Chine : un hôpital construit pour tuer

Par Matthew Robertson
13 septembre 2017 12:11 Mis à jour: 28 avril 2021 22:41

Des reportages de médias chinois se vantaient qu’en 2006, lorsqu’il travaillait au Premier hôpital central de Tianjin, le Dr Shen Zhongyang a effectué plus de 1 600 transplantations de foie. L’hôpital central de Tianjin, où il dirigeait un centre de transplantation, a récemment déménagé dans un nouveau bâtiment généreusement financé par les autorités locales. Shen Zhongyang avait fait breveter sa propre technique chirurgicale de perfusion et d’extraction rapide de foie. Les sites officiels de transplantation l’appelaient alors le « grand innovateur de transplantation » de la Chine.

En glorifiant le chirurgien pour les vies sauvées grâce à ses opérations, la presse chinoise n’a pourtant pas accordé beaucoup d’attention à la source des organes qu’il avait transplantés. Il devient aujourd’hui évident que la carrière de Mr Shen soulève une  question : d’où proviennent ces organes ?

Selon l’explication des autorités, seuls les organes des prisonniers officiellement exécutés sont utilisés dans ce but. Par conséquent, le nombre de greffes devrait correspondre à peu près au nombre d’exécutions. À Tianjin, ce serait alors environ 40 exécutions par an – un nombre résultant de la comparaison entre la population de la ville, la population chinoise et le nombre total de condamnés à mort en Chine. Mais au Premier Hôpital central de Tianjin, le nombre de transplantations est beaucoup, beaucoup trop élevé.

Les chiffres officiels de l’hôpital central de Tianjin sont difficiles à trouver, mais en s’intéressant aux informations autour de l’établissement, il apparaît évident que l’hôpital – l’un des plus grands et réputés hôpitaux du pays, qui bénéficie depuis des années d’un important soutien des autorités chinoises – a transplanté beaucoup plus d’organes que ce qui aurait pu provenir des prisonniers exécutés.

Le Premier hôpital central de Tianjin. (Fichiers de l’hôpital)
Le Premier Hôpital central de Tianjin. (Fichiers de l’hôpital)

Après une étude des activités de l’hôpital basée sur les documents publics accessibles, Epoch Times a trouvé des preuves suffisantes pour émettre de forts doutes, sinon démentir entièrement la version officielle de l’approvisionnement d’organes en Chine. Tout simplement, il faut compter le nombre de greffes : il est beaucoup trop élevé. Cela pose un gros problème pour la Chine.

Cela signifie que la grande majorité des organes transplantés au Premier hôpital central de Tianjin et, par extension, dans d’autres grands hôpitaux à travers le pays, ne pouvait pas provenir des prisonniers exécutés. Une quantité aussi importante d’organes ne pouvait pas provenir non plus des donneurs bénévoles, étant donné que l’introduction d’un système de dons d’organes volontaires a été très récemment entreprise en Chine et que ce système est encore à son stade initial.

Cela soulève une autre question que les autorités chinoises ont toujours trouvé particulièrement frustrante et qu’elles n’ont jamais abordée : d’où proviennent en réalité ces organes ? Quelle est cette source d’organes secrète qui en 2000 a soudainement permis une expansion des capacités de transplantations d’organes à l’échelle nationale, dont le Premier hôpital central de Tianjin a représenté un modèle ?

Pendant des années, des enquêteurs des droits de l’homme ont suggéré que les pratiquants de Falun Gong, une discipline spirituelle persécutée en Chine, constituaient cette source probable. Une disparité béante dans les chiffres de l’hôpital central de Tianjin, ainsi qu’une panoplie d’éléments de preuves indirectes, confirment l’urgence de considérer leurs conclusions.

