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Choyés par leurs proches, les centenaires cubains visent les 120 ans

juin 30, 2019 6:43, Last Updated: juillet 12, 2019 14:25
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Face au miroir, Delia Barrios applique fard à joues et rouge à lèvres: elle veut être la plus belle pour fêter ses 102 ans, entourée de ses proches comme nombre de centenaires cubains, dont la longévité intrigue les experts.

« Je n’ai pas l’impression d’avoir cet âge.  J’ai une famille qui m’aime beaucoup, cela aide à se sentir bien », confie-t-elle, en maniant habilement son fauteuil motorisé, avec sur ses genoux son arrière-arrière-petite-fille Patricia, âgée de sept ans.

Sur le gâteau d’anniversaire, seules deux bougies ont été disposées. Delia les souffle sous les applaudissements de la trentaine d’invités, dans la cour d’un immeuble du quartier Playa, à La Havane.

A la soixantaine, les médecins lui avaient diagnostiqué un cancer du colon et donné un an à vivre. Elle a démenti leur pronostic puis quitté Cuba en 1993, en pleine crise économique, pour les Etats-Unis où réside son fils.

Mais en 2013, « je tombais presque chaque semaine, donc la médecin m’a dit Vous ne pouvez plus vivre seule ». Delia, qui raconte avoir « beaucoup dansé » dans sa vie, fumé et bu « avec modération », est rentrée à Cuba et cohabite avec sa petite-fille Yumi, 59 ans.

L’île compte 2.070 centenaires pour 11,2 millions d’habitants et une espérance de vie de 79,5 ans : des chiffres similaires à ceux d’un pays riche, alors que le salaire public moyen n’y est que de 30 dollars par mois. Dans ce pays socialiste à la forte densité de médecins et au système de santé gratuit, un « Club des 120 ans » encourage les habitants à viser cet âge vénérable.

« Biologiquement, il est prouvé que l’homme peut vivre 120 à 125 ans », affirme le Dr Raul Rodriguez, président de cette institution créée en 2003 par le médecin personnel de Fidel Castro, Eugenio Selman-Housein.  Le club « essaie de promouvoir dans toute la population des modes de vie sains car c’est l’unique moyen d’arriver à cet âge. »

Alors que les retraités touchent généralement une pension de 10 dollars par mois, l’Etat a ouvert des cantines sociales pour ceux qui ne peuvent compléter ce montant avec une aide de leur famille à l’étranger.

Les centenaires sont les plus choyés : « Nous essayons de leur assurer un suivi très particulier », explique la Dr Alina Gonzalez Moro, du Centre de recherches sur la longévité (Cited). « Tous les centenaires de La Havane peuvent nous appeler en cas de problème de santé et, immédiatement, un gériatre va les voir ».

Visage étonnamment lisse et regard malicieux, Rigoberta Santovenia a eu 102 ans en janvier. « Je ne pensais pas arriver à cet âge… et me voilà », s’amuse-t-elle, assise confortablement dans un canapé.

Elle marche vite malgré sa canne et cuisinait encore il y a peu, mais les médecins lui ont conseillé d’arrêter. Elle a cessé aussi de coudre mais sait passer le fil dans l’aiguille et lit le journal chaque jour sans lunettes.

Son secret ? « Je suis très famille, j’aime beaucoup mes enfants, mes petits-enfants, et j’ai six arrière-petits-enfants. Je n’ai jamais été seule ». Parfaitement lucide, elle se rappelle qu’elle avait déjà la quarantaine lors de la révolution menée par Fidel Castro en 1959. « Je me suis adaptée à tous les gouvernements! »

Elle vit dans le quartier du Vedado avec son petit-fils et sa fille Regla, 68 ans, qui s’occupe d’elle chaque jour. « C’est mon obligation », assure Regla, « car elle m’a tout donné. Maintenant je dois la remercier en prenant soin d’elle ». Regla est persuadée que sa mère « va vivre 120 ans »: « son arrière-grand-mère était esclave » et « ce sang d’esclave a l’air plus fort, c’est pour ça qu’elle tient si longtemps! »

La spécificité cubaine interpelle les spécialistes. Certes « le soutien familial tend à favoriser la longévité, on voit cela au Japon », note Robert Young, directeur du Groupe de recherche sur la gérontologie (GRG), aux Etats-Unis. Le climat chaud aide également. Mais clamer que dans un pays, on vit plus longtemps qu’ailleurs, c’est aussi « à des fins de propagande idéologique ».

Selon Vincent Geloso, professeur d’économie au King’s University College au Canada et auteur d’un article sur le sujet pour l’université d’Oxford, les médecins cubains « ont des chiffres à atteindre, sinon ils sont punis ».

Il évoque des manipulations statistiques similaires à celles pratiquées en URSS: des mortalités néo-natales comptabilisées comme décès de fin de grossesse pour ne pas grossir les taux de mortalité infantile, ce qui réduirait l’espérance de vie. Pourtant, « même dans le pire scénario de manipulation, Cuba demeure un endroit à haute espérance de vie par rapport à son niveau de revenus », relève M. Geloso.

Pour expliquer ce « paradoxe », il avance notamment un facteur: « Cuba a un des plus bas taux de possession automobile  pas parce que les Cubains n’aiment pas conduire mais parce qu’ils ne peuvent pas acheter de nouvelles voitures », ce qui diminue les risques d’accidents de la route.

Il cite aussi les restrictions alimentaires durant la Période spéciale (crise économique des années 90) qui ont réduit le diabète, ou les « mesures coercitives de santé publique », comme la mise en quarantaine de séropositifs dans les années 80.

« Cuba réussit très bien à garder les gens en vie très longtemps », dit M. Geloso. « Mais si on offrait aux Cubains le choix entre une année de vie en plus et, par exemple, des revenus plus élevés ou une éducation différente, qu’est-ce qu’ils choisiraient? »

E.T avec AFP

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