Lorsque la cigarette est devenue populaire, au début du XXe siècle, on nous a dit qu’elle était bonne pour la santé et partout, dans toutes les publicités (y compris auprès des jeunes), fumer paraissait si cool… Il nous a fallu du temps pour comprendre ce qu’il en était réellement, et cette information est arrivée trop tard pour beaucoup de fumeurs.
Malheureusement, il semble que l’histoire se répète désormais avec le vapotage.
Avant l’invention des machines à fabriquer les cigarettes, celles-ci étaient roulées à la main ; un rouleur expérimenté produisait environ 240 cigarettes par heure. Lorsque la mécanisation est arrivée, à la fin du XIXe siècle, les premières machines ont changé la donne. Elles pouvaient produire 12.000 cigarettes par heure dans un premier temps, elles ont fini par atteindre une cadence de 1,2 million d’unités par heure.
Cela a rendu la pratique extrêmement abordable, accessible même aux plus modestes. Ces machines deviendront peut-être le pire développement de l’histoire en matière de santé publique.
Associées à la communication de masse plébiscitant le tabac, dont la célèbre publicité des années 1940 « Les médecins fument des Camels plus que n’importe quelle autre cigarette » qui a réussi à détourner l’attention de la population des premières préoccupations sur leurs effets nocifs, les cigarettes bon marché ont ainsi fait grimper en flèche la prévalence du tabagisme à l’échelle mondiale.
Une large étude menée en Australie est arrivée à la conclusion que jusqu’à deux fumeurs de longue durée sur trois étaient morts de leur dépendance. Les fumeurs mourant, de surcroît, en moyenne dix ans plus tôt que les non-fumeurs.
Depuis lors, les gouvernements s’efforcent de mettre en place des mesures de contrôle efficaces à l’encontre de « Big Tobacco » – surnom des cinq principales entreprises de l’industrie du tabac (Philip Morris International, Altria, British American Tobacco, Imperial Brands et Japan Tobacco International). La Convention-cadre pour la lutte antitabac de 2003 de l’Organisation mondiale de la santé consacre une section entière au moyen de minimiser l’ingérence de l’industrie qui cherche toujours à se développer et attirer de nouveaux consommateurs.
Quand le cancer des poumons était rare…
Au début du XIXe s., le cancer du poumon était rare malgré la forte pollution de l’air dans les villes, due aux industries. En 1919 encore, le chirurgien américain Alton Ochsner, se souvient avoir entendu dire, alors qu’il participait à sa première autopsie d’un cancer du poumon, que lui et ses collègues « ne reverraient peut-être plus jamais un tel cas »…
Et de fait, le médecin n’en a pas vu d’autres jusqu’en 1936… Puis ce seront neuf cas en six mois. Étant donné l’explosion du tabagisme qui s’est produite aux États-Unis avec la Première Guerre mondiale, Ochsner a rapidement supposé que les cigarettes étaient à blâmer.
Aujourd’hui, et depuis les années 1960, le cancer du poumon est (de loin) la première cause de décès par cancer dans le monde. Le cancer du poumon (dont presque toutes les formes peuvent être attribuées au tabagisme) est responsable de 18% de tous les décès par cancer en 2020 ; le cancer du foie étant la deuxième cause de décès la plus fréquente, avec 8,3%.
Un graphique datant de 1994, et désormais célèbre, circule chez les responsables en santé publique. Il illustre, tragiquement, la dynamique de l’épidémie des maladies causées par le tabac au fil des décennies.
La courbe montre quatre grandes étapes dans l’évolution de l’épidémie de tabagisme et des maladies associées.
– Première phase (une vingtaine d’années) : le tabagisme se répand, mais les maladies qu’il entraîne sont encore négligeables.
– Seconde phase (trentaine d’années) : la consommation de cigarettes atteint son pic chez les hommes et augmente chez les femmes, mais les maladies associées commencent à augmenter chez les premiers.
– Troisième phase (trentaine d’années) : la consommation de cigarettes se stabilise chez les hommes avant de décroître, mais atteint seulement son pic chez les femmes. Les maladies associées augmentent toujours chez les premiers et commencent leur croissance chez les secondes.
– Quatrième stade (depuis les années 1980) : le tabagisme diminue chez les deux sexes, mais les maladies se développent toujours. Ces écarts sont connus sous le nom de périodes de latence en épidémiologie.
Le mésothéliome (cancer de la plèvre, qui entoure les poumons) causé par l’inhalation de fibres d’amiante suit également ce schéma. La période de latence entre l’exposition initiale et l’apparition des symptômes peut atteindre jusqu’à 50 ans.
Risque, publicité, arôme… Ce qui pose problème
Le vapotage ne se développe que depuis une dizaine d’années. Par conséquent, s’il provoque des affections graves sur le long terme telles que le cancer du poumon, des maladies cardiovasculaires ou respiratoires, on s’attend à ce qu’il y ait encore très peu de cas à l’heure actuelle. Cela n’a pas empêché certaines déclarations cavalières selon lesquelles le vapotage est « 95% moins dangereux que le tabagisme ».
