Cinq jours qu’il campe dans son véhicule : pour rendre visible sa condition de « travailleur pauvre » et dénoncer des salaires faibles grignotés par l’inflation, un salarié de Castorama a cessé de s’alimenter et dort devant son magasin, en banlieue de Strasbourg.
Dans son coffre, des packs d’eau, du sirop de grenadine et un duvet. « Je sais que je peux tenir, je suis en bonne santé, je peux aller loin, mais je ne vais pas me mettre en danger non plus », confie vendredi Xavier Gaspard, 34 ans, vendeur au rayon peinture et délégué CGT au Castorama de Lampertheim (Bas-Rhin).
« Je veux pouvoir vivre de mon salaire »
Depuis le 13 mars, le jeune homme, athlétique, en pull à capuche noir et baskets blanches, mène son action pour mettre en lumière la « précarité grandissante » à laquelle lui et ses collègues sont confrontés. « Je veux pouvoir vivre de mon salaire », explique-t-il, appuyé sur sa voiture, dénonçant les « crédits à la consommation » que certains de ses collègues ont contracté pour « remplir leur frigos ou faire le plein de carburant ».
Avec 13 ans d’ancienneté, et un salaire de 1400 euros net par mois, ce père célibataire de deux enfants est retourné vivre chez ses parents depuis sa séparation. « Trouver un appartement avec mon salaire, c’est très compliqué. Le loyer c’est minimum 700 euros, on me demande de gagner trois fois cette somme, c’est juste impossible ».
L’inflation, il l’observe tous les jours, dans son activité professionnelle comme dans sa vie privée. « On a des clients qui ont des chantiers étalés dans le temps. Quand ils voient l’augmentation des prix, on se prend des remarques en pleine figure, il y en a qui abandonnent leurs projets ». Lui-même se dit « ahuri » de voir des barquettes de viande « protégées par des antivols » dans les supermarchés : « ça montre bien que les gens n’y arrivent plus ». Selon l’Insee, les produits alimentaires ont augmenté de 14,8% en un an. Mais cette moyenne cache une inflation encore plus forte pour certains produits : +24% pour le beurre, 20% pour les pâtes, 19% pour le riz ou les yaourts, 16% pour le café.
Sur le parking du magasin, ses pancartes attirent l’œil, et lui valent bien souvent la sympathie des clients. « Je comprends tout à fait. Il y a de plus en plus de gens qui sont dans ce cas-là, et je trouve ça malheureux », témoigne Marie-Rose, 51 ans, salariée chez un fabricant de composants électriques. « Mais c’est vrai que tout a augmenté. Moi je n’achète que ce dont j’ai besoin, il n’y a plus d’achat plaisir. »
« Le décalage avec le traitement des salariés est énorme »
À son cinquième jour de grève de la faim, vendredi, une quinzaine de ses collègues ont débrayé et ont quitté leurs postes pour venir lui exprimer leur solidarité. « Faire une grève de la faim, c’est aller très loin, mais c’est le seul moyen de se faire entendre. Ça me gène qu’on doive en arriver là pour que la direction nous entende », déplore Stéphane, 55 ans, salarié de Castorama depuis 31 ans et payé 1450 euros mensuels. « Depuis novembre, je prends dans mon épargne un peu chaque mois pour combler le trou sur mon compte bancaire. » Fin février, huit de ses collègues avaient dormi dans le magasin pour demander des hausses de salaires, « mais ça n’a pas bougé », regrette-t-il. « Le siège ne donne pas signe de vie ».
Sollicitée, la direction de Castorama assure avoir procédé à une « revalorisation de la grille salariale de 7,3% entre mars 2022 et mars 2023 », et une « augmentation générale minimum de 70€ ». « Nous avons demandé combien de salariés du magasin étaient effectivement concernés, ils n’ont pas voulu nous le dire », conteste Xavier Gaspard, qui affirme au contraire que les négociations annuelles obligatoires lui ont apporté une augmentation de seulement 37 euros net. « Notre groupe est le leader européen du bricolage. Cette année, c’est 540 millions d’euros de dividendes versés aux actionnaires », soutient-il. « Le décalage avec le traitement des salariés est énorme. Il faut que ça change ».
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