« L’ours nous a sauvé », assure Julian Pinilla, cultivateur de café qui aux côtés de neuf autres producteurs de l’or noir colombien a cédé une partie de sa propriété des Andes colombiennes à l’ours à lunettes pour le plus grand bénéfice des communautés locales et de la biodiversité.
Sombrero vissé sur la tête et coco en bandoulière pour récolter le café vert à plus de 1800 mètres d’altitude, ce caféiculteur de générations en générations ne tarit pas d’éloge sur l’ursidé au pelage uniforme noir ou brun et marques blanches caractéristiques sur le visage, relativement petit par rapport à ses congénères européens et nord-américains (de 1,40 à 1,90 mètre).
Le « jardinier des bois »
Unique ours de l’Amérique du Sud, vivant en altitude le long de la Cordillère des Andes de l’extrême Nord de l’Argentine au Venezuela, le Tremarctos ornatus est classé « vulnérable » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Sa population diminue en raison de la destruction de son habitat naturel par les activités humaines et ses rencontres parfois mortelles avec l’Homme.
Le nombre d’individus qui arpentent les forêts brumeuses est difficile à estimer. La dernière étude, il y a 20 ans, basée sur des données génétiques, en dénombrait environ 20.000.
La distribution de son alimentation, majoritairement composée de fruits et de plantes, et sa capacité à parcourir de longues distances en font le « jardinier des bois ». En laissant les ours à lunettes parcourir en paix leur domaine, suivant le programme « Conservons la Vie » co-géré par des fondations privées et administrations publiques, les caféiculteurs reçoivent en contrepartie des aides pour améliorer le rendement des plantations via de nouveaux outils et techniques.
Des systèmes de traitements des eaux, de fosses septiques et de traitement du café ont également été mis en place. Et le « café des ours » exporté bénéficie d’un programme de commerce équitable de rémunération pour les producteurs, fruit de la valeur ajoutée à la protection de l’ours.
« Une prise de conscience »
Depuis 2015, le taux d’occupation de l’ours sur les 3000 hectares protégés a largement augmenté selon les responsables du programme, signe du succès de l’opération. « Il n’y a plus autant de conflits qui impliquent la chasse ou la déforestation car il y a eu une prise de conscience », affirme Julian Pinilla qui a cédé 28 hectares à l’ours qui profitent aussi à d’autres espèces.
Selon Ana Maria Garrido, anthropologue environnementale, une des clés du succès est d’avoir « commencé à inclure les savoirs des locaux », en opposition à d’anciennes méthodes de conservation uniquement tournées vers la création de zones protégées. Des aires « qui posent problème en termes de droit des personnes à disposer de leur territoire » et ne prennent pas assez en compte le « rôle (des communautés locales) comme gardien de la biodiversité », analyse l’experte.
Au plus près de la capitale, le parc de Chingaza, à une cinquantaine de kilomètres de Bogota, est souvent montré en exemple par les autorités. Ici, la population d’ours andins est estimée à une centaine d’individus, que certains touristes, ravis, ont pu apercevoir au détour d’un chemin. « Dans ce secteur, l’ours a déjà pris un selfie et il prend même la pose », juge avec ironie Adriana Reyes, biologiste à la fondation « Wii », nom donné à l’ours par les populations indigènes embéra du Nord de la Colombie.
« Cette population n’a pas beaucoup d’avenir », souligne Daniel Rodriguez, pionnier de la conservation des ours à lunettes et directeur de la fondation Wii, pointant l’urbanisation autour du parc, coincé entre plusieurs routes asphaltées. Cantonnés à Chingaza pour se nourrir, les ours du parc sont parfois contraints de s’aventurer dans les communes alentours pour se nourrir, et « quand un ours sort de Chingaza, il est tué », affirme M. Rodriguez, relevant nombre de conflits entre éleveurs et ours.
L’existence d’un ours endémique au continent est l’un des sujets d’éducation qui tient à cœur aux protecteurs de l’environnement en Colombie car « l’ours est une espèce charismatique », explique Carolina Jarro Fajardo, sous-directrice de la protection des aires protégées.
Considéré comme une espèce parapluie, sa présence « est un bon indicateur de l’état de conservation des écosystèmes » ajoute-t-elle.
Dans les forêts qui bordent les plantations de café de Julian et ses compagnons qui ensembles ont rendu 397 hectares à la forêt, les caméras pièges ont permis de repérer une biodiversité florissante : renard crabier, agouti ponctué, tatou à sept bandes, martre à tête grise, oncilles, cerfs et pumas parcourant les forêts qui bordent le café.
« Nous conservons l’ours en lui laissant une partie de la forêt, elle est un lieu de vie pour lui, mais aussi pour tous », se réjouit Julian Pinilla.
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