Au cœur d’une crise politique qui allait déterminer l’avenir de la Chine, deux jeunes intellectuels ont fait des choix différents. Alors que le mouvement étudiant prodémocratie était sur le point d’être anéanti en 1989 sur la place Tiananmen, l’un a choisi de se ranger avec le Parti communiste et l’autre avec les étudiants.
Wang Huning, pour ceux qui le connaissent, a toujours joué le caméléon. Occupant maintenant un siège sur le puissant Politburo du Parti communiste chinois, Wang a été en mesure de demeurer le proche conseiller de trois dirigeants communistes successifs. C’est tout un exploit considérant le factionnalisme qui définit la politique chinoise.
Xia Ming, un professeur de politique chinoise basé à New York, qui a partagé un dortoir adjacent et ensuite un bureau avec Wang Huning durant leurs études supérieures et par la suite, porte le chapeau d’universitaire et de militant pour la démocratie, ce qui est courant chez beaucoup d’intellectuels chinois dotés d’une forte conscience.
À quelques années de différence – Xia à l’âge de 16 ans en 1981 et Wang à 22 ans en 1978 – ils sont entrés à l’Université Fudan de Shanghai, l’une des écoles les plus prestigieuses en Chine. Ils ont habité et travaillé de près durant la décennie suivante. Plusieurs années plus tard, Xia est demeuré ami avec l’ex-épouse de Wang, l’accueillant chez lui lorsqu’elle visite les États-Unis pour des conférences académiques. Xia a témoigné froidement de l’ascension de Wang au fil du temps, n’étant pas vraiment surpris qu’un homme au caractère et au tempérament de Wang Huning monte aussi haut dans un système autant opaque que brutal.
L’histoire des deux hommes est une démonstration claire du destin des intellectuels dans la Chine moderne. D’un côté l’universitaire-mercenaire, heureux de concevoir sur demande des armes théoriques pour la classe dominante, peut aller très loin. De l’autre, celui qui veut incarner le rôle traditionnel de l’intellectuel confucéen, dont le « devoir moral est de critiquer les abus de pouvoir », tel que noté par le sinologue John Minford, ne peut le faire que par la voie de l’exil.
Wang le prudent
« Il est très prudent. Il ne veut pas prendre position sur quoi que ce soit », affirme Xia Ming sur son ancien collège. « Il va vous poser des questions, fournir certaines de ses observations, mais il ne va jamais révéler le fond de sa pensée », ajoute-t-il.
« C’est sa personnalité. Il ne veut pas révéler sa vraie nature. »
Chen Kuide, un autre érudit en exil, a été le premier candidat au doctorat en philosophie à l’Université Fudan de l’ère post-Mao. Il est entré la même année que Wang Huning. Ils ont partagé le même dortoir pendant trois ans et demi. Chen édite maintenant China in Perspective, un journal en ligne pour le débat politique et intellectuel.
« Nous étions amis. Des amis proches », mentionne Chen. « Il écrivait des poèmes modernes. Nous sortions ensemble et prenions du bon temps. Mais il n’aimait pas vraiment parler. Il était extrêmement prudent. »
Une photo des diplômés de science politique et de politique internationale en 1988 montre Xia Ming et Wang Huning avec le reste de la promotion. Les classes dont ils faisaient partie étaient parmi les plus compétitives du pays. Xia, par exemple, était l’un des seulement 22 étudiants de sa province du Sichuan, dont la population était d’environ 100 millions à l’époque.
Lorsque Xia était étudiant de premier cycle, Wang était diplômé. Quand Xia a obtenu son diplôme, Wang occupait des rôles d’enseignement. À un moment donné, les deux étaient les commissaires politiques de leurs classes respectives, écrivant des rapports sur la fiabilité idéologique de leurs camarades de classe.
« Wang habitait dans la chambre au bout du dortoir, à quatre chambres de moi. Matin et midi nous allions dans la même cafétéria pour manger. » Plus tard, alors que les deux enseignaient, Xia passait devant le bureau de Wang quelques fois par jour et s’arrêtait souvent pour jaser. Leurs interactions au fil des années 1980 étaient caractérisées par un mélange de doute et d’admiration mutuels et, la plupart du temps, la Chine était assez grande pour eux deux.
Tandis que les événements les plus marquants de l’histoire politique chinoise moderne approchaient – les manifestations étudiantes de 1989 et leur répression violente – le paysage idéologique en Chine commençait à rétrécir rapidement. Les bourgeois sentimentalistes qui buvaient du Coca-Cola et écrivaient des fictions romantiques n’avaient plus la cote, contrairement aux dissimulateurs qui promettaient un renforcement théorique du totalitarisme.
Printemps de Fudan
En avril 1989, Shanghai commençait à ressentir les répercussions des manifestations étudiantes à Pékin avec des grèves de la faim, l’éducation populaire et des marches sur le campus de Fudan. Xia, à l’époque éminent professeur, membre du Parti et commissaire politique, a livré un discours impressionnant devant des centaines d’étudiants dans un auditorium à la fin avril.
Le jour suivant, des étudiants d’autres universités de Shanghai ont commencé à manifester et faire la grève de la faim en guise de solidarité avec les manifestants de Pékin. Les participants à Fudan ont réalisé que toute l’agitation pourraient revenir les hanter. Ils ont donc chercher à « diluer leur responsabilité en augmentant sans cesse les troubles », explique Xia.
