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Ces entrepreneurs 2.0 qui disent « non » à Uber

février 2, 2016 18:50, Last Updated: août 7, 2016 17:50
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« Amazon et Uber, c’est de l’esclavagisme. ». Quand on évoque Uber avec Denys Chalumeau, le verdict est sans appel. Reconnu par ses pairs comme un des pionniers du web, l’homme qui a récemment revendu Seloger.com à un groupe allemand pour 632 millions d’euros distingue clairement la vision entrepreneuriale, collaborative, du modèle de fonctionnement adopté par Uber.

L’économie dite participative a trouvé sa place en permettant de mettre en relation des usagers, tout en promettant des services à prix réduits, une mise en valeur de l’écologie et des rapports humains et équitables. Puis est arrivé Uber, et la monétisation d’un certain nombre de services, qui ont rendu parfois flous la vision du consommateur sur ce à quoi il souscrit et pour le compte de qui. Les règles du jeu du participatif seraient-elles en train de changer ?

Passer du gratuit au payant

Dans le royaume du covoiturage, BlablaCar règne en maître. La startup, du haut de ses 20 millions d’utilisateurs en 2015 est devenue le leader mondial du covoiturage. Son parcours laisse à réfléchir : en 2011, la société impose une tarification à ses usagers, indiquant que sa monétisation, passant par la publicité et les services aux entreprises, ne lui permet pas d’absorber ses pertes. Résultat : moyennant une commission, le paiement est effectué en carte bancaire. Un dispositif sécurisant pour le conducteur, qui fait face à un taux de désistement moindre et est sûr d’être payé.

Thibault, utilisateur de BlablaCar, témoigne avoir quitté le site. « Pour moi, le covoiturage, c’est l’entraide, le partage des frais d’essence et de péage. J’estime que le site n’a pas à récupérer d’argent des passagers », explique t-il. « Encore un système qui se voulait une plateforme de mise en rapport directe entre particuliers qu’on court-circuite pour gagner de l’argent auprès de ses utilisateurs », écrit un autre membre du service. De son côté, le Frédéric Mazzella, fondateur du site, se défend d’avoir fait tomber le taux de désistement de 35 à 4 %, d’avoir amélioré l’expérience des utilisateurs et d’avoir conçu ce système afin de parvenir à l’équilibre des compte en 2015.

Il aura fallu 5 ans d’obstacles à surmonter pour Frédéric Mazzella avant que BlablaCar n’embauche son premier salarié ; puis encore plusieurs années avant de vérifier la rentabilité de son modèle économique. L’entreprise défend toujours les valeurs qu’elle tenait depuis le début « fun and serious », « think it, use it ». Aujourd’hui, d’après une interview donnée au Parisien, BlablaCar rassemble 20 millions de membres dans 19 pays et embauche une personne par jour.

« Uber n’est pas un phénomène nouveau »

Au sein de l’économie de partage, les grands monopoles créent de la valeur. Une contradiction ? Pour Michel Bauwens, ancien chef d’entreprise et auteur de « Sauver le monde vers une société post-capitaliste avec le peer-to-peer », la non régulation de l’économie numérique pose problème. L’histoire « des biens communs a toujours existé », indique t-il, ajoutant qu’« au Moyen Age, les paysans cultivaient des terres communes. Chacun contribuait à les entretenir et il existait des règles pour user des fruits et ne pas épuiser la terre. Chez Uber ou Airbnb, rien n’est partagé ! ».

Pour l’entrepreneur, la grande disponibilité des ressources matérielles et immatérielles permet le contournement des institutions en place. « La différence entre une production pair-à-pair et Uber, c’est le morcellement du travail, la mise en concurrence entre les travailleurs pour obtenir un service, sans qu’ils aient accès à ce service, ce ‘bien commun’ ». En l’occurrence, Uber aurait simplement créé un algorithme dont il assure le contrôle. Ce qui entrainerait de grands déséquilibres, car quand Uber s’installe à Paris, ses profits vont à la Silicon Valley.

