SANTÉ & BIEN-ÊTRE

Cancer ou vieillissement : quand la communication cellulaire passe mal, une conversation avec Benoît Roux

mars 26, 2018 8:06, Last Updated: mars 25, 2018 23:48
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Dans ton laboratoire à l’Université de Chicago, tu travailles sur la communication cellulaire…

Mon labo comprend une vingtaine de personnes dont quatre ou cinq sont impliqués dans des travaux expérimentaux. Les trois-quarts du labo travaillent exclusivement avec des méthodes théoriques. Entre autre, la méthode appelée « dynamique moléculaire » est centrale à notre travail. Cette méthode consiste à créer un modèle atomique d’un système ainsi que des forces microscopiques, et à propager la trajectoire des atomes à partir de l’équation classique de Newton, « F=MA ». Cette trajectoire numérique – une approximation de la réalité – est un outil puissant pour aider à comprendre comment les mouvements dynamiques des atomes influencent la fonction des macromolécules biologiques (ADN, ARN et protéines). Les principaux objets que nous étudions sont les canaux ioniques et les kinases.

Notre objectif est de comprendre ces protéines et ces enzymes qui contribuent à la signalisation cellulaire au niveau atomique et moléculaire. Pour cela, nous faisons, entre autres, des simulations de dynamique moléculaire, dans lesquelles tous les atomes, notamment ceux de la membrane cellulaire, sont représentés. Au niveau expérimental, nous essayons de déterminer la structure de protéines au moyen de la cristallographie et de la diffraction des rayons X.

Les canaux ioniques sont des protéines qui permettent le passage des ions à travers la membrane cellulaire. Formée de phospholipides, cette dernière est plutôt imperméable aux ions. C’est pourquoi des protéines spécialisées sont nécessaires.

Représentation d’un modèle atomique de canal potassique. (S. Bernèche, B. Roux, _Nature_, Author provided)

Les kinases, elles, sont des enzymes. Il en existe des centaines chez les humains, on appelle l’ensemble : kinome. Nous nous intéressons plus particulièrement aux tyrosines kinases, des enzymes qui servent à catalyser le transfert du dernier phosphate d’une molécule d’ATP à des résidus tyrosines de protéines cibles. C’est le processus de phosphorylation.

Lorsqu’une protéine est affectée par ce « signal chimique », sa fonction biologique est activée, et des réseaux comprenant plusieurs autres protéines en aval seront alors activées (ou inhibées) en cascade. Les canaux ioniques eux-mêmes peuvent être soit activés ou inhibés par la phosphorylation.

Souvent, quand les kinases deviennent actives hors de tout contrôle (perte d’inhibition), cela peut causer un cancer : la tyrosine kinase Src (pour sarcoma) est l’une des premières protéines dont on a identifié, à la fin des années 1970, qu’elle pouvait induire l’apparition de tumeurs et de cancers (proto-oncogène).

Parmi les médicaments les plus prometteurs pour lutter contre les effets du cancer, on trouve les inhibiteurs de kinases – très étudiés par l’industrie pharmaceutique.

Le cancer est donc lié à une communication cellulaire déficiente. Mais cela concerne aussi le vieillissement, n’est-ce pas ?

On pourrait définir le vieillissement comme le déclin des tissus biologiques et des cellules : une baisse de leurs capacités à croître, se reproduire, communiquer entre elles, s’adapter et se transformer.

Le vieillissement est un processus normal, tandis que dans le cas du cancer les cellules deviennent très « têtues » et veulent se multiplier rapidement, un peu comme les cellules d’embryon. Celles cancéreuses ne répondent plus aux signaux qui leur disent d’arrêter de se reproduire. À l’opposé de ça, les cellules qui ont subi le vieillissement sont inhibées dans leurs capacités à se reproduire. Certains travaux suggèrent que le vieillissement serait une sorte de barrière naturelle contre la prolifération des tumeurs.

Ce qui fait vieillir les cellules, ce sont les signaux biologiques qui ne sont plus communiqués ou compris de façon claire.

