JOHANNESBURG – En Afrique, le cartel de Sinaloa, l’organisation criminelle mexicaine à l’origine de la crise du fentanyl aux États-Unis, fabrique désormais cette drogue mortelle, selon les forces de l’ordre régionales et internationales.
Le cartel de Sinaloa a choisi l’Afrique du Sud comme base opérationnelle principale, en raison notamment des liens commerciaux étroits du pays avec la Chine, qui produit les précurseurs chimiques utilisés pour la fabrication des opioïdes synthétiques.
« À ce stade, il n’y a pas de véritable marché pour le fentanyl en Afrique, de sorte qu’une grande partie de cette drogue fabriquée dans des laboratoires clandestins sur le continent africain est introduite en contrebande aux États-Unis, qui représente le plus grand marché de fentanyl au monde », a expliqué le lieutenant-général Godfrey Lebeya, chef de The Hawks, la principale unité d’enquête des services de police sud-africains responsable d’enquêter sur le crime organisé, la criminalité économique, la corruption et d’autres formes de criminalité grave.
Selon les statistiques des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC), environ 400.000 Américains sont décédés d’une surdose depuis 2021, majoritairement suite à la consommation de fentanyl.
Sous sa forme légale délivrée sur ordonnance, le fentanyl est un puissant analgésique.
Cependant, les organisations criminelles répliquent sa composition chimique en laboratoire et le vendent illégalement sous forme de poudre, déposée sur du papier buvard, insérée dans un compte-gouttes ou un vaporisateur nasal, ou transformée en comprimés ressemblant aux opioïdes légaux délivrés sur ordonnance, selon un rapport de l’Institut américain sur l’abus de drogues (U.S. National Institute on Drug Abuse).
Quelques milligrammes de fentanyl peuvent s’avérer mortels, le produit étant 50 fois plus puissant que l’héroïne et 100 fois plus puissant que la morphine.
Selon M. Lebeya, dans une déclaration à Epoch Times, les « trafiquants de drogue et les gangs sud-africains liés au cartel de Sinaloa » sondent les marchés locaux des stupéfiants.
« Le fentanyl est, sans l’ombre d’un doute, entré dans nos circuits [locaux] de trafic [de drogues] », a-t-il révélé. « Nous le savons parce que nous arrêtons des suspects en possession de fentanyl qui nous disent : ‘Nous voulons voir si les Sud-Africains prennent goût au fentanyl’. »
« C’est très préoccupant, car nous voyons l’ampleur de la crise américaine et nous ne voulons pas que notre pays connaisse le même sort. »
« Toutefois, il faut être réalistes et admettre qu’il est possible que nous vivions également une tragédie, car le fentanyl est beaucoup moins cher que les autres drogues qui circulent actuellement en Afrique du Sud, telles que la cocaïne et l’héroïne. De plus, les Mexicains qui ont introduit le fentanyl aux États-Unis sont maintenant sur notre sol. »
En juillet, les Hawks ont effectué une descente dans ce qu’ils ont ensuite décrit comme un « superlaboratoire de drogues » dans la province de Limpopo, au nord de l’Afrique du Sud. Les forces de l’ordre y ont saisi de grandes quantités de méthamphétamine, une petite quantité de fentanyl et environ 230 kg de précurseurs chimiques à la fabrication de ces deux drogues.
Le fermier sud-africain Roelof Botha, 57 ans, et trois citoyens mexicains – Gonzales Jorge Partida, 51 ans, Gutierrez Lopes, 43 ans, et Ruben Vidal Rodriguez, 44 ans – attendent d’être jugés pour des faits présumés de fabrication, de vente et de possession de drogues illicites, ainsi que de blanchiment d’argent.
« Nous continuons à interroger les trois Mexicains », a déclaré M. Lebeya. « Ils ne disent pas grand-chose. Toutefois, nos partenaires internationaux nous ont fourni des informations selon lesquelles ces individus travaillent pour le cartel de Sinaloa. »
Lufuno Sadiki, maître de conférences en criminologie à l’université du Cap, a déclaré à Epoch Times qu’il était « facile pour les Mexicains de se fondre dans la population locale » parce qu’ils ressemblent beaucoup aux Sud-Africains métis.
« Il semble que les Mexicains, principalement ceux du cartel de Sinaloa, établissent des liens avec les gangs locaux et leur apprennent les ficelles du métier, pour ainsi dire, [concernant] le fentanyl », a-t-elle déclaré.
« En échange, les Sud-Africains leur présentent des contacts de confiance du milieu criminel et des fonctionnaires corrompus. »
Selon le professeur Anthony Minnaar, expert en gestion de risques liés à la sécurité à l’université de Limpopo, les organisations criminelles sont attirées par l’Afrique du Sud pour plusieurs raisons.
« Il s’agit du pays à l’économie la plus prospère du continent africain, ayant un système bancaire lié à l’international, mais imparfait », a-t-il expliqué à Epoch Times. « Le pays possède ses propres marchés de la drogue bien établis et une pléthore de gangs de trafiquants de drogue. »
« L’Afrique du Sud offre également des liaisons aériennes régulières avec l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, et ses ports sont quotidiennement visités par des navires immatriculés au Mexique. »
« Les criminels cachent des précurseurs chimiques utilisés pour la fabrication de la méthamphétamine et du fentanyl dans des conteneurs en provenance de Chine. »
« L’Afrique du Sud connaît également un niveau de corruption des fonctionnaires élevé. »
Le professeur Francois Steyn, directeur du département de criminologie de l’université de l’État-Libre, a indiqué à Epoch Times que le cartel de Sinaloa était « probablement présent en Afrique du Sud depuis plus longtemps qu’on ne le pense », peut-être depuis plus d’une décennie.
