À quand remonte la dernière fois que vous avez voulu dire quelque chose en public ou commenter sur les réseaux sociaux, mais avez pensé qu’il valait mieux ne rien dire ? Dans un climat de polarisation sociale et de « culture de l’effacement » (ou « cancel culture ») qui encourage l’hostilité envers les personnes qui expriment une opinion différente, il y a parfois une peur d’exprimer nos opinions et le sentiment que, si nous le faisons, une boîte de Pandore de réactions toxiques s’ouvrira. « Mieux vaut vivre tranquillement », se dit-on, et ne pas réveiller le chat qui dort.
Même le philosophe Zénon de Kition, le père de l’école stoïcienne, pensait cela dans sa jeunesse quand il parcourait les rues d’Athènes, timide et inquiet de ce que les gens pourraient penser de lui. Son professeur et philosophe, Cratès de Thèbes, remarqua l’embarras de Zeno, c’est pourquoi, un jour il lui demanda de porter un pot en argile rempli de soupe aux lentilles parmi la foule de la ville. Zenon, ne voulant pas attirer l’attention sur lui-même, cacha le pot sous ses vêtements. Sans qu’il s’en aperçoive, Cratès s’approcha soudainement de lui et brisa la marmite de soupe au cœur de la rue animée. La soupe éclaboussa Zenon qui paniqua et se mis immédiatement à courir. « Pourquoi t’enfuir, mon petit Phénicien (car il était d’origine phénicienne) ? Il ne s’est rien passé de terrible », cria Cratès, qui espérait voir Zenon tirer une leçon de cette expérience.
La leçon était claire : l’une des façons de gérer la peur de ce que les gens peuvent dire de nous est de se préparer à vivre l’humiliation et d’examiner sans détour le problème. Si je suis gêné de parler devant un groupe de personnes de peur qu’elles puissent penser du mal de ce que je dis, je dois le faire quand même ou l’imaginer mentalement. De cette façon, je peux remarquer que ce n’est pas si grave, et, progressivement, en répétant la simulation, je neutraliserai la peur. La situation sera plus confortable pour moi, et je pourrai exercer mon libre arbitre avec courage et fierté.
Mais la chose n’est pas si simple. L’empereur et philosophe stoïcien Marc Aurèle a suggéré dans son livre Pensées (1) qu’il ne suffit pas d’imaginer la situation ou de la vivre, nous devons également examiner nos pensées et identifier la pensée qui nous cause cette peur : « Si la douleur que tu éprouves vient d’une cause extérieure, ce n’est pas à l’objet du dehors que tu dois t’en prendre, c’est au jugement que tu en portes; car il ne dépend que de toi absolument d’effacer le jugement que tu t’en formes ». (1-A)
Le philosophe stoïcien Epictète a ajouté que pour cette raison : « Lors donc que nous sommes contrariés, troublés ou tristes, n’en accusons point d’autres que nous-mêmes, c’est-à-dire nos opinions. » (4). Marc Aurèle le pensait aussi : « Supprime l’idée que tu t’es faites ; et, du même coup, tu supprimes aussi ta plainte : ‘Je suis blessé’. Supprime le ‘Je suis blessé’ ; et, du même coup, la blessure est supprimée également. » (1-B).
Les deux philosophes ont souligné à plusieurs reprises la différence entre les facteurs externes sur lesquels nous n’avons aucun contrôle et les facteurs internes que nous contrôlons. Les facteurs externes sont des choses comme l’opinion que les autres ont de nous, tandis que les facteurs internes sont nos pensées, nos valeurs ou la façon dont nous répondons aux critiques à notre encontre. « De même dans la vie ce qu’il y a d’essentiel, c’est de distinguer, c’est de diviser, c’est de se dire : Les choses extérieures ne sont pas à moi », a écrit Epictète, en ajoutant : « Où donc chercherai-je le bien et le mal ? Au-dedans de moi ; dans ce qui est à moi. Ne dit jamais des choses extérieures qu’elles sont bonnes ou mauvaises, utiles ou nuisibles, ni quoi que ce soit en ce genre ». (2)
Lors d’une interview, le canadien Jordan Peterson, psychologue clinicien, a ajouté un autre niveau important lorsqu’il a exprimé comment il gère la peur de l’opinion des autres (3) : « Faites ce qui a du sens, non ce qui est confortable. […] Mais si le monde est correctement structuré à travers la vérité, alors la « foi » est la volonté d’avoir foi en la vérité. Donc, si vous dites ce que vous croyez être vrai, et il se passe quelque chose (…) Parfois, la vérité n’est pas bonne à entendre ; c’est pourquoi les gens mentent. Vous dites la vérité, vous vous attirez des ennuis. Tout enfant le sait. Pourquoi tu as menti ? et il répond qu’il avait peur des conséquences. Ce n’est pas une bonne stratégie à long terme ».
