ENTRETIEN – Du scrutin législatif, aucun des trois principaux blocs politiques n’en ressort gagnant, mais il augure le début d’une crise de régime, estime Céline Pina. Pour l’essayiste, le front républicain a permis de relancer efficacement le théâtre antifasciste contre le Rassemblement national, « un parti qui ne revendique pas une idéologie fasciste, mais qui permet depuis des années à des élites politiques en échec de conserver le pouvoir ». Une classe politicienne qui, à ses yeux, a choisi « la lâcheté et la compromission » en s’alliant avec la France insoumise, un « parti véritablement en train de sombrer dans le fascisme ».
Epoch Times : À l’issue du second tour de ces législatives, de nombreux commentateurs évoquent un échec électoral du Rassemblement national, malgré sa progression en sièges au sein du Parlement. Quelles leçons tirez-vous de ce scrutin ?
Céline Pina : Il convient d’examiner les scores réalisés par les différents partis en nombres de voix pour bien comprendre la situation électorale. En valeur absolue, le Rassemblement national arrive, en réalité, en tête du second tour, puisqu’en combinant les suffrages de ses électeurs et de ceux des Républicains (LR) qui se sont alliés avec eux, le parti de Marine Le Pen dépasse largement les 10 millions de voix. À l’inverse, l’ensemble des forces politiques qui composent le nouveau Front populaire en recueillent environ 8 millions. Il existe donc au sein du pays une dynamique profonde en faveur du Rassemblement national, que l’on constate élections après élections.
Cependant, la réalité du plafond de verre demeure, tandis que le front républicain continue de fonctionner efficacement. Cela signifie que les éléments qui font la mystique de notre fonctionnement politique – la référence à la Seconde Guerre mondiale – sont toujours en place. Cette vision des choses n’est pas forcément juste historiquement. Elle fait de la gauche l’héritière des Résistants, ce qui n’est pas si mathématique. Le FN, lui, ancêtre du RN, porte le stigmate de la collaboration.
C’est cet imaginaire qui est réactivé à chaque appel au vote barrage. Les gens ne se vivent pas comme des castors (c’est comme cela que l’on appelle les électeurs voués à faire barrage en s’asseyant sur leurs attentes), mais comme les héritiers de Jean Moulin. C’est d’autant plus gratifiant que cela ne coûte rien et rapporte beaucoup en fausse vertu. C’est d’autant plus destructeur que cela ne signifie rien de vrai : le RN n’est pas un parti qui revendique une idéologie fasciste, mais qui permet depuis des années à des élites politiques en échec de conserver le pouvoir.
Ce que nous observons à l’issue de ces élections, c’est la fin de la décomposition du corps politique. La crise politique n’est donc pas en train de se résoudre mais ne fait que commencer. La preuve ? Aucune réalité politique cohérente, aucun pouvoir clair n’émergent à l’issue de cette élection. Nous nous retrouvons avec une Assemblée ingouvernable, composée de gens condamnés à des alliances contre-nature. Le résultat est limpide dans son manque de clarté…
Une autre leçon confirmée par les urnes tient à ce que le succès du Nouveau Front populaire démontre le triomphe de la logique de La France insoumise. L’antisémitisme, le soutien au terrorisme – LFI ayant massivement soutenu le Hamas -, l’occultation de toute référence à la France au profit de la mise en avant de la cause palestinienne, ne sont plus, désormais à gauche, une ligne rouge infranchissable à la formation d’alliances électorales.
Toute la stratégie de l’union des gauches a consisté à exercer une pression sur les Français pour qu’ils votent à l’encontre de leurs préoccupations majoritaires concernant la sécurité, l’autorité, l’immigration et le pouvoir d’achat, au nom de la lutte contre le fascisme. Les Français devaient à l’occasion de ces élections prouver leur pureté, montrer qu’ils ne sont pas racistes. Toutefois, comment être vertueux en s’alliant avec des soutiens du terrorisme et de la violence politique ? Comment combattre un fascisme fantasmé quand cela aboutit à s’allier avec des antisémites revendiqués ?
Ce sont ainsi tous les repères politiques traditionnels qui ont sauté lors de cette élection, révélant l’effondrement du système politique, car une démocratie sans distinction claire entre le bien et le mal n’est pas viable. Ce processus de déliquescence morale augure des temps difficiles pour les Français.