Cette question a été largement évitée par les hauts responsables de la communauté médicale internationale. Mais les preuves indirectes renforçant une autre explication – le massacre massif et organisé des prisonniers de conscience et l’utilisation de la médecine comme instrument d’enrichissement du pays le plus peuplé au monde –  continuent de croître, amenant à une frustration parmi les médecins qui trouvent que rien ne bouge dans ce domaine.

L’ascension d’un chirurgien

À la fin des années 1990, Shen Zhongyang, un chirurgien de transplantation du foie, ne pouvait pas aller plus loin dans sa carrière : l’industrie de la transplantation d’organes était peu développée en Chine et les opérations à risque. Les clients désirant recevoir des organes étaient peu nombreux et les sources d’organes bien limitées.

En mai 1994, il effectue à Tianjin sa première greffe du foie après avoir convaincu un travailleur migrant de 37 ans souffrant de cirrhose de subir une transplantation. À l’époque, les greffes étaient effectuées sans frais pour les receveurs d’organes, principalement en raison du faible taux de réussite.

Le Dr. Shen Zhongyang, directeur du centre de transplantation du Premier hôpital central de Tianjin. (Kanzhongguo)
Le Dr. Shen Zhongyang, directeur du centre de transplantation du Premier hôpital central de Tianjin. (Kanzhongguo)

Des années se sont écoulées sans grand changement, jusqu’au retour en 1998 de Shen Zhongyang du Japon où il avait obtenu son diplôme de docteur en médecine.  À son retour, il investit son propre argent (100 000 yuans / 13 500 euros) pour mettre en place une petite unité de transplantation à l’hôpital central de Tianjin.

Au début, le progrès était lent : à la fin de 1998, son unité de transplantation n’avait effectué que sept greffes de foie. En 1999, ils en ont fait vingt-quatre.

En 2000, les choses ont rapidement changé comme si une nouvelle source d’organes était subitement apparue. Au cours de la décennie suivante, Shen Zhongyang a été à la tête d’un des plus gros business de la transplantation d’organes en Chine.

À l’hôpital de Tianjin, le nombre de greffes a commencé à progresser rapidement : 209 greffes de foie vers janvier 2002, puis un total cumulé de 1 000 greffes à la fin de 2003, selon un rapport publié dans Enorth Netnews, porte-parole des autorités municipales de Tianjin.

Le succès du Premier hôpital central de Tianjin reflète tout le système chinois de la transplantation d’organes : l’absence de transparence ; des liens en coulisses avec le secteur paramilitaire ; des sources d’organes qui restent inexpliquées et leur obtention rapide (ce qui suggère l’existence d’un groupe de donneurs prêts à la demande) ; et une technique chirurgicale permettant de prélever les organes de donneurs vivants ou presque vivants.

L’expansion

L’événement le plus important de l’expansion du Premier hôpital central de Tianjin, ainsi que le signe évident de la confiance dans une offre d’organes abondante et incessante, a été l’investissement de 130 millions de yuans (17,5 millions d’euros) effectué en décembre 2003 par le Bureau de la santé municipale de Tianjin. Cet argent était destiné à la construction d’un bâtiment de transplantations de 17 étages (incluant le rez-de-chaussée et deux niveaux en sous-sol).

Surnommé le Centre oriental de transplantation d’organes, le bâtiment de 500 lits et de 36 000 mètres carrés, devait devenir, selon Enorth Netnews, un « centre universel de transplantations capable d’effectuer des greffes de foie, de reins, de pancréas, d’os, de peau, de cheveux, de cellules souches, de cœur, de poumons, de cornées et de gorge ».

Comparaison des investissements au Premier hôpital central de Tianjin pour les périodes 2003-2006 et 2015-2017
Comparaison des investissements au Premier hôpital central de Tianjin pour les périodes 2003-2006 et 2015-2017 (Infographie Epoch Times)

Le nouvel établissement de l’hôpital se composait d’un service d’urgence, d’un centre ambulatoire et d’un service de transplantation qui les surplombait.

