Voici la cinquième partie de « Médecine des vertus ».
Quelle médecine est sûre, efficace, gratuite et ne nécessite qu’un subtil changement de perspective ? Nous vous invitons à explorer le lien négligé entre la vertu et la santé – la « médecine des vertus ».
Lire la 1ère partie : La gratitude : une médecine alternative contre la colère et la dépression.
Lire la 2e partie : Votre cerveau est fait pour l’honnêteté – et le mensonge vous met à l’épreuve.
Lire la 3e partie : Comment le pardon améliore la santé mentale et physique.
Lire la 4e partie : Le ressentiment : l’hôte malsain du cœur humain.
« L’émerveillement est le sentiment d’être en présence de quelque chose d’immense qui transcende notre compréhension actuelle du monde », écrit Dacher Keltner dans son livre Awe : The New Science of Everyday Wonder and How It Can Transform Your Life (L’émerveillement : la nouvelle science de l’émerveillement au quotidien et comment il peut transformer votre vie).
Ce sentiment est généralement associé à l’observation du sublime dans la Nature : grandes montagnes, arbres, vastes dunes ou horizon océanique.
Cependant, la Nature n’est pas la seule source d’émerveillement, ni la plus courante. En outre, il va bien au-delà d’un sentiment momentané d’émerveillement ou d’inspiration, puisqu’il influence notre santé d’au moins cinq façons.
Une source d’émerveillement surprenante
On peut être émerveillé par des idées philosophiques, des découvertes scientifiques, de la musique, des créations visuelles, la spiritualité et la religion, des prises de conscience personnelles, des exploits impressionnants et des épiphanies. Même le simple fait d’apprendre à connaître d’autres personnes intéressantes stimule l’émerveillement. Des recherches suggèrent que lorsque des participants regardent des vidéos de personnes inspirantes telles que Mère Teresa, cela peut à son tour déclencher l’émerveillement.
Pour déterminer la source d’émerveillement la plus courante, Dacher Keltner a mené une expérience en demandant à des participants du monde entier d’écrire des histoires qui les avaient émerveillés.
Sur les 2600 récits recueillis, la source d’émerveillement la plus répandue dans le monde est la beauté morale : une vertu et un caractère exceptionnels marqués par la pureté et la bonté de l’intention et de l’action. Il s’agit notamment d’être témoin du courage, de la bonté, de la force ou de la capacité à surmonter les difficultés d’autrui – par exemple, des histoires de personnes risquant leur vie pour sauver des étrangers ou des actes de bonté lors de catastrophes.
La beauté morale comprend également la façon dont les gens se sentent impressionnés par le début – ou la fin – de la vie. De nombreuses mères font remarquer que l’accouchement est la source d’émerveillement la plus importante. Dans son livre, Dacher Keltner parle d’une mère japonaise : « J’ai été profondément émue par la prise de conscience et la responsabilité de devenir parent, ainsi que par le caractère précieux de la vie. À partir de [ce moment], j’ai senti que je vivrais désespérément pour protéger cette vie. »
Une mère russe a déclaré qu’elle voulait « étreindre le monde entier » après l’accouchement. Les pères ressentent également de l’admiration. Un Indonésien a écrit : « Je n’arrivais pas à croire que Dieu avait fait un si beau et si merveilleux cadeau à ma femme, et je n’arrêtais pas de sourire, d’être émerveillé et reconnaissant à Dieu de nous avoir donné un fils. »
Selon Dacher Keltner, l’argent et les biens ne contribuent pas à l’émerveillement. Dans l’étude, qui fait actuellement l’objet d’un examen par les pairs, personne n’a mentionné son ordinateur portable, son Facebook ou son smartphone. Personne n’a non plus mentionné ses nouvelles chaussures Nike, sa Tesla ou son sac Gucci. Dacher Keltner écrit : « L’émerveillement se produit dans un domaine distinct du monde banal du matérialisme, de l’argent, de l’acquisition et de la signalisation du statut – un domaine au-delà du profane que beaucoup appellent le sacré. »
Une langue parlée par tous
Un article publié dans Nature a montré que dans 12 régions du monde, l’émerveillement stimule une réaction faciale unique, semblable à des expressions universelles telles que l’amusement, le contentement et la douleur.
D’une culture à l’autre, lorsque l’émerveillement s’empare d’une personne, par exemple à la vue d’un feu d’artifice ou d’une étoile filante, son visage se transforme et réagit par la même expression faciale : les sourcils s’arquent, les yeux s’écarquillent comme pour essayer d’absorber chaque détail de ce spectacle magnifique. La mâchoire se relâche, la bouche est légèrement ouverte, figée dans un moment d’émerveillement sans voix. Un léger sourire se dessine à la commissure des lèvres et la tête se penche légèrement en arrière, comme si elle était tirée par un fil invisible.
Une étude a testé les éclats de voix pour 16 émotions, dont l’émerveillement, la colère, la peur et la tristesse, dans 10 cultures et même dans un village reculé du Bhoutan. Les sons d’émerveillement tels que « Waouh » et « Ouah » ont été reconnus avec une précision d’environ 90 %, ce qui fait de l’émerveillement l’une des émotions les plus universellement reconnues.
Comment l’émerveillement affecte-t-il la santé ?
L’émerveillement stimule le bien-être de cinq manières. La première consiste à modifier le système immunitaire.