Une meilleure stratégie, explique Peterson, consiste à « dire ce que vous croyez être la vérité et peu importe ce qui se passe. Si vous dîtes ce que vous croyez être la vérité, vous avez fait votre devoir. Peu importe le résultat, je le pense vraiment. Le monde est constitué ainsi. Donc ce n’est pas du courage, c’est plus comme une foi. Je vais dire ce que je pense, je vais essayer de le faire avec le plus grand soin, je vais essayer de me détacher du résultat ».
Epictète a écrit : « S’il t’arrive un jour d’accorder du poids aux objets extérieurs par désir de plaire à quelqu’un, sache que tu réduiras à néant tes principes de vie. » (4). Il ajoute : « Borne-toi donc à être toujours philosophe ; mais si tu tiens aussi à le paraître, que ce soit à tes propres yeux et cela suffira ». (4)
En d’autres termes, dire la vérité intérieure équivaut à « rechercher à l’intérieur », tandis que se concentrer sur ce que les autres pensent de nous équivaut à « regarder à l’extérieur ». Jordan Peterson l’a expliqué : « Lorsque je me présente à ce genre d’événement – une interview – j’ai la chance de pouvoir dire des choses. Je ne viens pas en me disant : ‘Je dois vous convaincre de croire en ce que je dis’. ‘Je me fiche de savoir si vous êtes convaincu.’ Ce n’est pas dans le sens où je m’en fiche de vous, je vous souhaite le meilleur, mais je me fiche de savoir si vous êtes convaincu ou non. Je ne suis pas là pour ça. Je suis là pour écouter les questions, élaborer une pensée, l’exprimer, et voir ce qui se passe. Qui sait ce qui va arriver ? »
Un autre aspect que Jordan Peterson aborde est la signification de dire la vérité pour nous-même. « Sans vérité vous ratez l’aventure de votre vie. Si vous dites la vérité cela signifie que vous révélez votre être. C’est ce que vous faites lorsque vous révélez la vérité. Lorsque vous révélez votre être, alors vous vivez dans le monde. Vous êtes là, vous êtes présent. C’est être là, c’est être vous. C’est votre destin, votre voyage, votre aventure. C’est ce qui va justifier votre vie. L’aventure ne va pas être simple, mais si vous vous cachez de votre vérité, vous vous cachez de vous-même et vous n’êtes plus là. Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous êtes ? Une marionnette ? Vous, la marionnette d’un lâche ? Vous êtes la marionnette d’un dictateur, d’un philosophe de second rang, une pensée idiote ou la brute de votre lycée. Dieu seul le sait. Mais vous ne vivez pas votre vie. Vous perdez votre vie, et vous perdez aussi votre âme. »
Marc Aurèle, qui était un empereur et un personnage public exposé à la critique, a écrit : « Bien souvent je me suis demandé, non sans surprise, comment il se peut que chacun de nous, tout en se préférant au reste des êtres, fasse pourtant moins de cas de sa propre opinion sur lui-même que de l’opinion des autres ». (1-C). Une telle personne, selon Marc Aurèle, est une personne qui n’est pas connectée à ses valeurs.
Marc Aurèle a ajouté : « Si les gens te critiquent, s’ils te détestent, s’ils t’accablent de leurs clameurs et de leurs outrages, va droit à leurs âmes, pénètres-y et regarde ce qu’ils sont. Tu verras bien vite que tu n’as guère à te tourmenter de l’opinion que de telles gens peuvent avoir de toi. Il faut néanmoins conserver ta bienveillance envers eux ; car la nature veut que vous vous aimiez. » (1-D)
Références.
1 . Marc Aurèle, Pensées ; traduction Barthélemy Saint-Hilaire – 1876
1-A : Pensées – LIVRE VIII – XLVII
1-B : Pensées – LIVRE IV – VII
1-C : Pensées – LIVRE XII – IV
1-D : Pansées – LIVRE IX – XXVII
2. Les Entretiens d’Épictète, Livre II
3. Jordan Peterson, « Le moyen le plus simple d’ARRÊTER de se soucier du regard des autres« , YouTube, 2022 (Traduction française – 7,6 minutes)
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