Des heures de car, un avion, des interrogatoires en Russie, le risque de refoulement puis la guerre en Ukraine : tel est le périple que s’impose Anna pour voir ses parents et son petit frère dans une région ukrainienne occupée par les troupes russes.
Cette femme de 25 ans a quitté sa famille dans les premiers mois de l’invasion russe, déclenchée en février 2022. Depuis, elle vit en Europe comme quelque deux millions de ses compatriotes. L’Ukraine est, quant à elle, scindée en deux parties par une ligne de front infranchissable de quelque 1000 km, condamnant nombre d’Ukrainiens à des relations à distance avec leurs proches vivant sous occupation russe.
Anna n’a pas voulu s’y résigner. Elle est allée deux fois du côté russe, voyageant de Pologne, où elle habite, jusqu’à la région de Lougansk, dans l’est de l’Ukraine. Pour y arriver, il lui faut passer par le Bélarus et la Russie, chose risquée pour une Ukrainienne vivant dans pays jugé hostile par Moscou et cela en pleine vague de répression. « Ce n’est pas pour les petites natures », dit-elle à l’AFP devant son appartement de Varsovie, où elle est promeneuse de chiens.
Enchaînement d’inspections et d’interrogatoires
Depuis octobre 2023, la Russie oblige tous les citoyens ukrainiens entrant sur son territoire à passer par un point de contrôle spécial de l’aéroport de Moscou-Cheremetievo. Ils y sont soumis à un enchaînement d’inspections et d’interrogatoires pouvant s’étaler sur toute une journée et qui bien souvent s’achève sur un refus d’entrée en Russie.
Anna raconte avoir dû remplir un questionnaire pour savoir si elle soutenait « l’opération militaire spéciale », un euphémisme imposé par le Kremlin pour qualifier l’intervention de l’armée russe en Ukraine. La jeune femme assure avoir répondu « non ». Face aux questions, elle a d’abord expliqué aux agents russes qu’elle était pour la paix, puis a joué à « la petite fille idiote » afin de pouvoir passer.
Faute de liaisons aériennes entre l’Europe et la Russie depuis le début de la guerre, la plupart des Ukrainiens désireux de se rendre en zone occupée vont d’abord en car au Bélarus, un grand allié de Moscou. De là, il faut monter dans un avion à destination de Cheremetievo. Une fois les contrôles passés, c’est un long trajet en train, en car ou en voiture vers les zones sous contrôle russe qui commence.
Environ 20% de l’Ukraine est occupée, de la région de Kharkiv dans le nord-est à la péninsule de Crimée dans le sud, en passant par les régions de Lougansk, Donetsk (est), Zaporijjia et Kherson (sud). Le périple peut durer deux ou trois jours et l’hostilité à l’égard des Ukrainiens est une réalité. « C’est beaucoup de stress », explique Anna.
Après 32 mois de guerre, des milliers de personnes se lancent néanmoins dans ce voyage, soucieux de revoir leur famille, leur maison ou, dans des cas bien spécifiques, de s’installer malgré la présence russe. Dans une gare routière de la capitale polonaise, plusieurs conducteurs de cars en partance pour le Bélarus ont déclaré à l’AFP qu’il n’était pas rare d’avoir une dizaine de passagers par véhicule cherchant à rejoindre les territoires occupés.
« Comme du temps de l’Union soviétique »
La Russie assure, quant à elle, que 83.000 Ukrainiens sont passés par le point de contrôle de Cheremetievo depuis octobre 2023. Mais les réseaux sociaux regorgent de témoignages d’Ukrainiens qui n’ont pas réussi à faire comme Anna et ont été refoulés à cet endroit. Pavlo Lissiansky, un militant ukrainien qui travaille sur l’occupation, estime que seuls un cinquième des Ukrainiens se présentant au point de contrôle moscovite sont au final autorisés à entrer sur le sol russe. Anna, qui veut préserver son anonymat de crainte de représailles contre ses proches et espère pouvoir retourner les voir, affirme que la vie en zone occupée est marquée par l’auto-censure et la peur. « Comme du temps de l’Union soviétique. »
Les membres de sa famille restent pro-ukrainiens, déclare-t-elle, mais leur opinion « ne sort jamais de la maison ». « À l’extérieur, en société, tu fais mine d’être d’accord avec tout. » Dans cette gare routière de Varsovie, une Ukrainienne de 50 ans, Anna également, dit prendre un car pour Minsk afin d’aller voir sa mère âgée à Lougansk, la capitale de la région du même nom. Ayant déjà réussi à passer une fois, elle sait à quoi s’attendre à Cheremetievo. Selon elle, ce contrôle est une « loterie » qui dépend largement de l’agent procédant à l’interrogatoire. Cette fois-ci, elle craint cependant d’être refoulée car, à son précédent passage, elle a refusé d’accepter la citoyenneté russe que Moscou tente d’imposer à tous les Ukrainiens vivant dans les zones occupées. « Je ne sais pas quoi faire », dit la quinquagénaire, qui a peur de ne plus revoir sa mère le cas échéant.
Lioudmila, une femme de 72 ans aux cheveux gris, raconte être arrivée de Kharkiv, près de la frontière russe et cible de frappes russes incessantes. Elle a décidé de se rendre à Donetsk pour un aller simple. La septuagénaire va y rejoindre le dernier membre de sa famille encore vivant, son fils, prorusse, qui partage son temps entre Donetsk et Moscou. Jusqu’ici, elle vivait seule à Kharkiv. Mais quand une de ses fenêtres a été soufflée par une explosion et qu’un éclat d’obus est tombé dans ses toilettes, elle a décidé de partir. « Bien sûr », il lui sera difficile de vivre à Donetsk, entouré de gens soutenant les bombardements auxquels elle a survécu. Mais la grand-mère ne veut pas être seule. « Ce qui adviendra ensuite, la vie le dira. »
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