En 1489, bien que cela soit interdit, Léonard de Vinci parvient à obtenir quelques crânes humains. Il les dissèque afin d’étudier la forme et la structure du cerveau et des nerfs sensoriels puis confronte ses observations aux théories élaborées un siècle plus tôt.
Pour lui, ces connaissances sont la clé de sujets qu’il souhaite approfondir comme les émotions et la nature des sens. Dès lors, l’art et la science prennent deux chemins différents, non pour le degré d’imagination ou de logique employées, ni pour les instruments utilisés, mais plutôt pour la manière dont ces deux disciplines sont étudiées et valorisées ; et ce n’est que depuis le XXe siècle que ces deux domaines recommencent à s’entrecroiser.
À la Renaissance, la curiosité anatomique favorise une nouvelle visibilité du corps par la représentation de son ouverture. Figure visible cachant les secrets du vivant, le corps comme mirabilia suscite la libido sciendi : on ouvre pour voir et pour savoir. Le recours à l’illustration gravée joue un rôle majeur : il s’agit de mettre en image ce qui n’a encore jamais été vu, de « lever le voile », dans une rhétorique de l’evidentia qui valorise le geste de la monstration. Mais cette dynamique de curiosité scientifique ne parvient pas à neutraliser le pouvoir d’inquiétude de l’image du corps anatomisé, qui, en mettant en scène la dimension matérielle de l’enveloppe charnelle, la renvoie à son néant, faisant de la leçon d’anatomie un emblème de la vanité humaine (A. Gimaret https://episteme.revues.org/501). `
L’art dans le cerveau et le cerveau comme objet d’art
Le cerveau humain est la structure vivante la plus complexe que nous connaissons. Son hétérogénéité et sa complexité s’expriment par la juxtaposition de différents « territoires » dont les fonctions sont plus ou moins bien spécifiées. Il comprend des milliards de neurones (de 1011 à 1012 répartis localement en circuits) et de même, les états mentaux sont plus nombreux que les particules élémentaires de l’univers connu. Il semble incroyable que toutes nos sensations, émotions, pensées, ambitions, sentiments, et même le Soi intime soient uniquement le fruit de l’activité de ces cellules gélatineuses présentes à l’intérieur de notre crâne.
Conçue à la fin du XIXe siècle, la distinction entre sciences de la nature et sciences de l’homme transparaît dans l’incapacité des premières à produire du sens et dans l’incapacité des secondes à produire des signifiés. L’opposition entre science et philosophie sera démolie par la naissance des sciences cognitives. Désormais la rationalité est émotive et la pensée logique de l’homme devient incarnée.
Le brainstorming des neurosciences
On parle souvent de la « neuro-quelque chose »… le préfixe « neuro » connote la plupart du savoir contemporain y compris le secteur humaniste et artistique.
On parle désormais de « neuroculture », qui intègre notamment des séries comme Urgences, Les Experts, Dr House qui ouvrent le monde de la neurologie aux téléspectateurs, comme le firent en leur temps les théâtres anatomiques.
En 1983, Vogue est la première revue populaire à publier quelques images d’un TEP (tomographie par émission de positons) du cerveau. Aujourd’hui, ce sont les sciences cognitives qui nous racontent comment les hommes vivent, interagissent et se meuvent dans le monde. L’art lui-même est maintenant reconnu simultanément comme le produit de nos émotions et comme une tentative de les satisfaire.
Le relatif est dans la science ; le définitif est dans l’art
En 1897, Oscar Wilde écrit dans De profundis : « Les grands péchés du monde sont commis dans le cerveau, mais c’est bien dans le cerveau que tout se produit et c’est dans le cerveau que le pavot est rouge, que la pomme est parfumée et que chante l’alouette. »
Cent ans plus tard, les travaux neuroscientifiques confirment la pensée de Wilde et montrent que nous ne voyons pas avec les yeux mais avec l’écorce cérébrale. Selon le neurobiologiste britannique Semir Zeki – un des pionniers de cette discipline ayant mené de nombreuses expériences d’imagerie cérébrale – la vision n’est pas un processus passif mais, au contraire, une opération dynamique et active.
Le cerveau, à travers les impressions perceptives qui arrivent de l’œil, construit le monde autour de nous et nous le présente, comme un vrai artiste, avec formes et diverses couleurs. C’est pourquoi les paysages, les visages, les sculptures ou peintures nous procurent émotion et plaisir. L’affirmation de Wittgenstein, selon laquelle la science produit la connaissance tandis que l’art engendre seulement le plaisir, est donc dépassée.
Le statut d’objet d’art
L’Art conceptuel de Duchamp nous a enseigné que le sens de l’œuvre n’est pas uniquement conféré par l’artiste qui la crée, mais aussi par le spectateur qui la regarde. Le spectateur est engagé dans un dialogue à trois, entre l’artiste, l’œuvre et lui-même. Il est amené à compléter ou à reconstruire le processus de création à travers son regard et à élaborer ainsi de nouveaux signifiés.
Parce que le spectateur est totalement inclus dans l’acte créateur, l’œuvre contemporaine nous confronte à nous-mêmes : c’est elle qui nous regarde. L’art devient vie, c’est le réel. Pour Platon déjà, l’art était élan, impulsion de recherche : de même que l’on apprend à se reconnaître en aimant l’autre, l’art conduit à sortir de soi pour se connaître.
Ester Fuoco, Doctorante en Digital Humanities, Art et Spectacle, Université Paris Diderot – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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