Alors que le documentaire Salafistes vient à peine de sortir aux États-Unis, François Margolin – coréalisateur du film – est revenu sur les obstacles rencontrés au moment de sa sortie en France, le long-métrage ayant d’abord été interdit aux moins de 18 ans avant que l’interdiction ne soit ramenée aux seuls moins de 16 ans.
Présenté en France en janvier 2016, le documentaire réalisé par François Margolin et le journaliste mauritanien Lemine Oud Mohamed Salem a d’abord été interdit aux moins de 18 ans et accompagné d’un avertissement à la demande expresse de Fleur Pellerin – ministre de la Culture de l’époque.
Une décision rarissime pour un documentaire – elle est généralement réservée aux contenus pornographiques ou ultraviolents – que Mme Pellerin avait justifié en raison de « l’extrême violence » de certaines scènes diffusées sans commentaires.
« Compte tenu du parti pris de diffuser sans commentaires des scènes et des discours d’une extrême violence, j’ai décidé de suivre l’avis de la commission [de classification des œuvres du Centre national du cinéma (CNC), ndlr] », avait déclaré la ministre.
Un voyage terrifiant au cœur du fondamentalisme islamiste
Tourné au Mali, en Mauritanie, en Tunisie, en Irak et en Syrie pendant trois ans, le documentaire donne la parole à différentes figures du djihadisme membres de groupes terroristes comme Ansar Dine, le Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) ou Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI).
Une plongée au cœur du djihadisme qui dévoile la vie dans des cités comme Gao ou Tombouctou, contrôlées à l’époque par des groupes se réclamant de l’idéologie salafiste et ayant imposé la charia aux populations locales tombées sous leur joug.
Synonyme de censure, une interdiction du documentaire aux moins de 18 ans impacta très fortement la diffusion du film dans les salles obscures, peu de cinémas choisissant de mettre en avant ce type de contenus. En outre, une telle mesure empêchait également les chaînes de télévision de diffuser le film.
Saisi par les auteurs qui contestaient la décision de la ministre, le tribunal administratif de Paris avait finalement abaissé provisoirement l’interdiction aux moins de 16 ans, avant d’annuler purement et simplement la décision de Fleur Pellerin.
Balayant l’idée que le documentaire puisse « être regardé comme véhiculant une propagande en faveur de l’intégrisme religieux ou incitant, même indirectement, des adolescents à s’identifier à des mouvements prônant l’action terroriste », les juges avaient estimé que les scènes de violence incriminées par le ministère de la Culture participaient « par leur portée et la façon dont elles sont introduites dans le documentaire, […] à la dénonciation des exactions commises contre les populations ».
Le tribunal avait également considéré que la conception et le réalisme de ces scènes permettaient au public « de réfléchir et de prendre le recul nécessaire face à la violence des images ou des propos ».
Le ministère de la Culture avait alors décidé de faire appel de la décision du tribunal et de « prendre de toute urgence une mesure de classification provisoire » afin d’interdire le visionnage du film aux mineurs de moins de 16 ans et ce, « pour assurer la protection de la jeunesse et éviter que ce film puisse être accessible à tout public, dans l’attente du jugement de la cour administrative d’appel ».
« Les Américains se posent énormément de questions sur la France »
Dans le cadre d’un grand entretien accordé à nos confrères du Figaro à l’occasion de la sortie du documentaire aux États-Unis le 25 janvier 2019, François Margolin est revenu sur les difficultés rencontrées par le film au moment de sa diffusion en France.
Pour le réalisateur, si les Américains se sont intéressés au film, c’est d’abord « en raison du scandale qu’il a causé en France ».
« Un scandale qui a beaucoup choqué outre-Atlantique et qui a suscité des articles très nombreux dans la presse anglo-saxonne », ajoute-t-il.
Sorti à New York le 25 janvier dernier, le documentaire doit être diffusé « dans une trentaine de villes américaines ».
« Cette sortie US donne au film une image très différente de celle que le gouvernement français a essayé de lui donner à l’époque », explique François Margolin.
Il s’agirait d’ailleurs presque d’une sorte de « revanche » pour le cinéaste, encore marqué par les déboires rencontrés par le film en France où il a été diffusé « de façon limitée du fait qu’il était censuré ».
« Les Américains ont beaucoup entendu parler des attaques terroristes en France, ils se posent énormément de questions. Y compris sur la France. Ce film leur permet de répondre à quelques-unes de leurs questions », poursuit M. Margolin.
« On est dans la moralisation permanente des discours et des faits »
« En France, on oublie peu à peu ce qu’est réellement la liberté d’expression. On est dans la moralisation permanente des discours et des faits, et donc, le principe américain bête et méchant qui consiste à dire qu’on a le droit de tout dire fonctionne à bien des égards. Par ailleurs, il y a une lucidité américaine sur ce sujet à cause des milliers de morts américains en Irak et en Afghanistan, ou avec l’annonce du départ des troupes US de Syrie ces derniers jours. C’est quelque chose qui fait qu’il y a un vrai intérêt chez beaucoup d’Américains, que cela les concerne. »
Le réalisateur invoque également l’approche différente des Américains lorsqu’ils ont été confrontés au fondamentalisme islamique au moment des attentats du 11 septembre 2001.
