Avec l’essor de la « mode éphémère » ou « fast fashion », 6 000 kilogrammes de vêtements sont jetés à la décharge toutes les dix minutes en Australie. Pour se faire une idée de ce que représentent ces chiffres, les journalistes du programme « War on Waste » – la « Guerre contre les déchets » – diffusé par le média australien ABC ont empilé des vêtements usagés, pour en faire un monticule géant au milieu de la ville de Sydney. Que faire pour enrayer ce phénomène ?
Les spécialistes de la question des vêtements durables recommandent de ne pas acheter d’articles de mode éphémères, et promeuvent les échanges et la réparation de vieux habits. D’autres suggèrent d’acheter des vêtements en tissu biologique dont la fabrication respecte une certaine éthique, ou fabriqués à l’aide de techniques zéro déchet. Ils espèrent qu’une plus grande transparence des chaînes d’approvisionnement mènera à la fin des ateliers d’exploitation de la main d’œuvre humaine et des pratiques non durables de l’industrie de la mode.
Ce sont des initiatives admirables, mais elles ne font que réduire le gaspillage ou le délai au bout duquel les vêtements finissent à la décharge. Elles ne prennent pas en considération l’ampleur du recours à la mode éphémère, si massif qu’il peut facilement éclipser ce genre d’initiatives de durabilité. Elles n’abordent pas non plus le problème du gaspillage provoqué par les technologies actuelles, ni le besoin urgent d’en trouver de nouvelles.
Même si nous pouvions comme par magie interrompre la production mondiale de vêtements, il nous faudrait encore inventer des outils verts pour nettoyer les déchets déjà existants. Des stratégies à long terme de développement des technologies vertes, comme les voitures électriques, se mettent en place. Mais où sont les grosses entreprises et instituts de recherche majeurs quand il s’agit de développer les technologies nécessaires à une mode durable ? La biologie de synthèse pourrait être la clé.
Des podiums aux labos
Je voudrais maintenant évoquer mon parcours, de pionnier de la conception de la mode zéro déchet à chercheur transdisciplinaire sur la mode, pour mettre en lumière les défis auxquels la mode durable est confrontée et la nécessité de recherches poussées dans ce domaine.
Il y a dix ans, j’ai présenté ma collection « Zero-Waste » à la Fashion Week de Londres. Comme d’autres créateurs de vêtements durables à cette époque, je confectionnais mes collections à partir des flux de déchets tels que les matériaux de récupération et les restes de tissu. J’ai été sélectionné pour « Esthetica », un projet inédit des gourous de la mode éthique Orsola de Castro, Filippo Ricci et Anna Orsini du British Fashion Council. La mode durable défilait sur les podiums londoniens à côté de la mode de luxe – une avancée révolutionnaire pour l’époque.
Il résulte du découpage classique du patron d’un vêtement, quand bien même le modèle est optimisé par ordinateur, environ 15 % de gaspillage du matériau. J’ai inventé un moyen de créer de la haute couture sur mesure, de sorte que toutes les pièces d’un vêtement s’assemblent comme un puzzle et qu’aucun déchet ne sorte du processus. Je voulais changer systématiquement la façon de fabriquer des vêtements.
Le problème, c’est que le design zéro déchet est difficile à réaliser. Il faut un styliste expérimenté, capable d’imaginer à la fois le vêtement en 3D et le patron plat, tout en assemblant les pièces comme un puzzle. C’est facile de fabriquer un vêtement ample ou non adapté à la personne qui le porte, mais créer quelque chose de beau et d’ajusté au corps constituait un vrai défi.
Même après toutes ces années, une grande partie de la mode zéro déchet contemporaine n’est toujours pas adaptée au corps. J’ai pratiqué cette technique pendant longtemps pour la maîtriser. Elle requiert de briser toutes les règles de la fabrication conventionnelle des patrons, et de créer de nouvelles techniques basées sur les mathématiques avancées.
C’était une période palpitante. Nos tissus étaient bio, nous faisions tout localement et nous nous assurions que tous les salariés étaient payés convenablement. La presse a adoré notre histoire. Mais les problèmes sont apparus à l’étape vente. Nous devions vendre des vêtements plus chers, en utilisant une gamme de tissus restreinte – les coûts de nos matériaux et de notre main-d’œuvre étaient plus élevés que ceux des entreprises qui produisaient à l’étranger. Les consommateurs nous disaient souvent qu’ils adoraient ce que nous faisions. Mais après avoir regardé le prix sur l’étiquette, ils s’en allaient poliment voir ailleurs.
En tant que styliste de mode durable, mon impact était limité. C’était aussi impossible d’enseigner la mode zéro déchet sans expliquer comment les mathématiques avancées s’y appliquaient. Il était temps d’essayer une nouvelle approche, alors j’ai décidé de faire entrer les sciences et les maths dans les techniques traditionnelles de la mode.