En raison du delta qui sépare le score du Rassemblement national en valeur numérique du nombre de députés élus, le principe d’élections législatives à deux tours, rarement usité dans les autres pays démocratiques, fait l’objet de critiques. La France devrait-elle selon vous adopter un autre mode de scrutin ?
Le changement du mode scrutin transformerait-il, comme par magie, nos politiques, qui se sont révélés indignes de leurs fonctions, tout au long de cette campagne, en représentants responsables ? Le président, semblable à un adolescent capricieux qui se roule par terre dès qu’il est contrarié, et le dirigeant de LFI, éructant à l’écran tel un tyran des années 30, cesseraient-ils dans cette configuration de nous offrir ce spectacle désastreux propre à notre classe politique contemporaine ?
Le problème fondamental de notre vie politique ne réside pas tant dans notre mode de scrutin que dans la médiocrité de nos représentants, incapables de tracer une voie vers l’avenir et d’inspirer la confiance du peuple, qui hésite alors à les suivre.
Dans une publication sur X ce lundi 8 juillet, l’ancien ministre de la Santé d’Emmanuel Macron, Aurélien Rousseau, qui a rejoint le Nouveau Front populaire, a tenu à exprimer sa « gratitude à la presse », citant nommément France Bleu, Le Monde, Libération, La Croix et L’Humanité. « Leur travail a été indispensable et à la hauteur de ce moment historique. Une presse libre et de très haut niveau », a-t-il ajouté. Que ces déclarations vous inspirent-elles ?
Il est ridicule de saluer la liberté de la presse tout en affirmant qu’elle s’est mise au service de votre campagne électorale. Ces politiques encensent une presse libre uniquement lorsqu’elle se conforme à leurs opinions. En d’autres termes, ils ne louent pas la liberté de la presse, mais plutôt une presse d’opinion alignée avec leur idéologie.
Ce qui mérite davantage d’attention, c’est qu’Aurélien Rousseau incarne parfaitement la médiocrité de ce personnel politique, ivre de lui-même alors qu’en termes de résultats économiques et culturels, il est en échec et s’avère incapable d’incarner la nation et d’assurer la cohésion sociale.
Ces personnes se fantasment en chevaliers blancs, pourfendeur du retour du nazisme parce qu’ils ne risquent rien. Ils jouent aux résistants. Mais, mis au pied du mur, lorsqu’ils sont confrontés à des vrais partis en pleine dérive fasciste et violente comme LFI, ils s’allient à eux. Mis au pied du mur de la réalité, ils choisissent la lâcheté et la compromission et continuent à faire la leçon à tout le monde alors qu’ils se sont déshonorés par opportunisme. En vérité, ils ne constituent rien de moins qu’une classe privilégiée, favorisée, qui n’a plus ni repère ni idéal mais est prête à tout pour conserver ses avantages.
Ce à quoi nous avons assisté lors de cette élection est un exercice de culpabilisation et de manipulation massive. Certes, le Rassemblement national peut susciter un manque d’enthousiasme et des doutes quant à sa capacité à relever la France. Son histoire nécessite que les Français restent vigilants et demandent des comptes lorsque certains de ses candidats dérapent. Cependant, nous n’avions pas face à nous Hitler, ou des fascistes.
Les véritables fascistes, ceux qui en ont toutes les caractéristiques, sont à LFI : déshumanisation de leurs adversaires, recours à la violence politique, refus de reconnaître les résultats électoraux défavorables, antisémitisme, appels au meurtre de policiers décrits comme appartenant à une milice… Des gens qui cherchent aussi à refonder l’homme, à créer une humanité nouvelle en niant les réalités biologiques et en les faisant découler de la pure volonté humaine, à travers la question de l’autodétermination de genre. Ces critères révèlent ce qu’est un parti véritablement en train de sombrer dans le fascisme.
Et pourtant, Aurélien Rousseau et ses compères n’ont pas hésité à aller à la soupe et veulent aujourd’hui gouverner avec eux.
« Ce soir, c’est la preuve que lorsque la gauche s’unit, elle gagne. Ce soir, c’est aussi la preuve que lorsqu’une partie de la droite refuse de s’unir, elle reste indéfiniment aux portes du pouvoir », a déclaré Éric Ciotti dans sa conférence de presse après la publication des résultats. Durant cette campagne, nous avons vu des figures des Républicains, comme Xavier Bertrand qui a « appelé à voter en faveur » d’un candidat communiste, rejoindre le mouvement de barrage contre le RN. L’échec de l’union des droites est-il, comme l’affirme le président du parti, responsable de cette déception électorale ?