« Ils ont un autre rapport que nous à l’islam. Dès le 11 septembre, ils ont commencé à s’y intéresser, vraiment. Et dans les jours qui ont suivi le 11 septembre, il y a eu des prises de position très fermes de la communauté musulmane pour dire que les terroristes n’avaient rien à voir avec elle. Des réactions que l’on aimerait bien entendre plus souvent en France… »
« On souffre du manque de prise de position claire sur le sujet en France, dans la communauté musulmane, hormis chez quelques intellectuels ou chez quelques écrivains. On a fini par tolérer que les responsables musulmans de France ne condamnent pas, ou ne prennent pas position plus clairement », regrette François Margolin.
« Notre film va à contresens du discours officiel sur l’islam »
Interrogé sur les raisons ayant poussé le ministère de la Culture à censurer le documentaire, le coréalisateur explique qu’il ne les comprend « toujours pas ».
« […] Et je ne comprends pas non plus que les différents ministres de la Culture qui se sont succédés depuis maintiennent la mesure. Avec obstination. Mais, en même temps, avec le recul, je vois mieux comment notre film va à contresens du discours officiel sur l’islam. Je pense qu’on ne peut pas voir le film sans penser que les djihadistes sont musulmans, et c’est cela qui gêne. »
« Mon propos n’est évidemment pas de dire que tous les musulmans sont des terroristes, mais il va à l’encontre de la doxa qui voudrait qu’il ne s’agisse que de fous, qu’on pourrait guérir avec des pilules rouges ou bleues, ou par des électrochocs, comme on faisait dans le temps, avec les dissidents, en Union Soviétique. En France nous sommes en plein déni. On est dans la psychiatrisation du terrorisme », affirme le réalisateur de L’Opium des Talibans et de La Pitié dangereuse.
« Or, comme on le voit dans Salafistes, très clairement, on a affaire à des gens dotés de raisonnements, qui obéissent à une logique. C’est un terrible désaveu que de constater que tout est beaucoup plus compliqué que de simples problèmes psychiatriques. »
« Nous voulions dépasser les idées reçues, en finir avec la culture de l’excuse. Et, contrairement à ce que disait un Premier ministre à l’époque, comprendre ce n’est pas justifier », assure F. Margolin.
« On est face à une forme fondamentale de déni français »
Selon lui, les mesures de restriction prises par le ministère de la Culture au moment de la sortie du documentaire en France témoignent du rapport ambigu qu’entretiennent les hommes politiques avec l’islam.
« Cette censure prouve juste qu’il y a une vraie volonté de nier que le salafisme est une tendance profonde et ancienne, très répandue dans l’histoire de l’islam, de manière récurrente à travers les siècles, et qui perdure dans certains États », confie le lauréat du prix Jean Vigo pour Elle et Lui en 1988.
« Je crois qu’on est face à une forme fondamentale de déni français. On nie totalement ce qu’il se passe en banlieue, on nie que certaines cités sont interdites aux policiers, on nie que les jeunes filles musulmanes, qui travaillent à Paris ou vont y faire du shopping, sont obligées d’avoir d’autres vêtements quand elles rentrent le soir en banlieue à cause des ‘grands frères’, on nie que les enfants juifs du 9-3 doivent aller à l’école tous les matins dans d’autres départements, on nie que la défense du frère de Mohamed Merah a été payée par des gens qui se sont cotisés dans les cités de la banlieue toulousaine… Tout cela concourt à une forme d’acceptation globale de l’islamisme en général par les autorités. On accepte des choses inacceptables. C’est une honte par rapport à ce que sont les valeurs de la France. »
Un déni qui serait alimenté par la classe politico-médiatique d’après le scénariste :
« Et la classe politique, dans sa quasi-totalité, le fait pour de très mauvaises raisons : à gauche, dans une mauvaise conscience postcoloniale, à gauche comme à droite, pour des raisons électoralistes. Je crois que le blocage de la carrière du film en France est symptomatique d’un état d’esprit qui se perpétue et empêche un certain nombre de films de montrer la réalité. »
« Les fake news sont souvent utilisées par ceux qui prétendent les combattre »
Et le réalisateur de faire un parallèle entre le discours du gouvernement vis-à-vis des attentats islamistes perpétrés dans l’Hexagone et les reproches faits à certains Gilets jaunes accusés de relayer des fake news.
« On accuse beaucoup les Gilets jaunes de diffuser des fausses informations mais on ne dit rien quand des ministres – de l’Intérieur, en général – disent en permanence quand il y a un attentat, que le ’cas est plus complexe qu’on ne le croit’, qu’il ‘ne faut pas parler trop vite de terroriste’ – même si l’attentat est revendiqué par l’État islamique – ou qu’il s’agit d’un ‘déséquilibré’, ou d’un ‘type qui a des problèmes sexuels’, comme à Nice, ou encore ‘d’un repris de justice’, comme récemment à Strasbourg. »
« Or, on se rend compte en général, par la suite, que c’était le fait d’une personne bien entraînée, qui avait préparé son action depuis des mois et avait fait allégeance à l’État islamique. Mais cela est dit quelques semaines plus tard et cela fait un entrefilet en bas de page dans les quotidiens. Les fake news sont souvent utilisées par ceux qui prétendent les combattre », conclut le cinéaste.
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