Le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump laisse présager des conséquences sur les échanges commerciaux mondiaux, notamment pour l’Europe.
En dépit d’appels répétés ces derniers mois à une plus grande autonomie stratégique européenne, l’Europe semble prise de court face à un second mandat qu’elle espérait éviter et n’a plus d’autres choix que celui du sursaut face à son protectionnisme annoncé.
« L’Union européenne, déjà affaiblie par la concurrence des véhicules électriques chinois moins chers et la fin de sa dépendance au gaz russe, est confrontée à une situation précaire. Une guerre commerciale avec les États-Unis pourrait encore accélérer les difficultés économiques du continent, en particulier dans son secteur manufacturier, qui a déjà été fortement touché » explique John Plassard, spécialiste de l’investissement pour Mirabaud.
Le patronat européen appelle à une baisse des normes européennes et à un assouplissement de la politique environnementale qui « tue l’industrie, l’agriculture et la compétitivité ».
L’Europe appelée à écrire son histoire
Les dirigeants européens ont tenté le 7 novembre à Budapest d’afficher un front uni face au retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. « Nous avons démontré que l’Europe pouvait prendre son destin en main quand elle était unie », a assuré la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
« C’est un moment de l’Histoire, pour nous, Européens, qui est décisif », a asséné de son côté le président français Emmanuel Macron. « Au fond, la question qui nous est posée, voulons-nous lire l’Histoire écrite par d’autres – les guerres lancées par Vladimir Poutine, les élections américaines, les choix faits par les Chinois – ou est ce qu’on veut écrire l’Histoire? »
Hasard des soubresauts de la politique au sein des 27, le président français a fait ces déclarations en l’absence du dirigeant de l’autre poids lourd du bloc européen : l’Allemagne. Confronté à l’éclatement de sa coalition, le chancelier Olaf Scholz n’était pas présent.
Mais l’enthousiasme des paroles ne cache pas des voix critiques qui appellent à plus de réalisme. « Pour dire les choses clairement, je ne pense pas qu’ils se soient véritablement préparés à un tel scénario », commente Guntram Wolff, du centre de réflexion pro-européen Bruegel. « Il n’y a pas de plan élaboré sur la marche à suivre, que ce soit au niveau européen ou au niveau franco-allemand. »
Les conséquences pour les entreprises européennes
En Europe, l’automobile pourrait être particulièrement concernée par une politique plus protectionniste des États-Unis. Chaque année, plus d’un million de véhicules s’échangent entre l’UE et l’Amérique du Nord, selon l’association européenne des constructeurs. L’Allemagne sera la plus exposée, les États-Unis représentant son deuxième marché d’exportation pour les véhicules après la Chine.
Les gros constructeurs ont toutefois une implantation aux États-Unis qui pourrait leur permettre de contourner le problème. C’est en tout cas ce qu’a fait valoir Oliver Zipse, le patron de BMW, qui a un gros site de production à Spartanburg en Caroline du Sud « […]. Tout est produit aux États-Unis. Il existe donc une certaine protection contre d’éventuels droits de douane », a-t-il expliqué.
Même incertitude pour la chimie, notamment en Allemagne, le pays de mastodontes comme Bayer ou BASF : les États-Unis sont le marché d’exportation le plus important pour les produits chimiques et pharmaceutiques allemands hors UE.
De son côté, la France exportait en 2022 plus de 17 % de ses médicaments vers les États-Unis, son premier marché hors Europe. Selon Allianz, le secteur pharmaceutique est lui aussi exposé, notamment en Irlande, en Suisse et en Belgique. Même si ses experts n’anticipent pas de « choc commercial » sur ces produits, vaccins ou dispositifs médicaux.