En tant qu’universitaires junior, ils sont partis à la recherche de professeurs d’expérience pour signer leurs pétitions et ont réussi à enrôler le fils de Yan Beiming, l’un des plus célèbres philosophes de Fudan. « Nous avons demandé à Wang Huning de signer, mais bien entendu il n’a pas signé. »
Wang a plutôt fait le contraire, apposant sa signature à un document antiréformiste dénonçant les manifestations.
« Il a clarifié sa position politique : il ne soutenait pas le mouvement étudiant », indique Chen Kuide.
Ceux qui ne suivaient pas la ligne ont dû se cacher. Xia Ming s’est réfugié près des monts Huangshan jusqu’à ce qu’il eût vent qu’il était sûr de revenir. Son ami, l’étudiant militant Wen Jiangpin, s’est fait attraper et a été renvoyé dans la province du Hunan pour travailler dans une usine d’engrais produisant de l’ammoniac. Il se serait éventuellement enlevé la vie.
Xia avait un bon dossier en classe et cela lui a offert une certaine clémence. Son père était un communiste de première génération et un pilote de la force aérienne ayant aidé Lin Biao à sécuriser le Nord-Est durant la guerre civile chinoise; son beau-père était un scientifique communiste dans le domaine du nucléaire; la famille de sa mère dans le Jiangsu avait aidé à financer la révolution, prêtant de l’argent à Zeng Shan, le père de l’ex-vice-président chinois Zeng Qinghong. Ce contexte historique a joué un rôle alors que Xia a été pardonné pour sa naïveté.
« Mais lorsque je suis revenu, j’ai perdu ma liberté », raconte-t-il. « Je n’ai pas été jeté en prison, mais je devais me présenter chaque jour pour une rencontre d’étude politique et je ne pouvais quitter le campus. »
Gravir les échelons
Wang Huning ne pouvait se vanter d’un bagage familial aussi imposant, alors il s’est marié dans une famille à la lignée prestigieuse. Durant les années 1980, Wang a épousé l’étudiante prometteuse Zhou Qi, dont le père tenant le rang de vice-ministre dans l’appareil de sécurité du régime.
« Wang est une personne très réfléchie et calculatrice. Lorsque Zhou Qi était jeune, elle n’avait aucun statut, mais elle provenait d’une famille établie », explique Xia Ming. « Imaginez si vous êtiez un jeune professeur à la Kennedy School de Harvard et que vous vous marriez avec la fille du président du Brookings Institute ou celle du conseiller à la Sécurité nationale. Wang est rapidement devenu le plus jeune chargé de cours dans notre département. »
Alors qu’il se positionnait pour jouir d’une plus grande influence, et qu’il se rangeait politiquement derrière la ligne de parti émergente, il est possible que Wang ait été alerté par les agences de renseignement chinoises au sujet des tendances en jeu avant le massacre du 4 juin.
Des publications en langue chinoise basées à l’étranger dont Boxun et l’Open Magazine de Hong Kong, citant un professeur de relations internationales à Fudan à la retraite, affirme qu’il était « bien connu » que les agents de la sécurité de l’État de Shanghai étaient en contact avec Wang. Xia Ming décrit aussi avoir dû fermer la porte aux approches agressives du personnel de renseignement chinois.
Une des instances les plus célèbres démontrant l’obéissance de Wang serait survenue dans l’auditorium de l’Hôtel Jinjiang, une institution du Vieux-Shanghai sur laquelle les communistes avaient mis la main au début de leur règne. Jiang Zemin, alors secrétaire du Parti dans la ville, avait organisé une rencontre avec les universitaires, les écrivains, les directeurs de journaux et d’autres dans la sphère culturelle pour expliquer la « rectification » du quotidien libéral renommé World Economic Herald.
Durant les années 1980, le Herald avait été la niche de plusieurs intellectuels et écrivains de l’époque et il avait publié, entre autres, des textes de Xia Ming et Wang Huning sur les réformes économiques et politiques en Chine. Son appui envers les manifestations étudiantes à Pékin avait toutefois incité Jiang Zemin à prendre position contre lui (les spécialistes estiment que cela a joué beaucoup en faveur de sa nomination au poste de secrétaire-général du Parti, suite au massacre de la place Tiananmen et au renvoi de Zhao Ziyang).
Tandis que les gens rassemblés à l’Hôtel Jinjiang étaient majoritairement contre l’attaque envers le Herald, Wang Huning l’appuyait ouvertement. Ce fait a été remarqué par Zeng Qinghong, souvent qualifié d’homme de main et de cerveau politique de Jiang Zemin, qui a demandé à Wang de rester sur place pour être présenté au grand patron.
Xia Ming affirme avoir entendu cette histoire d’un participant à la réunion; Chen Kuide affirme avoir entendu la même histoire d’une autre source; Zhang Weiguo, un ex-journaliste et rédacteur au Herald, est au courant de la réunion mais ne connaissait pas cette anecdote.
Bien qu’elles ne confirment pas cet événement, les publications du Parti démontrent que Zeng Qinghong admirait Wang. « L’intelligence de Wang Huning en science politique est tombée dans l’œil de certains dirigeants avant le 13e Congrès du Parti » en 1987, indique l’organe officiel China News Service. « Notre Parti avait particulièrement besoin de perspicacité en matière de science politique. »
L’article affirme que Zeng, à l’époque impliqué dans les ressources humaines à Shanghai, est allé rendre visite à Wang à l’Université Fudan et ils ont discuté pendant plus de deux heures. « Les deux hommes ont parlé de plusieurs sujets d’intérêt et leurs points de vue se sont alignés. L’atmosphère de la discussion était extrêmement positive, à tel point qu’ils ont presque oublié qui était le dirigeant et qui était l’universitaire. »
Lire la deuxième partie de cet article ici.
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