SCIENCES

Les chats sont‑ils liquides ou comment j’ai obtenu le prix (Ig)Nobel

octobre 28, 2017 8:00, Last Updated: octobre 27, 2017 21:33
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Nous vous proposons cet article en partenariat avec l’émission de vulgarisation scientifique quotidienne « La Tête au carré », présentée et produite par Mathieu Vidard sur France Inter. L’auteur de ce texte évoquera ses recherches dans l’émission du 27 octobre 2017 en compagnie d’Aline Richard, éditrice science et technologie pour The Conversation France.


Traditionnellement, un liquide est défini comme étant un matériau qui modifie sa forme pour épouser celle du récipient qui le contient. Dans certaines conditions, les chats semblent en accord avec cette définition !

Chat dont le corps épouse parfaitement un évier, se comportant donc comme un liquide. (sadanduseless/CC BY)

Ce fait quelque peu paradoxal a émergé sur le web il y a quelques années et a rejoint la longue liste des mèmes impliquant nos amis félins. Lorsque j’ai vu cette question sur Internet, elle m’a d’abord fait rire, puis réfléchir. J’ai alors décidé de la reformuler pour illustrer certains problèmes au cœur de la rhéologie, la discipline qui étudie les déformations et écoulements de la matière. Cette étude sur la rhéologie des chats m’a valu le prix Ig Nobel de Physique 2017.

Les Ig Nobel sont décernés chaque année par le site scientifico-humoristique Improbable Research. Le but est de mettre en avant des études scientifiques faisant d’abord rire, puis réfléchir. Une cérémonie est organisée chaque année à l’université Harvard.

Vidéo de remise des prix Ig Nobel 2017.

Qu’est-ce qu’un liquide ?

Derrière la définition d’un liquide se trouve une action : modifier sa forme pour épouser celle du récipient. Cette action se déroulant dans le temps doit avoir une durée caractéristique. En rhéologie cette durée est appelé le temps de relaxation. Déterminer si un matériau est liquide revient alors à savoir si on considère le matériau sur des temps plus petits ou plus grands que le temps de relaxation. Si on prend l’exemple des chats, ils peuvent adapter leur forme au récipient si on leur laisse suffisamment de temps.

Ils sont liquides si on leur laisse le temps de le devenir. En rhéologie, l’état d’un matériau n’est pas une propriété figée. Ce qu’il convient de mesurer, c’est le temps de relaxation. Quelle est sa valeur ? De quoi dépend-il ? Par exemple : le temps de relaxation d’un chat dépend-il de l’âge du chat ? (en rhéologie on parle de thixotropie).

Le temps de relaxation dépend-il du stress du chat ? (on parle de rhéo-épaississement si le temps de relaxation augmente avec le stress, ou de rhéo-fluidification si c’est le contraire). Le temps de relaxation dépend-il du type de récipient ? (en rhéologie on étudie ça dans les problèmes de « mouillage »). Vous l’aurez compris on ne parle pas ici de stress comme nous l’entendons dans le langage courant, et ce que l’on pourrait faire subir à ces braves bêtes. Le stress est le mot anglais qui désigne les contraintes mécaniques.

Nombre de Déborah et liquidité des montagnes

Ce que les chats illustrent bien, c’est que la détermination de l’état d’un matériau dépend en fait de la comparaison entre deux temps : le temps de relaxation et le temps de l’expérience.

En général, le temps de l’expérience est simplement la durée depuis le début de la déformation initiée par le récipient, par exemple, le temps depuis que le chat est placé dans le récipient. La comparaison entre les deux temps se fait en calculant leur rapport.

Par convention, on divise le temps de relaxation par le temps de l’expérience, ainsi si le résultat est plus grand que 1 le matériau est plutôt solide, et s’il est plus petit que 1 le matériau est plutôt liquide.

Ce nombre est appelé le nombre de Deborah, du nom de la prêtresse biblique qui remarquait que sur des échelles de temps géologiques (« devant Dieu ») même les montagnes s’écoulent. Sur des échelles de temps un peu plus courtes on peut déjà observer les glaciers s’écouler progressivement le long des vallées.

écoulement d’un glacier le long d’une vallée.

Même si le temps de relaxation est très long (des jours, des années) le comportement peut être celui d’un liquide si le nombre de Deborah est petit (par rapport à 1). Inversement, même si le temps de relaxation est très petit (millisecondes) le comportement peut être solide si le nombre de Deborah est grand (par rapport à 1). C’est par exemple le cas si on observe une bombe à eau à l’instant où l’on crève le ballon.

Bombe à eau au moment de son explosion : l’eau se comporte comme un solide pendant un temps très court.

Le nombre de Deborah est un exemple de nombre sans dimension : puisqu’on divise un temps par un autre, il n’a pas d’unité. En rhéologie, et plus généralement en science, il existe de nombreux nombres sans dimension qui permettent de déterminer dans quel état ou dans quel régime se trouve un matériau ou un système.

Mesurer l’écoulement d’une pâte à tarte

Pour les liquides un nombre sans dimension permet par exemple de déterminer si l’écoulement va présenter des tourbillons et être turbulent ou au contraire s’il va suivre calmement le dessin de son contenant (on dit que l’écoulement est laminaire).

Si l’écoulement à une vitesse V et que le récipient à une taille h dans les directions perpendiculaires à la direction de l’écoulement, on peut définir le gradient de vitesse V/h. L’inverse de ce gradient de vitesse a la dimension d’un temps.

Schéma de calcul du gradient de vitesse. (Wikipedia/CC BY)

La comparaison entre ce temps et le temps de relaxation définit un nombre sans dimension qu’on appelle le nombre de Reynolds dans le cas des fluides dominés par l’inertie (comme l’eau), ou le nombre de Weissenberg dans le cas des fluides dominés par l’élasticité (comme les pâtes pour gâteaux avant cuisson). Si ce nombre est grand par rapport à 1 l’écoulement a de grandes chances d’être turbulent. Si ce nombre est petit par rapport à 1 l’écoulement est probablement laminaire.

C’est l’usage de ces nombres sans dimension que la question de la fluidité des chats m’a permis d’aborder d’une manière qui j’espère pourra faire rire puis réfléchir, telle est la devise des prix Ig Nobel.

 

Marc Antoine Fardin, Chercheur en rhéologie, Université Paris Diderot – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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