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Compétitivité : le Vieux Continent face à un « défi existentiel »

septembre 16, 2024 8:07, Last Updated: septembre 16, 2024 12:00
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L’Europe est en train de subir un décrochage économique majeur, prévient Mario Draghi dans un rapport sur l’état de la compétitivité européenne, paru début septembre.

Le constat est sans appel et les solutions, selon l’ancien Premier ministre italien, sont l’émission de dettes communes – pour financer un plan d’investissement historique de près de 800 milliards d’euros, et plus d’intégration européenne – c’est-à-dire moins de souveraineté nationale.

Après le plan de relance post-Covid de 800 milliards d’euros, qui a pesé sur les dépenses nationales, ce nouveau plan de 800 milliards d’euros serait le seul moyen pour « accroître la compétitivité et la sécurité de l’UE », a estimé Mario Draghi, qui souhaite des investissements dans les domaines de l’innovation, de la transition verte et de la défense.

« Il s’agit d’un rapport formidable en ce sens qu’il pose un diagnostic sévère mais juste à nos yeux et qu’il indique également des réformes structurelles […] qui pourraient être extrêmement utiles pour que l’Europe soit plus forte », a déclaré la présidente de la BCE, Christine Lagarde.

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La nécessité d’un changement radical

Mario Draghi, ancien patron de la Banque centrale européenne et ancien chef du gouvernement italien, a été mandaté par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen afin de formuler des propositions visant à revitaliser l’économie européenne, notamment face aux appétits géants de la Chine et des États-Unis. Le rapport de 300 pages était attendu depuis plusieurs mois mais reporté à cause des élections européennes.

« Les besoins en termes d’investissements sont énormes », a-t-il martelé lors d’une conférence de presse à Bruxelles en présence de la présidente de la Commission européenne, soulignant le « fossé » économique qui s’est creusé avec les États-Unis et le besoin de s’affranchir de la Chine pour développer les énergies renouvelables. Il insiste à travers « 170 propositions » sur la nécessité d’un « changement radical » vers plus d’intégration européenne – et « en même temps » moins de complexité bureaucratique.

L’UE est empêtrée dans la stagnation économique depuis un an et demi. Elle a moins bien surmonté la crise provoquée par la pandémie en 2020 que les États-Unis. Ce décrochage s’explique « principalement par le ralentissement plus marqué de la productivité en Europe » et représente une menace pour son modèle social, souligne Mario Draghi.

« Si l’Europe ne parvient pas à devenir plus productive, nous serons contraints de faire des choix. Nous ne pourrons pas devenir à la fois un leader des nouvelles technologies, un modèle de responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène mondiale. Nous ne pourrons pas financer notre modèle social. Nous devrons revoir à la baisse certaines, voire toutes nos ambitions. C’est un défi existentiel », souligne-t-il.

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Plusieurs grands secteurs économiques sont abordés dans le rapport de Mario Draghi, avec pour chacun, un constat et des solutions de relance.

Dans le secteur automobile, la concurrence chinoise, dopée par les subventions du régime, menace l’industrie européenne, particulièrement dans le domaine des véhicules électriques (VE). Alors que l’UE veut mettre fin aux moteurs thermiques à partir de 2035, elle n’a pas, selon le rapport, accompagné cette décision d’une stratégie industrielle cohérente, alors que la Chine est en avance sur l’Europe et la surpasse dans presque tous les domaines de la technologie des VE. 14 millions d’emplois, directs et indirects, dans l’industrie automobile européenne pourraient être menacés.

Dans le secteur des énergies propres, malgré des bureaux de recherche parmi les plus innovants au monde, l’Europe peine à concrétiser ses innovations en succès industriels. La Chine domine aussi largement la production de panneaux solaires et de batteries, bénéficiant de subventions massives du Parti communiste chinois (PCC), en surexploitant son outil industriel. Pour Mario Draghi, les coûts de fabrication des panneaux solaires en Chine sont de 35 % à 65 % inférieurs à ceux de l’Europe, pour les batteries, l’écart est de 20 % à 35 %, une compétition jugée déloyale.

Concernant la course à l’IA, le rapport dresse le constat d’une dépendance européenne dans le cloud computing où des entreprises américaines contrôlent plus de 65 % du marché européen, le premier opérateur européen occupant seulement 2 % du marché.

