Chantal Delsol : « Il est chic et de bon ton d’être de gauche ou d’extrême gauche en France »

Par Julian Herrero
5 juillet 2024 14:21 Mis à jour: 5 juillet 2024 18:38

ENTRETIEN – La philosophe et auteure de La Fin de la Chrétienté (Cerf, 2021) Chantal Delsol répond aux questions d’Epoch Times sur les scénarii envisageables à l’issue du second tour des élections législatives ce dimanche. L’écrivaine donne également sa vision du Rassemblement national.

Epoch Times : Chantal Delsol, le Rassemblement national est arrivé en tête du premier tour des élections législatives en récoltant 33 % des voix, se plaçant ainsi nettement devant le NFP (28 %) et la majorité présidentielle (20 %). Quels enseignements pouvons-nous tirer de ce premier tour ?

Chantal Delsol : Depuis plusieurs décennies le Front National, devenu Rassemblement National, grandit et frappe aux portes du pouvoir. Longtemps il a été diabolisé au point d’être constamment injurié sur les plateaux de télévision. Cette époque est terminée et il est devenu à présent quelque chose comme le RPR (parti gaulliste) des années 80, c’est-à-dire un parti tout à fait à droite et un peu brutal.

Mais il n’a rien de nazi, comme on veut le faire croire pour le discréditer en rappelant son chef originel, Jean-Marie Le Pen, qui était une sorte de fasciste des années 30 – tout cela est vieux.

Les électeurs ne sont pas idiots : ils ont très bien vu cette évolution, et plus on leur désigne un diable qui n’en est plus un, plus ils ont envie, cette fois, d’essayer. Ils ont l’impression, en somme, que si l’élite brandit l’horrible danger du RN, c’est suspect, c’est pour de mauvaises raisons. Il y a toute une longue histoire psychologique dans cette affaire.

Environ 210 candidats qualifiés au second tour dans le cadre de triangulaires et de quadrangulaires se sont désistés pour faire barrage au RN. Quels sont désormais les scénarii les plus probables ? Le parti de Marine le Pen peut-il encore espérer obtenir la majorité absolue dimanche ?

Il semble aujourd’hui que la majorité absolue sera difficile à atteindre, parce que le « barrage » peut encore fonctionner au moins en partie. Pourtant, rien n’est certain, car on se demande si les électeurs n’en ont pas franchement assez d’aller voter pour des gens qu’ils détestent afin d’éviter une apocalypse qu’on leur brandit sous le nez de façon de plus en plus louche.

Le RN a dit qu’il ne participerait pas au pouvoir s’il n’avait pas les coudées franches. De toutes façons, si le RN n’arrive pas au pouvoir cette fois, ce sera pour les prochaines présidentielles ou en tout cas une fois prochaine.

Ce qui d’ailleurs ne résoudra pas davantage nos lourds problèmes, à mon avis : c’est un parti jacobin comme tous les partis français, et c’est le jacobinisme qui nous entraîne par le fond.

Si aucun bloc ne parvient à constituer une majorité à l’issue du second tour, un gouvernement technique sera nommé. Qu’est-ce que cela impliquerait en matière de vote de lois et de gouvernance ?

Dans ce cas, on ne votera plus aucune loi importante et on règlera les affaires courantes, comme cela est arrivé par exemple en Belgique. Cela signifie que la France continuera de s’enfoncer dans la dette et dans la mauvaise gestion (relâchement de l’autorité à tous les échelons : école, sécurité, justice, immigration, etc). Je ne pense pas que ce sera différent des autres gouvernements Macron, lequel est un technocrate typique – à ceci près que les lois sociétales devront attendre.

Dans une tribune publiée ce jeudi 4 juillet dans le Figaro, vous déplorez « un rassemblement des gauches qui peut se permettre de soutenir les terroristes et génocidaires du moment, et de continuer à donner des leçons de morale politique afin de « faire barrage » ». La gauche bénéficierait donc d’un privilège par rapport à la droite ?

La France est un pays égalitariste, peut-être le pays le plus égalitariste du monde, elle n’a jamais cessé d’être le pays de 1793.

Elle a failli donner le pouvoir aux communistes en 1947 et l’élite intellectuelle y était marxisante jusqu’à la chute du mur de Berlin, c’est-à-dire très tard. C’est peu de dire que la gauche y bénéficie d’un privilège, c’est une évidence encore maintenant : la gauche y dicte la morale régnante.

L’apparition des médias dirigés par le groupe Bolloré il y a quelques années, a été une nouveauté sans précédent, et a mis la gauche littéralement en rage, tant elle avait l’habitude du quasi-monopole.

La gauche modérée peut se permettre de s’allier avec les extrémistes les plus fous, qui approuvent le terrorisme du Hamas, mais la droite modérée a peur de s’allier avec le RN qui n’a rien à voir avec aucun extrémisme (voir l’affaire Ciotti).

La tendance est si ancienne, si implantée, qu’elle donne lieu à ce que Rob Henderson appelle une croyance de luxe : il est chic, de bon ton, d’être de gauche ou d’extrême gauche en France – tandis qu’il est plouc, grossier, d’être de droite ou d’extrême droite. Il suffit de voir la carte électorale du premier tour : les grandes villes, où sont les gens chics et snobs, votent Mélenchon.

Certains ténors de la majorité présidentielle renvoient dos-à-dos le RN et LFI. Qu’en pensez-vous ?

Ce sont des gens qui ont du courage, et qui d’ailleurs le paieront dans leur camp. Car il est très important, pour faire partie de l’élite, de mettre le RN au pinacle de la diabolisation et de minimiser les écarts de LFI.

Je constate que l’on met en avant une candidate RN qui a dit qu’elle n’était pas raciste puisqu’elle a un dentiste musulman (ce qui n’est pas très malin comme argument, mais n’est pas un crime), tandis qu’on cache soigneusement un candidat LFI qui est fiché S ou un autre qui approuve ouvertement les génocides anti-israéliens.

Pour moi, LFI est beaucoup plus dangereux. Si je n’approuve pas le RN, ce n’est pas parce qu’il serait extrémiste, c’est parce que je pense qu’il continuera d’enfoncer le pays avec un programme centralisateur et gaspilleur.

En plus, il faut voir que la parole du barrage anti-RN est performative : on dit que s’ils arrivaient au pouvoir ce serait l’apocalypse, mais on a bien l’intention s’ils arrivaient au pouvoir de bloquer le pays de tous les côtés et de créer la panique.

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