En 2004, tandis que le Centre oriental de transplantation était en cours de construction, afin de répondre à la demande l’empire de transplantation de Shen Zhongyang s’est étendu à cinq succursales à Tianjin, Pékin et dans la province du Shandong. Dans leurs documents officiels, le groupe a revendiqué effectuer le plus grand nombre de greffes du foie dans le monde et le plus grand nombre de greffes de reins en Chine.

La succursale de Pékin se trouvait dans l’Hôpital général de la police armée du peuple, une force de police paramilitaire du Parti communiste  forte de plus d’un million d’agents.  Shen Zhongyang y occupait le poste du directeur du département de transplantation.

Si un centre de transplantation d’organes en Chine devait être choisi comme le plus tristement célèbre, ce serait probablement le Centre oriental de transplantation de Tianjin. Cet établissement est devenu un véritable casse-tête pour les autorités chinoises et leur histoire officielle de l’industrie de transplantation d’organes en Chine.

Un hôpital avec une histoire

Le journaliste Ethan Gutmann a publié en 2014 un livre  « The Slaughter » (Ndr. Le massacre) documentant le massacre de masse des pratiquants de Falun Gong pour leurs organes, alors qu’ils sont détenus dans les prisons chinoises en tant que prisonniers de conscience. Il a qualifié le site web du Centre oriental de transplantation de Tianjin (www.cntransplant.com) comme le « tour favori du Parti ».

« J’aurais aimé parler à des étudiants de grandes universités et demander à ceux qui ont des doutes de visiter ce site web sur leurs smartphones », a-t-il dit dans une interview avec Epoch Times peu de temps après que le site de l’hôpital ait été fermé en juin 2014.

Ethan Gutmann avec son livre « The Slaughter » (Photo de l’auteur/Ethan Gutmann)
Ethan Gutmann avec son livre « The Slaughter » (Photo de l’auteur/Ethan Gutmann)

L’hôpital a inspiré une lettre critique écrite début 2014 par des représentants de The Transplantation Society (La Société internationale de transplantation d’organes) accusant la Chine de bafouer ses récentes promesses de ne plus utiliser les organes des prisonniers exécutés.

« Le site de Tianjin continue à inviter les patients internationaux en quête des greffes d’organes », disait la lettre co-signée par The Transplantation Society. « Les abus sous-jacents de ces professionnels de la santé et la collusion généralisée pour le profit sont inacceptables. »

Cette opération commerciale de grande envergure du site de l’hôpital ciblaient publiquement les clients fortunés avec un produit très rare en prime : des organes humains frais, disponibles rapidement et sans poser trop de questions.

Selon les enquêteurs, le fait qu’un centre si grand et sophistiqué ait été construit et rempli de personnel, équipé et utilisé à très grande capacité pendant près d’une décennie, alors que la Chine n’avait pratiquement pas de système de dons volontaires, amène à des conclusions effrayantes.

« Cela signifie qu’il y a une conviction absolue que vous allez trouver des donneurs pour fournir ces organes », a expliqué dans un entretien téléphonique Maria Fiatarone Singh, professeure de médecine de la santé à l’Université de Sydney.

« Dans le contexte d’une absence de système de dons volontaires, cela implique une conviction assurée que cette offre, contraire à l’éthique, restera importante et continue, et qu’il y aura un bénéfice énorme à en tirer. » Mme Singh est membre du conseil d’administration de Doctors Against Forced Organ Harvesting (DAFOH), une organisation de médecins ayant comme but la sensibilisation aux abus de transplantation d’organes en Chine.
Mais combien de greffes d’organes ont été effectuée en réalité au Premier hôpital central de Tianjin ?

Lire la deuxième partie de cette enquête exclusive : Chine : un hôpital construit pour tuer – Deuxième Partie

Article original : Investigative Report: A Hospital Built for Murder

Vidéo recommandée

Un génocide moderne : La persécution du Falun Gong en Chine

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