ENVIRONNEMENT

Changement climatique : quel est le rôle des éruptions volcaniques ?

février 14, 2018 20:19, Last Updated: février 14, 2018 20:19
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Comprendre les changements climatiques observés depuis une trentaine d’années implique de pouvoir distinguer les modifications liées aux activités humaines de celles associées aux variations naturelles du climat.

La météorologie régionale peut être en effet perturbée significativement, de quelques semaines à quelques mois, par les fluctuations océaniques (comme lors des épisodes El Niño, par exemple) ou de manière importante, et sur une plus longue durée, par certains volcans.

Parmi les 600 volcans répertoriés pour avoir connu des éruptions historiques, une cinquantaine sont actifs en permanence. Certains dégagent des fumées soufrées en continu, d’autres entrent en éruption brutalement sans signes annonciateurs, affectant les populations qui vivent aux alentours et perturbant le trafic aérien.

Mais les volcans ayant eu un impact majeur sur la planète sont rares, en tout cas sur le dernier millénaire.

Les grandes éruptions du passé

En émettant de la vapeur d’eau, qui s’est ensuite condensée et a rempli les océans, les volcans ont joué un rôle essentiel dans la formation de la Terre et la composition de son atmosphère. En forant la glace et en analysant sa composition chimique à la recherche des pics de sulfates (le soufre étant un traceur indélébile de l’activité volcanique), les scientifiques peuvent tracer les éruptions du passé.

Au Groenland et en Antarctique, les analyses de glaces ont ainsi révélé que le plus important pic de concentration en aérosols sulfatés de ces 2 300 dernières années avait eu lieu autour de l’an 1259.

De nombreux chercheurs se sont penchés sur l’origine de cette mystérieuse éruption volcanique qui a laissé des traces de son explosion jusqu’aux deux pôles. Une équipe du CNRS a enquêté sur cet épisode particulièrement marquant et livré les résultats de ses recherches ; cette éruption cataclysmique datée de 1257 et celles qui ont suivi sont très probablement à l’origine du début du petit âge glaciaire, qui correspond à une période climatique froide en Europe et en Amérique du Nord entre le XIIIe et le XIXe siècle.

Plus récente et bien documentée, l’éruption du Tambora le 10 avril 1815 dans l’île indonésienne de Sumbawa est considérée comme la plus meurtrière du dernier millénaire. Elle a eu des conséquences sur la planète entière, le désordre climatique induit par l’éruption cataclysmique ayant entraîné des récoltes désastreuses et des famines importantes, partout à travers le monde.

Les tempêtes et le froid ont également sévi dans l’hémisphère nord (1816 fût baptisée « l’année sans été ») : de nombreux récits rapportent les récoltes réduites à néant à cause du gel ou noyées sous les pluies, les problèmes d’approvisionnement en nourriture, et l’émergence de maladies, sans qu’à l’époque on fasse le lien entre le volcan dévastateur en Indonésie et la cascade de désastres météorologiques qui a suivi durant les deux années suivantes. Seule consolation : à travers toute l’Europe, les artistes restituèrent dans leurs œuvres d’étranges et spectaculaires couchers de soleil.

Les températures fraîches et les ciels orangés s’expliquent par la présence exceptionnelle de particules dans l’atmosphère, qui diffusent le rayonnement solaire. C’est seulement au début du XXe siècle qu’on réalisera l’importance des éruptions volcaniques sur le climat.

L’Ascension de l’Empire carthaginois de William Turner (1815). (Wikipedia)

Comment les aérosols modifient le climat

Les éruptions volcaniques explosives injectent des quantités importantes de particules et de gaz – vapeur d’eau (H2O), dioxyde de carbone (CO2), dioxyde de soufre (SO2) – avec du chlore (Cl-), du fluor (F-) et des cendres haut dans l’atmosphère. Ces cendres y sont lessivées assez rapidement par les vents et les pluies et persistent sur des échelles de temps de quelques minutes à quelques semaines dans la troposphère (cette couche de l’atmosphère proche de la surface terrestre).

De petites quantités peuvent perdurer quelques mois dans la stratosphère (cette couche atmosphérique entre 10 et 50 kilomètres), mais leur impact climatique est négligeable car limité localement.

L’effet climatique le plus important est lié à l’émission d’espèces soufrées, principalement sous forme de SO2, éjecté directement dans la stratosphère. En réagissant avec la vapeur d’eau le SO2 est rapidement converti en acide sulfurique (H2SO4) qui, à son tour, se condense en fines particules d’aérosols.

Ces aérosols stratosphériques diffusent les rayons du soleil (c’est l’effet miroir) et diminuent la quantité de rayonnement qui traverse l’atmosphère. Les aérosols sulfatés d’origine volcanique vont rester dans la stratosphère un à deux ans, et accroître l’opacité atmosphérique.

Mont Pinatubo

Pour qu’un volcan affecte significativement le climat, plusieurs conditions doivent être réunies.

La latitude est ainsi un facteur essentiel : seules les émissions volcaniques tropicales impactent les deux hémisphères ; leur impact météorologique est global, les particules volcaniques étant transportées par les courants trans-hémisphériques du système climatique planétaire. Une éruption située à plus haute latitude aura des conséquences locales, et les particules ne se répartiront pas sur l’ensemble du globe.