« Nous ne recueillons des preuves que maintenant, car, au cours des cinq dernières années environ, nos systèmes se sont améliorés, de même que notre coopération avec les services américains d’application de la loi », a-t-il précisé.
En septembre 2022, des agents des douanes et de la protection des frontières à Louisville, dans l’État du Kentucky, aux États-Unis, ont intercepté un colis en provenance d’Afrique du Sud contenant suffisamment de cocaïne et de fentanyl pour tuer 220.000 personnes.
« Ce fentanyl a dû être fabriqué en Afrique du Sud ou ailleurs en Afrique », a déclaré M. Steyn. « Si ce n’est pas le cas, il est clair que l’Afrique du Sud est utilisée pour introduire le fentanyl et d’autres stupéfiants sur le marché américain et au-delà. »
En janvier 2024, la police a trouvé de la méthamphétamine et du fentanyl d’une valeur de 37 millions de rands (environ 1,91 million d’euros) cachés dans des ornements dans un hangar de fret à l’aéroport international O.R. Tambo de Johannesburg.
La cargaison était destinée à la Nouvelle-Zélande.
« Il est vraiment triste de constater que notre pays est utilisé comme une plaque tournante visant à alimenter la pandémie de fentanyl aux États-Unis », a confié M. Lebeya.
« Toutefois, je voudrais que les Américains sachent que nous coopérons avec les agences américaines compétentes et que nous faisons de notre mieux [pour empêcher la fabrication et la distribution de fentanyl]. »
Dans un acte d’accusation d’une affaire judiciaire américaine relative à la production de fentanyl, ce dernier y est décrit comme la « menace la plus mortelle » jamais rencontrée dans le pays, dans le domaine de la drogue.
L’acte d’accusation indique que le fentanyl est la principale cause de décès chez les Américains âgés de 18 à 49 ans. À une période donnée, 97 personnes, en moyenne, mouraient chaque jour, dans des circonstances liées à la consommation d’opioïdes de synthèse, tels que le fentanyl.
Selon l’Évaluation nationale de la menace que représente la drogue (National Drug Threat Assessment) de 2024 de l’administration américaine chargée de la lutte contre la drogue (Drug Enforcement Administration, DEA), les cartels de Sinaloa et de Jalisco sont les principales et les plus dangereuses organisations criminelles du Mexique.
Les rapports de la DEA de ces dernières années indiquent également que le cartel de Sinaloa « exporte » son « expertise en matière de laboratoires clandestins en Afrique ».
Selon l’évaluation, les cartels de Sinaloa et de Jalisco « exploitent de vastes chaînes d’approvisionnement mondiales, allant des précurseurs chimiques aux installations de production, et dirigent un réseau complexe de collaborateurs, comprenant des expéditeurs internationaux, des transporteurs transfrontaliers, des fonctionnaires corrompus, des constructeurs de tunnels, des sociétés écrans, des blanchisseurs d’argent et d’autres entités ».
Selon M. Minnaar, il est « formidable » que l’Afrique du Sud « sévisse » contre la production de fentanyl. Toutefois, le pays « doit aussi contrer le flux de précurseurs chimiques » en provenance de la Chine vers l’Afrique du Sud.
« Nous ne réussirons pas à arrêter la production de méthamphétamine et de fentanyl par la seule arrestation de quelques Mexicains », a-t-il souligné. « Nous n’y parviendrons qu’en adoptant une législation qui limite considérablement les importations de produits chimiques en provenance de Chine. »
Cette mesure est toutefois « délicate », a averti M. Steyn, car la Chine est le principal partenaire commercial bilatéral de l’Afrique du Sud.
« Pour lutter contre la criminalité, nous devons mettre de côté la politique et faire fi des relations étroites que le gouvernement entretient avec Pékin », a-t-il ajouté. « Nous devons prendre le risque d’offenser Pékin, faute de quoi nous n’avancerons pas à un rythme suffisamment rapide dans cette lutte. »
« Nous devons prendre exemple sur les États-Unis. »
L’administration Biden a sévi contre les importations de précurseurs chimiques en provenance de Chine.
En octobre 2024, les États-Unis ont inculpé huit entreprises chimiques et huit employés basés en Chine pour avoir tenté de distribuer des opioïdes de synthèse et des précurseurs chimiques utilisés pour leur fabrication.
« La chaîne mondiale d’approvisionnement en fentanyl, qui conduit à la mort d’Américains, a souvent comme point de départ des entreprises chimiques basées en Chine », a déclaré le procureur général Merrick Garland dans un communiqué.
« Afin de briser ce maillon essentiel de la chaîne d’approvisionnement en fentanyl, le ministère [américain] de la Justice a activement enquêté sur ces entreprises et les a poursuivies en justice. »
« Nous continuerons à cibler toutes les organisations et tous les individus qui alimentent le commerce meurtrier de la drogue. »
Selon le communiqué, il a été démontré que certaines des entreprises chinoises impliquées « fournissent un approvisionnement stable de ces produits à des clients au Mexique et aux États-Unis depuis des années ».
L’une des entreprises a même déclaré envoyer chaque mois « plus de 20 kilogrammes [d’opioïdes de synthèse ou de précurseurs chimiques] aux États-Unis, en Afrique, au Canada et dans d’autres pays ».
En 2023, le rapport du gouvernement américain sur la stratégie internationale de contrôle des stupéfiants (International Narcotics Control Strategy Report) a désigné l’Afrique du Sud comme l’un des pays « considérés comme des sources majeures de précurseurs ou de produits chimiques essentiels utilisés dans la production de stupéfiants illicites ».
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