Du fait de la crise énergétique, des pénuries de gaz et de la hausse des coûts de production qui en résulte, il est courant d’accuser le secteur privé, et plus particulièrement les grandes entreprises, de profiter de l’inflation. En réalité, les principaux bénéficiaires ne sont pas ceux auxquels on pense spontanément.
Selon les données de l’Inspection générale des finances publiées en mars, les agriculteurs, l’industrie agroalimentaire et le secteur du commerce alimentaire auraient réalisé, au second semestre 2022, des excédents bruts d’exploitation (EBE) très supérieurs à ceux d’avant-crise. Bien que l’industrie agroalimentaire retrouve ainsi pour l’année 2020 un EBE quasiment identique à celui de 2019 et que celui du commerce progresse de seulement 9%, cela suffit à certains syndicats, à l’instar de la CGT, pour s’insurger contre les profits des grands groupes agro-alimentaires. Pourtant cette évolution n’a rien a priori de choquant car la hausse des prix est le signal de toute crise de la rareté, et les excédents d’exploitation sont nécessaires pour investir et préparer l’avenir. Toujours est-il que s’attarder sur le secteur privé revient à faire fi de certains gains réalisés par l’État et les administrations publiques.
La hausse des recettes : un super-profit fiscal
L’inflation, qui s’élevait à 5,2% en 2022, relève mécaniquement, et de façon plus ou moins directe, les recettes fiscales comme la TVA, les cotisations sociales, ou encore les impôts sur les bénéfices des entreprises.
– TVA : du fait de la hausse des prix de l’énergie, des matières premières et alimentaires, les recettes nettes (qui servent à financer État, Sécu et collectivités territoriales) étaient de 204,6 milliards d’euros en 2022 (soit 17,9 milliards d’euros de plus qu’en 2021).
– Impôt sur le revenu : le produit net était de 86,8 milliards d’euros en 2022 (soit 9,8 milliards de plus qu’en 2021).
– Impôts sur les sociétés : ils s’élevaient à 59 milliards d’euros en 2022 (soit 12,7 milliards de plus qu’en 2021).
Au total, le montant des recettes fiscales nettes est de 315,1 milliards d’euros en 2022, soit une augmentation de 3,6 milliards d’euros par rapport à 2021. Comme le précise le Sénat, le gain pour les finances publiques est tel que les recettes prévues par la loi de finance initiale ont été revues à la hausse de 24 milliards d’euros « par l’effet du dynamisme de l’impôt sur les sociétés, mais aussi des effets de l’inflation sur la base taxable de la TVA. » Voilà un super-profit fiscal dont on ne parle jamais.
Certes, ces recettes ont été redistribuées pour atténuer la hausse des prix de l’énergie. Tout le problème est là : l’État préfère dépenser immédiatement de nouvelles recettes dans une perspective électoraliste plutôt que de réduire les dépenses publiques ou d’éponger la dette. Selon un rapport du sénateur Jean-François Husson sur le projet de loi de finances 2023, les mesures prises pour contrer les effets de l’inflation devraient atteindre 170,9 milliards d’euros d’ici 2027. Cela inclut notamment le chèque énergie (près de 600 millions d’euros dans le budget 2022) ; le « bouclier tarifaire » qui bloque les tarifs réglementés de vente de gaz (TRV), de l’électricité et des carburants (24 milliards d’euros depuis l’automne 2021) ; l’indemnité carburant de 100€ à 200€ pour les foyers les plus modestes, etc.
L’inflation, un impôt sur caché sur les plus pauvres
Ce qu’on voit, c’est que ces mesures profitent aux ménages temporairement. Ce qu’on ne voit pas, c’est que la plupart représentent un coût supplémentaire pour les finances publiques. Sans une meilleure gestion, le déficit budgétaire risque d’impacter le pouvoir d’achat du contribuable à plus long terme (par exemple, via des hausses d’impôts pour le résorber). En France, la coïncidence entre le taux des prélèvements obligatoires, deuxième plus élevé de l’UE (47% du PIB en 2021), et les dépenses des administrations publiques, qui atteignent un record au sein de l’UE (59,2% du PIB en 2021) et même de l’OCDE, n’est pas fortuite. Le rôle de l’État comme bouée de sauvetage aux yeux des électeurs est une illusion.
Si la hausse des prix ne s’accompagne pas d’une baisse des prélèvements obligatoires, l’inflation est bien un impôt caché sur les plus pauvres. Bien sûr, en plus des transferts aux plus vulnérables, l’État a également réduit un certain nombre d’impôts pour les particuliers et les entreprises : baisse de l’impôt sur les sociétés à 25% au lieu de 33,3% en 2022 ; suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales ; suppression de la contribution à l’audiovisuel public, etc. Mais c’est loin d’être suffisant pour compenser le niveau record des prélèvements obligatoires en 2022, qui érigent une fois de plus la France en championne d’Europe de la pression fiscale.
La posture du gouvernement, qui, rappelons-le, a refusé de baisser la TVA sur les carburants à 5,5% contre 20% actuellement en plein cœur de la crise des Gilets jaunes, n’a guère évolué depuis la guerre en Ukraine et la crise énergétique. Pourtant, une telle mesure serait plus que symbolique : elle allégerait considérablement le portefeuille des ménages en difficulté. Pour ne pas être qualifié de profiteur, l’État aurait tout intérêt à remettre en cause la doctrine du nominalisme fiscal, qui repose sur le principe d’une assiette des impôts indépendante de l’évolution de la valeur de la monnaie. Autrement, les propos de l’économiste Milton Friedman, selon lequel « l’inflation est la seule forme d’imposition qui peut être imposée sans législation » n’auront jamais été autant d’actualité.
Article écrit par Élodie Messéant. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.
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