Nous recevons tous bien trop de courriels et de textos et sommes souvent tentés d’éteindre nos appareils. Je n’ai pas besoin d’être informé de la dernière réduction pour une nouvelle machine laser, ou du fait (douteux) que j’ai gagné un iPhone gratuit.
Je reçois également beaucoup de courrier dans ma boîte aux lettres, des compagnies d’assurance qui refusent l’ordonnance d’un patient pour une raison ou une autre ou d’une entreprise qui me propose ses services pour que je reçoive moins de pubs. Avec tout cela, je ne m’attendais plus à recevoir une lettre manuscrite d’une patiente de longue date, N. L.
Je me suis arrêté, j’ai regardé l’enveloppe, je l’ai ouverte doucement et j’ai commencé à lire. Quelque chose m’a dit « ralentis et lis ».
« Mon cher Dr Weiss », écrivait N. L. en expliquant pourquoi elle n’était pas venue pour son examen annuel l’an passé. (Nombreux sont les patients qui ne sont pas venus par peur du Covid, je me contente de leur dire de ne pas s’inquiéter.)
N. L. poursuivait en disant que cette visite annuelle lui avait vraiment manqué. N. L. était du même âge que moi. Elle n’avait pas d’enfants et chaque année, nous discutions du livre que nous avions le plus apprécié depuis notre dernière rencontre. Nous étions tous deux de grands lecteurs. Elle m’expliquait dans sa lettre avoir beaucoup aimé le livre que je lui avais recommandé, « The Lost Shtetl » de Max Gross. Elle voulait me faire « une dernière recommandation », le livre « Yiddish for Pirates » de Barry Garwin.
J’ai dû m’arrêter et relire la dernière ligne, « une dernière recommandation ». J’ai compris ce qui allait suivre. Elle m’écrivait pour m’annoncer qu’elle était atteinte d’un glioblastome de stade 4 en phase terminale (un cancer du cerveau très agressif et mortel) et que nous ne nous reverrions pas.
N. L. m’a écrit qu’elle avait adoré être ma patiente pendant « un grand nombre d’années » et qu’elle m’était reconnaissante de l’avoir soignée. Je la voyais depuis environ 35 ans, et nous avions partagé de vraies discussions sur les livres pendant toutes ces années. Je lui avais fait découvrir « Seul sur Mars » d’Andy Weir, des années avant la sortie du film. Elle ne l’avait pas apprécié autant que moi, mais elle l’avait lu. Sa lettre m’a beaucoup touchée. J’ai perdu des patients au fil des ans et j’ai tissé des liens forts et durables avec grand nombre d’entre eux. N. L. faisait partie de ceux que j’appréciais vraiment.
La compassion est un mot à la mode aujourd’hui lorsqu’on parle des soins de santé. Mais qu’en est-il vraiment ? La revue Clinical Ethics a publié un éditorial intitulé « La compassion dans les soins de santé » dans son édition 2013 spécialement dédiée à ce sujet.
L’éditorial soulignait que « la compassion et l’empathie impliquent du tact, c’est l’art délicat mais précis de ‘lire’ les émotions d’une autre personne et d’y répondre de manière sensible et appropriée. » Jamais la compassion n’est aussi importante que dans une situation de maladie grave.
La compassion est la clé pour fournir les meilleurs soins possibles. Être médecin, c’est être le sauveur du patient et la compassion est donc le point de départ.
En 2017, la revue The Patient a publié un article qui passait en revue neuf études qui s’étaient donné pour mission de mesurer le niveau de compassion dans les établissements de soins de santé. Les auteurs arrivaient à la conclusion qu’il n’avait aucun moyen valable de mesurer la compassion, mais qu’elle manquait cruellement.
Il y a de quoi être inquiet du manque de compassion dans les hôpitaux et je pense qu’aucun d’entre nous n’a besoin d’études pour s’en rendre compte.
J’ai essayé de joindre N. L., mais je n’ai reçu aucune réponse. Je lui ai récemment écrit une lettre, la remerciant d’avoir été ma patiente et de m’avoir permis de la soigner.
J’ai parlé de N. L. à ma femme et elle m’a rappelé une autre histoire que je lui avais racontée, il y a de nombreuses années, à propos du premier patient que j’ai perdu.
C’était en 1979, j’étais en troisième année à la faculté de médecine de l’Université du Michigan et je participais déjà à des opérations chirurgicales à l’hôpital de l’administration des anciens combattants à Ann Arbor. Je n’étais qu’un étudiant en médecine, mais je considérais C. L. comme mon patient.
Lui et sa femme possédaient une boulangerie à Toledo, dans l’Ohio, à seulement 80 km de là. C. L. souffrait d’un diabète grave et d’une maladie cardiaque importante. Mon travail consistait à « débrider » chaque jour ses orteils nécrosés par le diabète. Je devais couper les tissus morts directement à son chevet. À cette époque, il n’y avait que des salles avec des rideaux, pas de chambres privées comme aujourd’hui.
Il avait déjà perdu plusieurs orteils et ce jour-là, alors que j’étais là, son gros orteil est tombé. Il s’est mis à rire. C. L. me racontait les moments difficiles ou joyeux de sa vie. Deux jours après la mésaventure de son orteil, sa femme m’a apporté un gâteau d’anniversaire préparé par ses soins. Je n’ai jamais su comment ils avaient découvert que c’était mon anniversaire (je fêtais alors mes 22 ans).
Quelques jours plus tard, il a fait un arrêt cardiaque et nous n’avons pas pu le réanimer. Je dis « nous », mais je suis resté à l’arrière et j’ai regardé les médecins et les infirmières faire tout ce qu’ils pouvaient.
Sa mort m’a ébranlé, mais je savais qu’il y en aurait beaucoup d’autres dans les années à venir. J’ai dû terminer ma tournée avec l’équipe après cela, tout était très sombre, pas un mot inutile n’a été prononcé.
La compassion n’est pas réservée aux médecins, elle est pour nous tous. Nous devons trouver le temps de nous arrêter et de lire ces lettres. La compassion va dans les deux sens. Je suis toujours impressionné par les patients qui ont de graves problèmes médicaux et qui, pourtant, me demandent sincèrement comment je me sens et comment va ma famille.
« Un geste gentil peut atteindre une blessure que seule la compassion peut guérir. »
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Steve Maraboli
Steve Maraboli
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