Dans ma thèse, j’ai étudié la géométrie qui sous-tend la fabrication des patrons. Cette combinaison de la mode et de la science a permis d’expliquer et de communiquer, aux scientifiques et aux ingénieurs, les techniques traditionnelles et l’art de créer des vêtements.
En même temps, les entreprises de mode éphémère se sont rapidement étendues. Zara, Topshop et H&M ont atteint l’Australie en 2011. Elles ont fabriqué d’énormes quantités d’articles bon marché, faisant de larges marges sur chaque vêtement. Par la taille et l’échelle de leur activité, elles ont produit des centaines de tonnes de vêtements chaque jour. Les consommateurs sont vite devenus accros à la satisfaction immédiate que procure la vente au détail.
Les limites de la technologie de la mode
Les entreprises de mode éphémère comme H&M ont développé des initiatives de recyclage, selon lesquelles les consommateurs peuvent échanger leurs vieux vêtements contre des bons de réduction. Et cela, pour permettre aux habits usés d’être recyclés en habits neufs, au lieu d’atterrir à la décharge.
Mais certains sont sceptiques quant au processus de recyclage de l’enseigne de prêt-à-porter. En 2016, la journaliste d’investigation Lucy Siegle a dévoilé les chiffres de l’opération et conclu qu’« il apparaît que cela prendrait 12 ans à H&M pour utiliser 1 000 tonnes de déchets textiles ». Ce qui, a-t-elle dit, correspond à la masse de vêtements qu’ils produisent en 48 heures.
Un rapport de l’entreprise sur le développement durable en 2016 révèle que seul 0,7 % de leurs vêtements est fabriqué à partir de matériaux recyclés ou provenant de sources durables. Dans le texte, H&M reconnaît :
« Aujourd’hui, ce n’est pas possible parce que les outils technologiques de recyclage sont limités. Pour cette raison, la part de matériaux recyclés dans nos produits est encore relativement faible. »
D’ailleurs, ce même rapport indique le besoin de recherches supplémentaires :
« Pour qu’une plus grande proportion de fibres recyclées puisse être ajoutée aux vêtements sans compromettre leur qualité, ainsi que pour être capable de séparer les fibres contenues dans des matériaux mélangés. »
Les technologies durables tendent vers une économie circulaire, dans laquelle les matériaux peuvent être recyclés à l’infini. Mais elles n’en sont qu’à leur stade embryonnaire et nécessitent beaucoup plus de fonds destinés à la recherche. Chaque année, le concours Global Change Award de la fondation H&M finance cinq start-up à hauteur d’un million d’euros au total, pour trouver de nouvelles solutions. Comparez cela aux millions dont a besoin la plus simple des start-up de la Silicon Valley ou aux milliards des grandes entreprises de technologies vertes, telles que Tesla ou SolarCity…
Parmi les nouvelles technologies prometteuses, beaucoup consistent à cultiver des bactéries ou des champignons pour qu’ils fabriquent ou biodégradent les tissus à notre place.
Par exemple, il faut 2 700 litres d’eau et plus de 120 jours pour faire pousser assez de coton pour confectionner un t-shirt. Alors que, dans la nature, les bactéries telles que l’Acetobacter xylinum peuvent fabriquer une feuille de cellulose en quelques heures. Les vêtements issus des bactéries ont été inventés par le docteur Suzanne Lee. Si le coton cultivé commercialement peut être conçu par des bactéries, ce pourrait être possible de remplacer les champs de coton par des cuves de bactéries plus efficaces.
Mais pourquoi s’en tenir au coton ? Les tissus peuvent aussi être obtenus à partir du lait, des algues, des carapaces de crabe, des bananes ou des noix de coco. Des entreprises telles que Ecovate nourrissent bien les spores des champignons avec des fibres de tissu pour créer des bioplastiques ou des emballages biodégradables, à destination de sociétés comme Dell. Adidas a bien imprimé en 3D une chaussure biodégradable à partir de soie d’araignée, développée par AMSilk.
Alors que je commençais ma carrière de styliste de mode, une nouvelle génération de matériaux et de technologies m’a entraîné du podium au laboratoire scientifique. Pour résoudre les problèmes complexes du gaspillage, la collaboration entre créateurs, scientifiques, ingénieurs et hommes d’affaires est devenue essentielle.
Pour nettoyer le passé et aborder les enjeux des déchets du futur, investir dans les technologies de l’industrie de la mode est une mesure à prendre d’urgence.
Traduit de l’anglais par Diane Frances.
Mark Liu, Chancellors Postdoctoral Research Fellow, Fashion and Textiles Designer, University of Technology Sydney
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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