Faut-il limiter la modération par les plateformes en ligne sur les reportages et contenus journalistiques? Quels critères appliquer pour identifier un média? Une proposition de la Commission européenne suscite un vif débat dans les négociations en cours au sein de l’UE.
Cette « législation européenne sur la liberté des médias », présentée par la Commission en septembre, accorde aux médias un traitement à part lorsque les plateformes telles que Twitter ou Facebook décident de retirer un de leur contenu qu’elles estiment enfreindre leurs règles d’utilisation.
« Acteurs médiatiques malhonnêtes » possibles
Or il est prévu dans ce projet de règlement que les médias se déclarent eux-mêmes en tant que tels auprès des plateformes. « Cela ouvre la voie à la diffusion de propagande et de désinformation de la part d’acteurs médiatiques malhonnêtes, qui vont prétendre être des médias légitimes », s’inquiète Jascha Galaski, chargé de plaidoyer à l’ONG Civil Liberties Union for Europe (Liberties), interrogé par l’AFP. Il redoute que cela ne « protège des acteurs comme Russia Today (RT) », chaîne russe accusée d’être un instrument de désinformation du Kremlin et interdite de diffusion dans l’UE depuis mars 2022 dans le cadre des sanctions consécutives à l’invasion de l’Ukraine.
Concrètement, la Commission propose que la décision de retrait d’un contenu soit communiquée au média avant que la mesure de retrait prenne effet, accompagnée de justifications. Cette obligation d’échanger avant la suspension d’un contenu litigieux peut faire perdre du temps, met cependant en garde Jascha Galaski : « Les premières 24 heures sont cruciales, c’est là que la désinformation, les mensonges se répandent ».
L’organisation de lutte contre la désinformation EU Disinfo Lab s’inquiète aussi de voir « dispensés de modération les médias d’État en Hongrie et en Pologne qui disséminent leur propagande », et a lancé une campagne pour inciter les eurodéputés à rejeter cet article 17 du projet de loi qu’elle qualifie d' »exemption pour les médias ». Elle soulève par ailleurs le problème des usurpations de sites de médias européens par des sites pirates pour diffuser des infox. Une pratique frauduleuse à l’oeuvre dans une campagne de désinformation russe dénoncée récemment par la France.
Des règles protectrices nécessaires
À l’inverse, l’Union européenne de Radio-Télévision (UER), alliance de médias de service public de 56 pays, dont France Télévisions ou la BBC, soutient l’idée de règles protectrices, en dénonçant les interventions « arbitraires » de la Big Tech sur les contenus médiatiques. Elle cite notamment l’exemple d’un reportage de la RTBF sur des violences policières à l’encontre d’adolescents posté sur Facebook en mars 2021, et supprimé pendant quelques heures par ce réseau social. En cause, un algorithme qui avait identifié la vidéo comme contenant de la violence à l’encontre de mineurs.
Pour l’UER, la législation sur la liberté des médias est l’occasion de compléter la loi européenne sur les services numériques (DSA) fixant aux plateformes de nouvelles obligations en matière de lutte contre les contenus illicites et la désinformation, mais qui « ne parvient pas à protéger pleinement les médias en ligne ».
Les États membres devraient arrêter leur position sur l’ensemble de cette législation mercredi lors d’une réunion des ambassadeurs. Côté Parlement européen, un premier passage en commission « marché intérieur » est prévu le 29 juin.
« Promouvoir les sources d’information fiables »
Reporters sans frontières (RSF) propose de son côté une réécriture de l’article controversé, jugeant que « l’identification des médias éligibles aux protections prévues (…) ne peut pas être laissée à l’appréciation des plateformes ». L’ONG estime que cette décision ne devrait pas non plus revenir aux autorités nationales de régulation qui dans certains pays ne sont pas indépendantes, mais plutôt à « un organisme indépendant et auto-régulé ».
RSF plaide pour le recours à la « Journalism Trust Initiative », un mécanisme que l’ONG a lancé en 2019 – en partenariat avec l’UER et l’AFP notamment – qui met en œuvre des « indicateurs de fiabilité du journalisme ». Elle prône par ailleurs l’inclusion dans cette législation européenne d’une obligation pour les plateformes de « promouvoir les sources d’information fiables ». « Les médias qui se plient à des normes professionnelles et éthiques d’auto-régulation sont noyés en ligne et mis à la marge, les algorithmes des plateformes mettant en avant les contenus sensationnalistes et les fake news« , déplore Julie Majerczak, directrice du bureau de l’organisation à Bruxelles.
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