Le deuxième facteur concerne la puissance de l’éruption : il faut que le panache de gaz soit envoyé directement dans la stratosphère. Si la puissance de l’éruption n’est pas suffisante, la circulation atmosphérique (les vents) et les pluies de la troposphère disperseront le panache en quelques jours ou semaines.

Photographie prise par les astronautes à bord de la navette Atlantis : vue de l’atmosphère terrestre au coucher du soleil, le 8 août 1991 ; soit huit semaines après l’éruption du volcan Pinatubo (Philippines). On distingue deux couches d’aérosols situées à une altitude entre 20 et 25 kilomètres. (Image NASA STS043-22-23)

En juin 1991, l’éruption du mont Pinatubo aux Philippines surprenait à la fois les populations locales (avec des centaines de milliers de personnes déplacées et plusieurs centaines de morts) et les scientifiques du monde entier. Des millions de tonnes de cendres et de dioxyde de soufre furent en effet projetées dans l’atmosphère à une trentaine de km d’altitude, induisant des perturbations de la température de 0,5 °C au cours les deux années suivantes.

Le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (leader mondial dans le domaine des prévisions numériques du temps) – qui n’avait pas pris en compte ce phénomène – a vu ses calculs perturbés durant les 18 mois qui suivirent l’éruption.

Forçage radiatif

Pour comparer les impacts de différents phénomènes qui affectent le climat – à l’image d’une modification de la concentration de dioxyde de carbone ou de la production solaire –, les scientifiques ont introduit la notion de « forçage radiatif ».

Le forçage radiatif (en watts par mètre carré, w/m2) mesure l’impact de certains facteurs affectant le climat sur l’équilibre énergétique du système Terre/atmosphère. Le terme « radiatif » est utilisé du fait que ces facteurs modifient l’équilibre entre le rayonnement solaire entrant et les émissions de rayonnements infrarouges sortant de l’atmosphère.

Un forçage radiatif causé par un ou plusieurs facteurs est dit « positif » lorsqu’il entraîne le réchauffement du système Terre/atmosphère. Dans le cas inverse, un forçage radiatif est dit « négatif » lorsque l’énergie va en diminuant, ce qui entraîne le refroidissement du système. Par exemple, les émissions continues de gaz liées aux énergies fossiles perturbent l’équilibre radiatif de l’atmosphère et induisent un forçage radiatif positif (environ + 2,5 w/m2).

Le forçage négatif lié aux éruptions volcaniques qui affectent le climat est pour sa part très fort (de -1 à -5 w/m2, selon l’intensité de l’éruption), mais de courte durée (1 à 2 ans).

Pour être complet, il faut encore ajouter le forçage lié aux variations de l’activité solaire (environ + 0,3 w/m2) et le forçage lié aux aérosols liés aux activités humaines (poussières, embruns marins, carbone suie, pollution, etc.) ; ceux-ci font écran à l’insolation dans la troposphère (environ -0,5 w/m2).

Dans le graphique ci-dessous qui reprend les différents types de forçage sur le dernier millénaire, on voit que jusqu’au milieu du XXe siècle les éruptions volcaniques dominent ; c’est ensuite le forçage induit par l’accumulation des gaz à effet de serre qui prend le dessus.

Reconstructions des forçages radiatifs en moyenne globale depuis l’an 1000 en W/m² pour [a] l’activité volcanique ; [b] l’activité solaire ; [c] tous les autres forçages incluant les gaz à effet de serre et les aérosols troposphériques sulfatés. Les différentes couleurs correspondent à différents modèles simulant le passé. Adapté du rapport du GIEC (2007). (Author provided)

Refroidir artificiellement le climat ?

Pour contrebalancer la lenteur des gouvernements à se mettre d’accord pour réglementer les émissions des gaz à effet de serre d’origine anthropique qui réchauffent l’atmosphère, des scientifiques ont imaginé des techniques d’intervention artificielles à grande échelle sur le climat terrestre ; celles-ci imiteraient les phénomènes volcaniques.

Dans une publication de 2006, le prix Nobel de chimie Paul Crutzen a été le premier à émettre l’idée d’augmenter l’albédo (le rapport entre énergie solaire incidente et énergie réfléchie) de l’atmosphère de la Terre pour refroidir le climat, en injectant des aérosols directement dans la stratosphère.

Depuis, plusieurs chercheurs ont travaillé sur des concepts visant à fabriquer un bouclier qui diminue le rayonnement solaire atteignant l’atmosphère terrestre, à l’image des aérosols volcaniques.

Ces techniques de gestion de l’équilibre radiatif de la planète, avec d’autres qui proposent différentes voies de capture et de stockage du CO2 atmosphérique, sont regroupées sous le terme de « géo-ingénierie environnementale ».

Les volcans ont joué un rôle dans les climats passés et continueront ponctuellement à impacter le climat futur. Outre le risque de jouer aux apprentis sorciers en essayant de contrebalancer le forçage radiatif lié à l’accumulation des gaz à effet de serre par un forçage négatif en rendant l’atmosphère plus opaque, les avis divergent sur l’efficacité de cette mesure. Sachant que, comme pour l’effet des volcans, cette solution ne serait que transitoire.

Cathy Clerbaux, Directeur de recherche au CNRS, laboratoire LATMOS, Institut Pierre Simon Laplace (IPSL), Sorbonne Université (UPMC) – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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