Si la capacité des cellules à transformer ces signaux est inhibée, cela va affecter le vieillissement. De la même façon, le passage d’ions au travers de la membrane d’une cellule au travers de canaux ioniques est une sorte de grand système de communication et de signalisation cellulaire.

Beaucoup de cellules perçoivent des changements de leur environnement par les canaux ioniques : c’est sans doute le radar principal des cellules pour comprendre ce qui se passe autour d’elles. Lorsque cela ne fonctionne pas bien, cela affecte la communication cellulaire et il y a certainement un effet sur le vieillissement des cellules.

On peut aussi évoquer les agents oxydants qui sont produits par des « fuites », notamment au niveau de la chaîne respiratoire. Des électrons sont éjectés par erreur et produisent des ions d’oxygène dits super-oxydes (radical anion O2-•). Ces ions ont tendance à vouloir former des liaisons chimiques de manière désordonnée. Si jamais ils viennent à se lier à des canaux ioniques, cela peut affecter énormément leur fonction et donc l’état de santé de la personne vieillissante.

Par exemple, si le canal sodique est inhibé par ces agents oxydants, les neurones vont perdre leur capacité à générer des potentiels d’action. On suppose que cela peut affecter la mémoire, dont la formation dans l’hippocampe implique ces canaux.

Tu es avant tout un théoricien de formation. Ton groupe utilise énormément le calcul à haute performance. La théorie a donc un rôle déterminant dans la recherche de nouvelles réponses pharmacologiques au cancer ou au vieillissement.

Mon laboratoire est avant tout un laboratoire théorique. Lorsqu’on s’intéresse à un système biologique, on commence au niveau fondamental. À la base, j’ai une formation de physicien : J’aime bien comprendre comment les choses fonctionnent au niveau atomique et moléculaire.

Le rôle de la recherche théorique est de clarifier de la façon la plus nette possible les aspects les plus fondamentaux de ces systèmes. De plus, quand on veut essayer de fabriquer des médicaments, la manière de comprendre comment ils fonctionnent se situe au niveau atomique ou moléculaire.

On ne peut pas envisager de pharmacologie efficace sans modèle atomique éprouvé par la théorie ?

On peut découvrir et optimiser un médicament de façon complètement empirique, sans jamais connaître sa cible biologique au niveau atomique. C’est possible. Mais l’industrie pharmaceutique n’est plus prête à investir des centaines de millions sur des projets sans jamais avoir vraiment identifié et caractérisé les propriétés de la cible biologique au niveau atomique.

Les calculs que nous faisons sont de plus en plus nécessaires pour avoir une base rationnelle pour comprendre les propriétés des macromolécules biologiques. La théorie illumine la manière dont fonctionne une protéine : c’est une sorte d’assurance avant de s’engager dans une coûteuse recherche expérimentale.

Nous avons lancé le Laboratoire International Associé entre le CNRS et l’Université de l’Illinois. Depuis peu, tu es également professeur invité dans la cadre du programme Lorraine Université d’Excellence. L’enjeu est de décloisonner la recherche pour répondre à des défis sociétaux : nous avons réuni des mathématiciens, des biophysiciens théoriciens et des biologistes. Qu’attends-tu d’un tel laboratoire franco-américain ?

Les contacts humains et les collaborations internationales sont primordiaux en recherche scientifique. Aux côtés des expérimentateurs, le nouveau laboratoire sans murs comprend pour moitié des théoriciens. Ces théoriciens ne se contentent pas d’appliquer des méthodes ; ce sont des penseurs et des créateurs de méthodes.

Le laboratoire sans murs regroupe de véritables virtuoses des mathématiques, de la biophysique théorique et de la biologie. Au travers des compétences qui sont réunies, nous couvrons un spectre de systèmes biologiques très riche. Il va à coup sûr y avoir des développements méthodologiques qui vont changer la manière dont les gens font des calculs. C’est ce qui me motive – trouver les meilleures méthodes pour aborder les problèmes avec la meilleure efficacité possible.

Christophe Chipot, Directeur de recherche, Université de Lorraine et Benoît Roux, professeur de biochimie et de biologie moléculaire, University of Chicago

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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