Comment la France a détruit sa filière noisette

Par Ludovic Genin
20 novembre 2024 09:08 Mis à jour: 22 novembre 2024 09:06

Plus de 50 % de la récolte de noisettes détruite ou non commercialisable à cause notamment d’un ver ravageur : en difficulté économique, le leader français des fruits à coques installé dans le Lot-et-Garonne dénonce la « politique phytosanitaire ultrarestrictive » dans l’Hexagone.

En 2024, « sur un potentiel de production de 13.000 tonnes de noisettes, seules 6500 tonnes ont pu être récoltées » indique la Coopérative Unicoque.

« Faute de molécules phytosanitaires efficaces » autorisées en France, et « en parallèle d’une météo défavorable », la Coopérative Unicoque affirme que ses producteurs associés n’ont pas pu lutter contre ces « attaques massives » du balanin des noisettes, un insecte connu sous le nom de « ver des noisettes ».

Un traitement peut facilement l’éradiquer mais il a été interdit en France à l’Assemblée nationale, par une surtransposition d’une norme européenne, alors qu’il est autorisé partout ailleurs en Europe. La filière noisette française ne représente plus maintenant que 5 % du marché français, face à des noisettes traitées venant du reste de l’Europe, de Turquie ou d’Amérique.

La filière de la noisette en crise

« 30 % des noisettes récoltées se révèlent non commercialisables, rendues impropres à la consommation par […] la punaise diabolique », a déclaré la coopérative Unicoque de producteurs de noisettes qui prévoit ainsi un déficit de « plusieurs millions d’euros » sur son exercice 2024-2025.

Forte de 7000 hectares de vergers, elle dénonce des « politiques absurdes et déséquilibrées vis-à-vis de ses concurrents européens ». La coopérative souhaite une « harmonisation primordiale des règles phytosanitaires entre la France, l’Espagne et l’Italie […] au nom de la lutte contre la distorsion de concurrence intra-européenne ».

La loi sur la biodiversité de 2016 a prohibé le recours aux néonicotinoïdes, longtemps utilisés par les agriculteurs pour débarrasser les plantes des insectes ravageurs.

La France est allée plus loin que l’Union européenne en sur-interprétant les normes et en excluant de tout usage phytosanitaire cinq substances (dont l’acétamipride qui permet notamment de lutter contre les nuisibles des noisetiers) accusées de contribuer au déclin massif des colonies d’abeilles.

« Aujourd’hui, on arrive à fournir 5 % de la consommation de noisettes en France », indique à Sud-Ouest le directeur de la Coopérative Unicoque Jean-Luc Reigne. Les 95 % restants sont importés de Turquie, d’Amérique et d’Italie notamment, qui fait dix fois plus de chiffre d’affaires dans l’Hexagone que la filière française elle-même, regrette-t-il.

Des restrictions trop importantes pour certains pesticides

La nouvelle ministre de l’Agriculture Annie Genevard déplorait début novembre les restrictions trop importantes de l’usage de certains pesticides, déplorant une « surtransposition » des règles imposées par l’Union européenne qui pénaliserait certaines filières.

« Certaines décisions prises au Parlement, singulièrement à l’Assemblée nationale, ont été irresponsables dans les conséquences qu’elles ont portées », a déclaré la ministre, qui s’exprimait devant la commission des Affaires économiques du Sénat.

Elle répondait à une question du sénateur Laurent Duplomb (LR), qui a déposé un texte visant à réduire les « entraves » à la production agricole avec la levée de restrictions sur les pesticides, le retour des promotions sur les produits phytopharmaceutiques ou la facilitation des constructions de réserves d’eau.

« Je ne peux qu’être d’accord », a-t-elle insisté au sujet des « surtranspositions » des normes européennes, accusées de pénaliser la compétitivité de l’agriculture française.

« La situation de certaines filières, franchement, fend le cœur », a souligné Annie Genevard. Elle a notamment évoqué le cas de la filière des noisettes où les exploitants « n’ont rien pour traiter, alors que tous les concurrents européens, eux, traitent ».

Même chose pour la cerise: « Chaque fois que je rencontre un producteur de cerises, il me parle de ça », a confié la ministre. « On a pris des dispositions trois ans avant l’Europe, donc on a fragilisé nos filières », a-t-elle ajouté.

« Sur les surtranspositions, les phytos, l’ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement), l’eau, il faudra y revenir », a prévenu Annie Genevard, elle-même issue des rangs de LR.

Craignant pour leur survie, les agriculteurs se mobilisent à nouveau

Symbole d’une agriculture asphyxiée par des surtranspositions de normes et une concurrence déloyale venant de l’international, les agriculteurs, emmenés par les syndicats majoritaires, ont commencé des manifestations en début de semaine un peu partout en France.

Fragilisés par la pire moisson de blé en 40 ans et des maladies animales émergentes, les agriculteurs estiment n’avoir pas récolté les fruits de la colère de l’hiver dernier : la concrétisation des 70 engagements alors pris par le gouvernement Attal a été ralentie par la dissolution de l’Assemblée nationale.

Les manifestations étaient à l’époque dirigées contre la hausse du prix du carburant agricole (GNR) ou le Pacte vert européen. Cette fois-ci, c’est l’aboutissement attendu du projet d’accord de libre-échange avec des pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) qui enflamme les campagnes.

La Commission européenne, soutenue par plusieurs pays comme l’Allemagne et l’Espagne, espère signer d’ici à la fin de l’année le traité de libre échange négocié depuis des décennies.

Une rare unanimité du milieu politique en France

En France, une rare unanimité rassemble le monde politique autour de la question du Mercosur.

L’accord avec les pays du Mercosur « constitue une concurrence déloyale absolument inacceptable pour nos éleveurs, parce qu’il n’est pas cohérent sur le plan écologique et notamment vis à vis de l’Accord de Paris » a déclaré le 19 novembre la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon.

La ministre de l’Agriculture Annie Genevard a affirmé l’opposition de la France à l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur. « Nous y sommes fermement opposés et les positions françaises sont alignées. On ne transige pas sur la souveraineté et on ne livre pas en pâture à la compétition internationale des filières qui font notre fierté », a assuré la ministre, ancienne députée du Doubs.

Le chef de file de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a demandé le 17 novembre l’organisation d’un débat à l’Assemblée nationale sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, « et qu’il ne s’applique pas si les Français ne le votent pas ». Marine Tondelier s’est dite aussi favorable à un débat avec un vote à l’Assemblée nationale, et « même à un référendum » sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et des pays du Mercosur.

Si Bruxelles essaye de passer en force en signant l’accord de libre-échange avec des pays du Mercosur malgré l’opposition de la France, Emmanuel Macron doit « menacer de suspendre les versements au budget de l’Union européenne », a estimé Jordan Bardella du Rassemblement national.

Le président de la République affirme quant à lui que la France ne « signerait pas en l’état » le traité de libre échange entre l’Union européenne et le Mercosur. « La France s’oppose à cet accord. Et je vais vous dire : le président (Javier) Milei m’a dit lui-même qu’il n’était pas satisfait » de ce texte, a déclaré M. Macron, à l’issue d’une visite en Argentine.

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