L’annonce du deuxième mandat de Trump ravive des souvenirs douloureux dans le secteur de l’agroalimentaire, en particulier pour les viticulteurs. Les États-Unis sont le premier débouché des vins français à l’export. Or, des taxes douanières de 25 % avaient été imposées en octobre 2019 par l’administration Trump sur certains produits, dont des fromages, des vins, puis le cognac. Des droits de douane punitifs sur cette eau-de-vie de vin compliqueraient significativement la vie des producteurs, déjà touchés par des mesures similaires de la part de Pékin.
L’Europe « a deux mois pour se préparer »
Les patronats des trois plus grosses économies européennes (Allemagne, France, Italie) réclament des mesures en faveur d’une énergie bon marché, où le nucléaire serait favorisé à égalité avec les autres solutions décarbonées, ou encore la suppression de celles des 13.000 lois votées depuis 2019 par l’UE qui n’ont pas atteint leurs objectifs.
Ils demandent également une hausse à 3 % du PIB des investissements en recherche et développement (R&D), ou la mise en place d’un marché unique des capitaux, pour favoriser les investissements dans les technologies d’avenir.
Les normes européennes, jugées très lourdes, sont également critiquées unanimement.
Le ministre italien des Entreprises, Adolfo Urso, a suggéré « de supprimer deux normes pour chaque norme nouvelle ». Il ne faudrait pas « construire un monde de l’idéologie qui enlisera la réalité », a-t-il soutenu, tandis que le président de la Confindustria – le patronat italien -, Emanuele Orsini, jugeait que « la bureaucratie étrangle l’industrie italienne ».
Le secrétaire d’État allemand à l’Économie et à l’Action climatique Bernhard Kluttig, tout comme la directrice générale du BDI (syndicat patronal allemand) Tanja Gönner, ont insisté sur la nécessité de s’attacher davantage à « l’innovation » en Europe, M. Kluttig insistant sur une poursuite des « transformations verte et numérique ». « Mais on a tendance à trop compliquer les choses, à réglementer dans les plus petits détails », a-t-il regretté.
Le ministre de l’Économie français, Antoine Armand, a souligné que l’UE avait créé la « première régulation au monde de l’intelligence artificielle », recommandant « d’encourager ceux qui créent, plutôt que d’abord mettre le couvercle sur une casserole qui n’a pas encore bouilli ». Le président du Medef, Patrick Martin, a quant à lui averti que l’Europe avait “deux mois pour se préparer », avant le début du nouveau mandat Trump.
Sortir de l’angélisme
En présence de la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, et d’Antonio Tajani, ministre italien des Affaires étrangères, Patrick Martin a appelé l’Europe à se « départir d’une certaine forme d’angélisme, de passivité, voire de déconnexion vis-à-vis du reste du monde » à l’occasion du 6e Forum économique trilatéral France-Allemagne-Italie, le 21 novembre.
Il a jugé qu’il fallait « réconcilier les indispensables objectifs environnementaux et sociétaux avec les tout aussi indispensables performances économiques ».
« L’Europe a deux mois pour s’organiser de façon à transformer en profondeur et rapidement ses politiques économiques. Passé ce délai, le choc sera rude, alors que nos performances actuelles sont déjà fragiles », a-t-il prévenu.
Pour la BDI allemande, la directrice générale Tanja Gönner a appelé l’UE à agir « sans bureaucratie supplémentaire » et la nouvelle Commission à mener des actions « concrètes et rapides » en faveur de l’économie. Elle a souhaité « une évolution qui équilibre bien mieux qu’avant les considérations écologiques et économiques ».
Le président italien de la Cofindustria, Emanuele Orsini, s’est inquiété de directives, comme le système d’échange de quotas d’émissions, « qu’il faut modifier sous peine de supprimer des secteurs industriels en Europe », comme l’automobile ou la céramique.
« On n’a pas le temps de bavarder, il faut [agir] dès le début du travail de la nouvelle Commission » européenne, a-t-il lancé, demandant un « changement de position par rapport à la Commission sortante » : « On ne peut pas avoir une politique environnementale qui tue l’industrie, l’agriculture et la compétitivité » a-t-il conclu.
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