Les cytokines sont des messagers chimiques qui incitent le système immunitaire à redoubler d’efforts. Elles jouent un rôle important dans la réponse pro-inflammatoire visant à tuer les agents pathogènes et à guérir les blessures. Pourtant, une réponse cytokinique hyperactive est associée à une mauvaise santé et à des troubles tels que l’arthrite, la maladie d’Alzheimer et la dépression clinique. Plus particulièrement, ces dernières années, le terme « tempête de cytokines » dans le Covid-19 a été synonyme de maladie grave et de résultats médiocres.
De nouvelles recherches commencent à reconnaître le rôle des émotions positives dans notre santé physique. Une étude publiée en 2015 dans la revue Emotion a démontré que plusieurs émotions positives, telles que la joie et l’amour, réduisaient les niveaux de cytokine interleukine-6 (IL-6), un indicateur des niveaux d’inflammation.
Toutefois, c’est le sentiment d’émerveillement qui a le plus contribué à réduire les niveaux de cytokines, jusqu’à trois fois plus que la joie.
Une étude longitudinale de 22 jours publiée dans Scientific Reports a observé des adultes et des professionnels de la santé pendant la pandémie de Covid-19 et a constaté que plus les gens étaient émerveillés au quotidien, moins ils étaient stressés et moins ils présentaient de symptômes somatiques (par exemple, des maux de tête et des troubles du sommeil).
Ces études suggèrent que l’émerveillement peut être bénéfique aux personnes souffrant d’inflammation et pendant les périodes de stress aigu et chronique, comme la pandémie de Covid-19.
L’émerveillement peut également avoir un effet sur la santé en renforçant l’intégration sociale, la prosocialité, en augmentant le sens de la vie et en diminuant le sentiment de soi.
Un « moi » plus petit
Le professeur Yang Bai, de l’université de Californie-Berkeley, et son équipe ont mené une étude dans le parc national de Yosemite. Pendant quelques jours, ils ont approché plus de 1100 voyageurs de 42 pays. Tout en regardant la vue étendue de la vallée de Yosemite, les participants ont été invités à se dessiner sur une feuille de papier et à écrire « moi » à côté de leur dessin.
Dans la condition de contrôle, les participants ont été invités à faire la même chose à Fisherman’s Wharf à San Francisco, une destination touristique populaire.
Ceux de Yosemite se sont dessinés jusqu’à 33 % plus petits, et le « moi » était également plus petit. Selon les chercheurs, la taille de la personne dessinée et la taille du « moi » sont d’assez bons indicateurs du degré d’égocentrisme de l’individu.
Cette modification de la perception de soi a des conséquences sociales importantes. Lors d’une expérience, les participants qui avaient passé une minute à regarder de grands arbres étaient plus enclins à aider quelqu’un qui avait fait tomber des stylos qu’un groupe témoin qui avait passé une minute à regarder un bâtiment scientifique moderne.
Ceux qui ont fait l’expérience de l’émerveillement ont également accepté moins d’argent pour participer à l’étude et, selon leurs déclarations, se sentaient moins comme des personnes à qui l’on devait quelque chose et moins narcissiques, ce qui suggère que l’émerveillement peut accroître le comportement prosocial, réduire l’égocentrisme et diminuer l’attention portée au gain personnel.
Anousheh Ansari, une touriste de l’espace, a fait part de ses sentiments à propos de l’immense admiration qu’elle a ressentie dans l’espace extra-atmosphérique : « L’expérience réelle dépasse toutes les attentes et c’est quelque chose qu’il est difficile d’exprimer par des mots […] Cela réduit les choses à une taille telle que vous pensez que tout est gérable […] Toutes ces choses qui peuvent sembler grandes et impossibles […] Nous pouvons le faire. La paix sur Terre — Pas de problème. Cela donne aux gens ce type d’énergie, […] ce type de pouvoir, et j’en ai fait l’expérience. »
Il n’est donc pas surprenant que l’émerveillement nous incite à être plus spirituels. Dans une étude réalisée en 2013, des chercheurs ont constaté que les participants qui avaient vu quelque chose d’impressionnant obtenaient un score spirituel plus élevé que ceux qui ne l’avaient pas vu.
Les chercheurs ont conclu que les expériences d’émerveillement augmentent notre motivation à donner un sens au monde, ce qui peut déclencher la croyance dans le surnaturel.
Cette stimulation spirituelle améliore encore la santé mentale et physique.
« Notre corps réagit à des doses saines de Nature impressionnante comme il réagit à un repas délicieux et nutritif, à un bon sommeil, à une boisson désaltérante ou à une réunion édifiante avec des amis ou la famille : nous nous sentons nourris, renforcés, autonomes et vivants », écrit Dacher Keltner. Elle réduit également le risque de maladies cardiovasculaires, de maladies auto-immunes, de diabète, de dépression, de stress post-traumatique (SSPT) et d’anxiété, ainsi que les douleurs et les maux de tous les jours.
« L’émerveillement au quotidien est un besoin humain fondamental », note Dacher Keltner. Nous pouvons retrouver ce sentiment d’émerveillement en abordant la vie avec curiosité, en recherchant les merveilles de la Nature qui passent souvent inaperçues et les manifestations touchantes de la bonté humaine qui nous entourent.
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