NEW YORK — Dans les rues de Flushing, dans le Queens, Xin Xiulu, 72 ans, joue du erhu, un instrument chinois ancien à deux cordes, pour quelques billets froissés laissés par les passants. C’est à des années lumière de la position confortable qu’il occupait dans le passé en Chine : celle d’un musicien professionnel qui a étudié au Conservatoire Central de Musique de Chine et a joué les premiers rôles dans sa troupe lors de tournées internationales.
Mais il y a plus de 25 ans, la conscience de Xin l’a placé sur un autre chemin.
En 1989, il est passé d’artiste respecté à dissident politique, lorsqu’il a été témoin du brutal massacre du 4 Juin 1989 sur la place Tiananmen et a décidé d’apporter son aide aux victimes.
Vivant à l’époque sur le campus d’un hôpital à plusieurs kilomètres du carnage, Xin n’était pas avec les manifestants à la place Tiananmen, dans la capitale, Pékin. Le lendemain du massacre, il a simplement convoyé les blessés et les morts dans les établissements hospitaliers.
Obéissant aux ordres des hauts dirigeants du Parti communiste, l’Armée de libération du peuple a abattu des milliers d’étudiants qui manifestaient, ainsi que des civils sur la place Tiananmen et ses environs.
Au bout de quelques jours, Xin a été arrêté dans le cadre d’un large ratissage effectué par la police pour trouver ceux qui ont « aidé », ce que les médias d’État avaient rapidement appelé une rébellion contre-révolutionnaire.
‘Des soldats brigands’
Ayant grandit avec l’essor du Parti communiste, Xin, comme beaucoup de ses pairs, était un grands défenseurs du Parti.
« J’aimais profondément le Parti communiste et Mao Zedong », a déclaré Xin. « J’étais prêt à faire don de mon corps, s’il pouvait servir d’élixir d’immortalité pour Mao. »
Avant même les événements de Tiananmen, les tortures et l’humiliation qu’il a endurées en prison, Xin avait déjà commencé à remettre en question la ligne idéologique officielle. « Dans les années 1980, j’étais le musicien en chef de notre Troupe Culturelle Yuan Yang Arts. C’était au lendemain de la Révolution culturelle et beaucoup de chinois commençaient à détester le Parti communiste. »
Le massacre et ses épreuves ultérieures lui ont ôtés tout doute.
« Les soldats étaient devenus complètement fous, ils riaient aux éclats et tiraient dans tous les sens », se rappelle-t-il. « Plus tard, ces brigands de soldats m’ont assénés des coups avec les crosses de leurs fusils. »
Le patron de Xin Xiulu et responsable de la troupe musicale a réussit à le faire libérer de prison en décembre, mais les accusations criminelles sont restées — des preuves ont été montées de toutes pièces stipulant qu’il avait frappé un policier— et il a été contraint à une retraite anticipée.
L’année suivante, il s’était rendu en Hongrie, pays qui venait de se libérer du communisme, mais n’exigeait pas de visa pour les ressortissants chinois. Mais son désir de justice croissait sans cesse.
« J’ai pensais au policier qui m’avait accusé de l’avoir frappé, me disant qu’il avait peut-être été réellement battu, qu’il s’était trompé de gars et m’avait accusé à la place. » En 1997, Xin est retourné en Chine.
Il a décidé de faire appel en envoyant une lettre aux autorités, mais il n’a reçu aucun retour. Par contre son téléphone a été placé sur écoute et il a été harcelé à nouveau. Ses deux filles ont également été marginalisées à cause des « crimes » de leur père et l’une d’elle s’est vue refuser l’entrée à l’Université de Pékin.
« Mon histoire n’est pas que le problème d’un citoyen avec un ou deux agents de police. Il s’agit d’un crime commis par le Parti communiste chinois », insiste-t-il.
Tragédie dans le monde de l’Art
Xin est également l’auteur d’un roman intitulé « Yi Hai Bei Ling » ou « Les Âmes misérables du monde de l’art ». C’est une tragique histoire d’amour qui remonte aux premiers jours de la révolution dans les années 1940. Même si la censure avait tiré à boulet rouge sur le livre, ce dernier a finalement été retiré des rayons de Pékin, moins d’une semaine après sa publication en 2005.
« Quand je suis allé voir le directeur de la Librairie Xinhua, contrôlée par le Parti, il m’a dit que mon livre était contre-révolutionnaire », se souvient-il.
Xin s’est défendu, expliquant que son livre était contre la corruption et contre les abus de pouvoir, pas contre-révolutionnaire.
Il a obtenu cette réponse lapidaire : Tout livre, qui se dit contre la corruption ou contre les abus de pouvoir, est un « livre contre-révolutionnaire ».
« J’aime vraiment la terre et le pays où j’ai grandi », a déclaré Xin. « Mais je n’aime pas du tout le pays tel qu’il est gouverné par les fonctionnaires corrompus du Parti. Je n’aime pas ce Parti-État et j’ai hâte qu’il disparaisse. »
Depuis son arrivée aux États-Unis au mois de mai, Xin déclare être devenu un participant actif de la scène dissidente chinoise. A ce jour, grâce à ses performances avec son erhu, il a déjà fait don de 500 $ aux défenseurs des droits en Chine, dont il loue le travail dans la protection des laissés-pour-compte et des accusés à tort.
« Ces avocats sont remarquables, parce qu’au lieu de prendre des affaires qui leur rapporteraient une fortune, ils plaident en faveur des gens dont les maisons ont été démolies », a déclaré Xin, en référence aux citoyens chinois ordinaires dont la propriété est détruite par les promoteurs immobiliers liés au régime. « Ils ne gagnent pas un centime. »
« Je n’ai plus mon habileté d’antan », admet Xin. « Une des raisons est que je prends de l’âge ; l’autre est que mes mains ont été blessées lorsque j’ai été battu en prison. Après avoir joué un moment je commence à ressentir des douleurs dans mes mains. »
Article rédigé avec la contribution de Frank Fang.
Version anglaise : The Chinese Musician Who Chose Conscience Over Communism
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