Pour l’industrie de la défense, Mario Draghi estime qu’il faudrait 500 milliards d’euros d’investissements supplémentaires dans les 10 prochaines années pour combler le retard. Les dépenses de recherche et développement de l’UE ne représentaient que 4,5 % des dépenses totales de défense en 2022, soit environ 10,7 milliards d’euros, contre 16 % (environ 130 milliards d’euros) pour les États-Unis. L’Europe est également « confrontée à une guerre conventionnelle à sa frontière orientale et partout à une guerre hybride, y compris des attaques contre les infrastructures énergétiques et les télécommunications, des interférences dans les processus démocratiques et l’utilisation de l’immigration comme d’une arme », insiste le rapport de l’ancien président du Conseil italien.

Si l’on combine tous les besoins, dans tous les secteurs, le rapport estime qu’il faudrait environ de 750 à 800 milliards d’euros par an d’investissements pour permettre à l’Europe de se remettre à niveau. Certains économistes consultés par Draghi se sont inquiétés qu’un tel investissement puisse déstabiliser l’économie européenne. Des simulations du FMI et de la Commission européenne aboutissent globalement à la même conclusion : « Cet investissement est possible, mais peu probable. »

Plus d’intégration européenne et plus d’emprunts communs

« Les besoins d’investissements sont énormes », a martelé l’ex-président de la Banque centrale européenne (BCE), évoquant le chiffre de 750 à 800 milliards d’euros par an, plus que le plan Marshall des États-Unis qui a soutenu l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. « Pour la première fois depuis la guerre froide, (l’Union européenne) doit réellement craindre pour sa survie et le besoin d’une réponse unifiée n’a jamais été aussi impérieux », a-t-il continué.

Il a aussi fustigé le recours accru aux aides publiques nationales qui a favorisé ces dernières années les entreprises des grands pays au détriment des plus petits. « Cela n’a fait qu’accroître la fragmentation du marché unique », a-t-il déploré.

L’ancien président de la BCE a rappelé un des points qu’il défend depuis longtemps : la nécessité d’un « financement commun pour les projets clés, pour les innovations de rupture », mais le sujet est sensible pour certains pays européens (l’Allemagne et les Pays-Bas) qui ont l’impression de payer pour les pays les plus dispendieux (France, Italie…), qui ne font pas d’efforts budgétaires.

La présidente de la Commission européenne a confirmé que les propositions de Mario Draghi « se retrouveront » dans les orientations de la nouvelle Commission pour les cinq prochaines années, mais elle n’a pas repris l’idée de l’endettement commun, évoquant plutôt « des contributions nationales » ou bien de nouvelles « ressources propres » pour alimenter le budget de l’UE.

L’Europe doit être « moins naïve »

Parmi de nombreuses mesures, Mario Draghi recommande l’élaboration d’une « stratégie commune en matière de recherche », le développement des marchés boursiers européens pour faciliter les introductions en bourse de sociétés innovantes, la création d’une « Union de l’énergie », un soutien ciblé pour la fabrication de certaines technologies propres, un plan d’action pour l’industrie automobile, ou encore une coopération accrue dans l’innovation en matière d’armements.

L’UE redoute de se laisser distancer dans les technologies d’avenir (panneaux solaires, batteries, puces électroniques, intelligence artificielle, etc.), mais rien que pour effectuer sa mue écologique et numérique, elle devrait investir ces prochaines années plus de 620 milliards d’euros supplémentaires par an, selon la Commission européenne, alors que l’argent public manque déjà dans les États les plus endettés du sud de l’Europe.

En avril, le rapport de l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta pointait la nécessité de mobiliser de vastes fonds privés. « L’achèvement d’un marché unique des services financiers est au cœur de la solution », a assuré Enrico Letta. Outre les marchés de capitaux, son rapport traite longuement de l’approfondissement du marché unique dans les télécoms, l’énergie et la défense.

Ces secteurs ont en commun d’être largement morcelés par des réglementations nationales divergentes qui empêchent ou freinent les effets d’échelle. Résultat, l’UE ne tire pas tous les bénéfices d’un marché de 450 millions d’habitants. Une analyse partagée dans le rapport de Draghi qui souligne dans son rapport le besoin de mobiliser les capitaux privés pour financer l’innovation à travers la création d’une véritable « Union des marchés de capitaux ».

L’impossibilité de réaliser des levées de fonds géantes pénalise par exemple les start-up du numérique et les pousse vers les États-Unis, dont les puissants marchés financiers aimantent par ailleurs l’épargne des Européens.

Dans le domaine de la défense par exemple, Enrico Letta souligne que nous payons le prix de cette fragmentation, au moment où l’Europe a mobilisé des milliards d’euros nécessaires pour augmenter ses capacités d’armes et munitions. « Environ 80 % de ce que nous avons dépensé pour soutenir militairement l’Ukraine est allé vers des fournisseurs non européens. C’est de la folie », a-t-il poursuivi. « Nous devons être moins naïfs », a-t-il martelé.

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