre la réaction de l’espace-temps à une excitation initialement produite à une échelle spatiale Lf.

Dans ce scénario, Lf correspond à la longueur d’onde typique des ondes gravitationnelles produites par les collisions des bulles de vide. On peut montrer dans cette situation que des fluctuations de l’espace-temps sont générées à la fois à des échelles de plus en plus petites et à des échelles de plus en plus grandes que Lf.

Dans le premier cas, on parle de cascade directe vers les petites échelles ; celle-ci est limitée par l’échelle de Planck (10-35m) sous laquelle la gravité quantique domine. Dans le deuxième cas, c’est une cascade inverse qui a la propriété remarquable d’être explosive, avec en principe la possibilité d’exciter des fluctuations jusqu’à une échelle infinie en un temps fini.

Le mécanisme décrit s’arrête, cependant, à l’échelle où la turbulence change de régime pour devenir forte. Le phénomène de cascade est bien connu des mécaniciens des fluides : à l’image de l’eau d’une rivière qui rencontre un obstacle, par exemple un rocher, des tourbillons de tailles variées, plus petites que l’obstacle, sont créés en aval ; il s’agit alors d’une cascade directe.

Le pouvoir de mélange de la turbulence est bien connu : si vous déposez un nuage de lait dans votre café, la couleur café au lait n’apparaîtra qu’après plusieurs minutes, alors qu’un coup de cuillère suffira pour mélanger les liquides quasiment instantanément. À l’instar du café au lait, le mécanisme de turbulence d’ondes gravitationnelles a le pouvoir d’homogénéiser efficacement les fluctuations primordiales de l’univers. Cette propriété est importante car elle offre un mécanisme original qui ne nécessite pas l’introduction de nouveaux concepts comme dans le scénario d’inflation. Par ailleurs les solutions obtenues sont analytiques, c’est-à-dire non entachées d’approximation.

À l’heure où de nombreuses questions cosmologiques restent ouvertes (origines de l’énergie sombre, de la matière sombre ou de l’inflation ; nature de la turbulence autour des trous noirs), la physique non linéaire pourrait apporter des réponses originales et surprenantes.

Sébastien Galtier, Professeur de physique à l’Université Paris-Sud, École Polytechnique – Université Paris-Saclay

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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