Le 20 juin prochain, un collectif des salariés de la firme intentent un procès à leurs dirigeants en Californie. Ces derniers estiment que leur statut devrait être celui d’employés et non de travailleurs indépendants, ce qui leur permettrait de bénéficier des avantages liés à ce statut et à une certaine protection. S’ils gagnaient, Uber pourrait bien devoir indemniser 160 000 chauffeurs ; or, le modèle économique d’Uber se base justement sur des réductions de coûts.

« Uber n’est certainement pas la solution : l’outil numérique devrait mettre en relation l’offre et la demande et les profits de la plateforme devraient rester décents. Aujourd’hui les plateformes comme Uber sont en train de saigner les travailleurs et de se servir sur le dos des travailleurs au profit de leurs actionnaires. Uber n’est pas un phénomène nouveau, c’est simplement le modèle qui succède aux sociétés cotées », conclue Denys Chalumeau, ancien patron de Seloger.com.

Des solutions pour un modèle économique respectueux

À Séoul, en Corée du Sud, la municipalité a choisi d’interdire Uber, en accusant la firme d’avoir enfreint la réglementation des transports locaux. Parallèlement, le premier service de messagerie mobile a lancé l’application, Kakao Taxi qui permet de localiser et d’appeler un taxi. Ce service, proposé gratuitement, a eu un succès foudroyant ; en trois mois, plus de 110 000 taxis l’ont utilisé. Contrairement à Uber, Kakao Taxi a pris le temps de négocier des accords avec les collectivités locales.

Pour l’auteur Michel Bauxens, l’économie solidaire est à deux vitesses. D’après lui, le dépôt de brevet et le monopole sont garants de profits et sont le premier pas dans la création et l’ascension d’une start up. « Pour ceux qui veulent agir dans le cadre d’une économie solidaire et juste, il n’existe pas d’incubateur, d’accélérateur pour les aider. Il y a là un déséquilibre », indique t-il. L’entrepreneur cite l’exemple de Wikispeed, une voiture économe en essence construite par une communauté sur un modèle d’OpenSource, mais qui peine à trouver des investisseurs faute de brevet.

Marc David Choukroun, créateur de La Ruche qui dit Oui (réseau de communautés d’achat direct aux producteurs maraîchers locaux) affirme avoir sérieusement réfléchi sur le fait de transformer sa plate-forme de mise en contact en coopérative. Mais la start up, qui a levé un investissement de 8 millions d’euros en juin, ne s’y prête pas. « La forme coopérative requiert un certain nombre d’engagements complexes, et surtout incompatibles avec la gestion d’une jeune entreprise innovante. La gouvernance, tout d’abord, y est lourde et complexe, quand l’agilité devrait être de mise. D’autant que la pluralité des statuts au sein de notre réseau et des motivations – certains sont animés par un esprit militant, d’autres viennent y chercher un complément de revenu – constitue une force du modèle », indique t-il.

Pour le jeune entrepreneur comme pour Michel Bauxens, l’économie solidaire a de beaux jours, mais d’après eux, les premières pierres doivent être posées pour associer les utilisateurs et encadrer le développement des startups. « Ce sont les utilisateurs qui co-créent la valeur et pourtant, trop souvent, 100 % de cette valeur d’échange est captée par les propriétaires de l’outil », remarque Marc-David Choukroun, qui ne désespère pas de voir émerger un nouveau « coopérativisme » qui permettrait une répartition plus équitable des profits.

Michel Bauxens, pour sa part, prend l’exemple de Linux, logiciel dont l’utilisation est libre et au service de tous. « Les trois quarts des développeurs de Linux sont payés. Quand un développeur travaille sur Linux, il peut l’utiliser comme il l’entend, et en échange, il contribue à améliorer le commun partagé. Personne ne lui est redevable puisqu’il s’agit d’un échange », souligne t-il.

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