Château de Versailles : le scandale de l’acquisition de faux meubles XVIIIe en procès

Par Epoch Times avec AFP
23 mars 2025 15:10 Mis à jour: 23 mars 2025 15:54

Un tribunal français va juger à partir de mardi des spécialistes réputés du mobilier du XVIIIe siècle reconvertis en faussaires de génie capables de duper jusqu’au célébrissime château de Versailles, dans un scandale de faux meubles qui a secoué le microcosme feutré des antiquaires et du patrimoine.

Six personnes, au premier rang desquelles l’expert référence du mobilier royal du XVIIIe et un ébéniste renommé, comparaissent jusqu’au 4 avril. Une prestigieuse galerie d’antiquaires parisienne est elle aussi poursuivie, en lien avec la fabrication et la vente de faux sièges d’époque entre 2008 et 2015.

Des faux revendus à prix d’or par des antiquaires au château de Versailles

Une exceptionnelle paire de chaises garnies du salon de compagnie de Mme du Barry, dernière favorite du roi Louis XV, du maître menuisier Louis Delanois, deux chaises issues du pavillon du Belvédère de Marie-Antoinette à Versailles et classées trésor national, une bergère signée Jean-Baptiste Sené, illustre ébéniste du XVIIIe. Derrière ces raretés se cachait une supercherie de haut vol.

Revendus à prix d’or par des antiquaires au château de Versailles ou à des collectionneurs fortunés comme un héritier de la famille Hermès ou un prince du Qatar, ces chefs-d’œuvre de raffinement de l’art français se sont avérés être des copies parfaitement réalisées.

« Nous sommes dans un milieu où l’escroquerie sévit à ciel ouvert »

Produite par l’expert de l’art Bill Pallot, auteur de l’ouvrage de référence mondial sur le mobilier français du XVIIIe, en association avec l’ébéniste parisien réputé Bruno Desnoues, la série de faux meubles a trompé aussi bien les conservateurs que les galeries spécialisées, interrogeant sur les pratiques de ce petit monde fermé.

« Nous sommes dans un milieu où l’escroquerie sévit à ciel ouvert », a constaté avec amertume devant les enquêteurs un ancien conservateur en chef de Versailles.

Au départ le pari de deux hommes

À l’origine de ce dossier rocambolesque se trouve un « pari » de Bill Pallot et Bruno Desnoues. Reconnus dans leur domaine, les deux hommes se mettent en tête de leurrer les plus grands spécialistes et acquéreurs de l’art français du XVIIIe.

A partir de 2007-2008, ils produisent dans l’atelier de l’ébéniste du faubourg Saint-Antoine, quartier historique de l’artisanat du bois à Paris, une poignée de faux sièges à partir de carcasses d’époque, ce qui permet une datation du bois authentique.

Cette supercherie, « grisante » de leur propre aveu, leur rapportera des centaines de milliers d’euros. Et bien davantage encore aux galeries ayant pignon sur rue qui acquièrent les faux, en ignorance de cause, pour les revendre à Versailles ou à des collectionneurs particuliers.

Pendant des années, l’imposture passe inaperçue.

Un incroyable trafic mis à jour

Mais en 2014, la cellule antiblanchiment du renseignement français, Tracfin, détecte des opérations financières et immobilières au nord de Paris d’un couple de Portugais, un chauffeur et une coiffeuse, qui semblent sans commune mesure avec leurs revenus déclarés.

En remontant le fil, les enquêteurs découvrent que le mari est en lien avec l’ébéniste parisien et finissent par mettre au jour cet incroyable trafic, particulièrement embarrassant pour le prestige du château de Versailles.

Contacté par l’intermédiaire de son avocate, le Domaine national – partie civile dans le dossier au côté de la maison d’enchères Sotheby’s – n’a pas souhaité s’exprimer avant le procès, de même que la défense de Bill Pallot.

Un « tort considérable » à la réputation de la France

« Si la France est encore importante dans le monde, c’est en raison de sa culture et de son excellence patrimoniale », a déclaré Jean-Jacques Neuer, avocat de la succession d’Hubert Guerrand-Hermès, décédé en 2016, en fustigeant un « tort considérable » à la réputation du pays.

L’avocat français Jean-Jacques Neuer quitte le palais de justice de Lyon le 24 septembre 2019.(ROMAIN LAFABREGUE/AFP via Getty Images)

En novembre 2023, l’information judiciaire a abouti à un non-lieu pour l’intermédiaire entre Bill Pallot et les galeries, ainsi qu’un doreur qui travaillait sur les faux sièges. La justice a estimé que ceux-ci avaient été dupés par la renommée du flamboyant dandy aux costumes trois pièces, aujourd’hui âgé de 61 ans.

« Toute la chaîne du marché de l’art s’est fait avoir par les faussaires »

Elle a en revanche renvoyé devant le tribunal correctionnel la galerie d’antiquaires Kraemer, l’une des plus luxueuses de Paris, avec l’un des frères qui la dirige, Laurent Kraemer.

Si le juge d’instruction a reconnu que les Kraemer n’étaient pas « de connivence » avec les mystificateurs, il leur est reproché de « ne pas avoir procédé à des vérifications suffisamment poussées » sur les meubles incriminés.

« Toute la chaîne du marché de l’art s’est fait avoir par les faussaires. Factuellement comme juridiquement, la seule place des Kraemer dans ce dossier est celle de victimes », ont déclaré à l’AFP leurs avocats Mauricia Courrégé et Martin Reynaud.

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