Cette statistique est encore souvent utilisée, bien que l’article originel admette que plusieurs critères utilisés pour évaluer les effets néfastes du vapotage ne sont pas suffisamment étayés.
De nombreuses données préliminaires indiquent aujourd’hui que le vapotage n’est pas inoffensif. Par exemple, des études ont révélé que les produits contenus dans les cigarettes électroniques contiennent des substances cancérigènes (pour le poumon), peuvent être corrélées à l’asthme et altérer notre système vasculaire.
Les connaissances sur la toxicologie mortelle de la fumée de tabac ont été acquises au fil des décennies… Pour la vape, on manque encore énormément de données. Les milliers de substances chimiques aromatisantes aspirées posent ainsi des problèmes aux autorités de réglementation.
En 2021, l’association américaine des fabricants d’arômes et d’extraits a déclaré que « les fabricants d’e-cigarettes ne doivent pas affirmer ou suggérer que les ingrédients aromatiques utilisés dans leurs produits sont sans danger […] car de telles déclarations sont fausses et trompeuses ». Les régulateurs n’ont par ailleurs jamais autorisé les inhalateurs médicaux contre l’asthme à contenir des arômes.
Autre point qui pose question : la publicité. Toutes les formes de publicité et de promotion du tabac sont depuis longtemps interdites ou sérieusement restreintes dans de nombreux pays. Mais le vapotage est apparu à l’ère de l’Internet, où la réglementation est beaucoup plus complexe. Les médias sociaux sont aujourd’hui inondés de promotions pour les cigarettes électroniques, avec par exemple des mélanges illégaux vendus comme des « fruits » sur Facebook Marketplace.
Des recherches ont montré que les espaces intérieurs où étaient réunis de nombreux vapoteurs contenaient des concentrations en particules en suspension dans l’air plus élevées que les bars bondés à l’époque où le tabac était autorisé. Aucune compagnie aérienne au monde ne permet le vapotage en vol.
Répéter, encore, les mêmes erreurs
Alors que le vapotage chez les jeunes accélère considérablement en Australie, au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande, les gouvernements s’efforcent de trouver des solutions au problème qu’ils ont créé par des politiques irréfléchies et précipitées. (En France, l’usage de la cigarette électronique a triplé en cinq ans chez les jeunes de 17 ans, ndlr)
Tout comme l’industrie du tabac a nié pendant des décennies avoir ciblé les jeunes, nous constatons aujourd’hui que elle utilise des allégations et des stratégies presque identiques.
En Australie, les défenseurs du vapotage soutiennent que les lois et réglementations applicables aux vapes ne devraient pas être plus sévères que celles qui s’appliquent aux cigarettes. Ainsi, alors qu’il n’y a aucune restriction sur les lieux de vente des cigarettes, nous voyons aujourd’hui les efforts de l’industrie du tabac pour tenter de faire autoriser la vente de produits de vapotage dans les mêmes conditions.
Les premiers pas de la lutte antitabac en Australie ont été les minuscules avertissements sanitaires apparus en 1973. Il a ensuite fallu 40 ans de lutte et de financement de campagnes d’abandon du tabac pour amener le tabagisme à son niveau le plus bas jamais atteint.
Ces 40 ans perdus le sont à la fois du fait de l’ignorance initiale de l’ampleur latente des maladies liées au tabagisme… et de la pression soutenue exercée par l’industrie du tabac pour faire échouer, retarder et diluer toute politique menaçant de la limiter.
Et il est important de noter que tous les grands fabricants de tabac fabriquent également des produits de vapotage : il ne s’agit donc pas seulement du même jeu, mais aussi des mêmes acteurs.
On dit souvent que si les cigarettes étaient inventées demain et que nous sachions alors ce que nous ne savions pas à l’époque, aucun gouvernement au monde n’en autoriserait la vente (et encore moins la vente dans les magasins de proximité)…
C’est pourtant ce qui se passe aujourd’hui avec la vape.
Tous les ministères de la santé australiens, la plupart des grands partis politiques, la quasi-totalité des agences sanitaires et médicales australiennes et de nombreuses agences internationales, dont l’OMS, affirment que le vapotage devrait être fortement réglementé. (En France, il est interdit dans les établissements scolaires et destinés à l’accueil, à la formation et à l’hébergement des mineurs, dans les moyens de transport collectif fermés et les lieux de travail collectif fermés et couverts, ndlr)
Les partisans du vapotage soutiennent que la cigarette électronique est incontournable pour aider les fumeurs à arrêter de fumer, mais les preuves de cette efficacité sont limitées.
Actuellement, les dispositifs de vapotage sont largement disponibles, mais ceux qui comprennent des liquides contenant de la nicotine ne sont légalement disponibles que sur ordonnance en Australie (la France a mis en place une réglementation spécifique, ndlr). Cela n’empêche malheureusement pas d’en acheter aussi illégalement que facilement en ligne ou dans certains magasins de proximité.
Article écrit par Simon Chapman, Emeritus Professor in Public Health, University of Sydney
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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