Éric Ciotti exprime des contre-vérités, puisque sous la Cinquième République, son parti est déjà arrivé au pouvoir sans avoir besoin d’une alliance avec le Rassemblement national. Certes, la situation actuelle est différente, mais la participation à cette élection ayant été très élevée, les Français portent eux-mêmes la responsabilité de la situation actuelle de leur pays, sans qu’il soit utile de chercher à désigner des coupables.
Si la droite souhaite simplement conquérir le pouvoir, elle ferait bien de suivre la même stratégie que la gauche, qui, ne s’appliquant aucune barrière morale, s’allie volontiers avec des antisémites sous prétexte de vouloir faire barrage au fascisme. Elle y gagnerait car le niveau de compromission atteint par la gauche dans son alliance avec LFI est indépassable et qu’aujourd’hui il est réellement moins honteux de tendre la main au RN qu’à LFI.
Cependant, si des alliances politiques incohérentes peuvent permettre de remporter des victoires à la Pyrrhus, elles ne permettent pas de gouverner efficacement. Et notre démocratie est en train d’en crever. Avec une majorité parlementaire fragile, le succès électoral reste vain. L’idée que l’union des droites suffirait pour gagner puis gouverner est donc trompeuse.
D’autant plus que la droite est nue : personne ne l’incarne, elle n’a ni discours ni idéal. On ne sait pas si LR est le décalque du PS ou celui du RN. Le parti n’est clair sur rien et ne répond pas au questionnement des Français sur l’immigration, tant il a peur d’être assimilé au RN.
C’est un parti qui ne sert plus à rien dans le débat public et qui survit grâce à l’implantation locale de ses notables. Pourtant il suffirait qu’il ait le courage d’être clair sur l’immigration et de réinvestir la question du travail pour retrouver des marges de manœuvre. Il ne le fait même pas et s’effondre en se ridiculisant en public et en se déchirant en face des caméras.
Avec la flambée des actes antisémites depuis le 7 octobre, la question de l’antisémitisme a occupé une place importante à l’occasion des débats des européennes, puis des législatives, qui se soldent avec l’entrée d’un militant d’extrême gauche fiché S au Parlement. Les Français de confession juive doivent-ils s’inquiéter du résultat de cette élection ?
À partir du moment où l’antisémitisme n’est plus une ligne rouge, où il devient accepté, voire utilisé comme argument de campagne – l’instrumentalisation du conflit au Proche-Orient n’est qu’une façade pour justifier la haine antisémite -, la situation devient alarmante.
Il y a même pire, LFI aux européennes passe de 6 à 10% d’intention de vote en mettant en avant un antisémitisme virulent rebaptisé antisionisme. Elle le fait en misant sur l’antisémitisme culturel arabo-musulman et cela marche. Elle fédère l’électorat musulman (66% ont voté LFI aux européennes) en ciblant les juifs et en tenant un discours sur les discriminations, victimisant les Français de confession musulmane. Le problème est que cela est faux, les Français sont un peuple chez qui le racisme est très bas et ceux qui se font agresser et insulter à cause de leur religion sont avant tout les juifs et les chrétiens. Et ces faits sont renseignés.
À ce titre, il est révélateur qu’un fiché S, connu pour son soutien au terrorisme depuis le 7 octobre et dont l’organisation qu’il dirige agresse des juifs parce qu’ils sont juifs, devienne député, sans que personne ne proteste : les alliés de LFI restent silencieux sur son antisémitisme, alors qu’ils en font des tonnes sur la question du racisme.
Si j’étais juive, je ne me sentirais aujourd’hui ni considérée ni protégée par mon pays. Je penserais aussi que mes élites me trahissent et me sacrifieront le moment venu sans lever le petit doigt.
Je mettrais donc de l’argent de côté, j’encouragerais mes enfants à apprendre des langues étrangères et un métier que l’on peut exercer partout, et je réfléchirais sérieusement à un lieu où m’installer, car les choses peuvent évoluer de manière extrêmement rapide, brutale et violente. Cependant, le nombre de pays sûrs pour les juifs, et sans doute pour tous les humanistes, se réduit de plus en plus, ce qui souligne l’effondrement moral, spirituel et intellectuel à l’œuvre dans nos sociétés.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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