Des dizaines de personnes ont été tuées dans des affrontements armés dans la capitale soudanaise Khartoum, après des mois de tensions entre l’armée et le puissant groupe paramilitaire Forces de soutien rapide (FSR). Ces tensions sont dues à un désaccord sur l’intégration du groupe paramilitaire dans les forces armées, une condition essentielle d’un accord de transition qui n’a jamais été signé mais auquel les deux parties ont adhéré depuis 2021.
Le général Mohamed Hamdan Dagolo, mieux connu sous le nom de Hemedti, est le chef des FSR. Il joue un rôle clé dans la guerre civile qui s’intensifie rapidement, comme il l’a fait à d’autres moments clés de l’histoire récente du Soudan.
Les Forces de soutien rapide de Hemedti sont dirigées par des Arabes du Darfour connus sous le nom de Janjawid. Ce terme désigne les groupes armés d’Arabes du Darfour et du Kordofan, dans l’ouest du Soudan. Originaires de l’extrême ouest de la périphérie du pays, ils sont devenus, en l’espace d’une décennie, la puissance dominante à Khartoum. Et Hemedti est devenu le visage de l’arène politique violente du Soudan.
J’étudie le Soudan depuis des décennies. De 2005 à 2006, j’ai été détaché auprès de l’équipe de médiation de l’Union africaine pour le Darfour et, de 2009 à 2011, j’ai été conseiller principal auprès du groupe de mise en œuvre de haut niveau de l’Union africaine pour le Soudan, dans la période qui a précédé l’indépendance du Soudan du Sud. Mon dernier livre, coécrit avec Justin Lynch, examine la démocratie inachevée du Soudan.
La carrière d’Hemedti est une leçon d’entrepreneuriat politique donnée par un spécialiste de la violence. Sa conduite et son impunité (jusqu’à présent) sont les indicateurs les plus sûrs du fait que les politiques du type mercenaire qui ont longtemps défini la périphérie soudanaise ont été ramenées dans la capitale.
L’arrivée de la périphérie
Hemedti vient de la périphérie la plus éloignée du Soudan, c’est un étranger à l’establishment politique de Khartoum. Son grand-père, Dagolo, était le chef d’un sous-clan qui parcourait les pâturages du Tchad et du Darfour. Les jeunes hommes de ce groupe de bergers de chameaux, sans terre et marginalisés, sont devenus un élément central de la milice arabe qui a mené la contre-insurrection de Khartoum au Darfour à partir de 2003.
Ayant abandonné l’école et devenu commerçant, Hemedti n’a pas reçu d’éducation formelle. Le titre de « général » lui a été décerné en raison de ses compétences en tant que commandant de la brigade Janjaweed au Darfour méridional au plus fort de la guerre de 2003-2005. Quelques années plus tard, il a rejoint une mutinerie contre le gouvernement, négocié une alliance avec les rebelles du Darfour et menacé de prendre d’assaut la ville de Nyala, tenue par le gouvernement.
Très vite, Hemedti conclut un accord avec le gouvernement. Khartoum s’engage à régler les salaires impayés de ses troupes et à indemniser les blessés et les familles des morts. Il est promu général et reçoit une belle somme d’argent.
Après avoir réintégré les effectifs de Khartoum, Hemedti a prouvé sa loyauté. Le président Omar al-Bashir, qui a gouverné le Soudan de 1993 à avril 2019, date à laquelle il a été renversé, s’est pris d’affection pour lui, semblant parfois le traiter comme le fils qu’il n’avait jamais eu.
Mais dans les jours qui ont suivi le renversement de Bashir, certains des jeunes manifestants pro-démocratie qui campaient dans les rues autour du ministère de la Défense ont adopté Hemedti comme le nouveau visage de l’armée.
Un pays dans sa poche
De retour au bercail, Hemedti a su utiliser son sens des affaires et ses prouesses militaires pour faire de sa milice une force plus puissante que l’État soudanais en déclin.
Al-Bashir a constitué les Forces de soutien rapide en tant qu’unité distincte en 2013, initialement pour combattre les rebelles de l’Armée populaire de libération du Soudan-Nord dans les monts Nouba. Sans grand succès dans un premier temps. Mais, avec une flotte de nouveaux pick-up équipés de mitrailleuses lourdes, elle est rapidement devenue une force avec laquelle il fallait compter, menant une bataille clé contre les rebelles du Darfour en avril 2015.
À la suite de l’intervention militaire saoudo-émiratie de mars 2015 au Yémen, le Soudan a conclu un accord avec Riyad pour déployer des troupes soudanaises au Yémen. L’un des commandants de l’opération était le général Abdel Fattah al-Burhan, qui préside le Conseil militaire de transition depuis 2019. Mais la plupart des combattants étaient des membres des FSR de Hemedti. Cela a apporté de l’argent directement à Hemedti.
Et en novembre 2017, les forces de Hemedti ont pris le contrôle des mines d’or artisanales de Jebel Amer au Darfour – la plus grande source de revenus d’exportation du Soudan. Cela a suivi la défaite et la capture de son grand rival Musa Hilal, qui s’était rebellé contre Al-Bashir.
Ainsi, Hemedti a mis la main sur les deux sources de devises les plus lucratives du pays.
Hemedti adopte un modèle de mercenariat d’État familier à ceux qui suivent la politique du Sahara. Le défunt président du Tchad, Idriss Déby, louait ses forces spéciales pour des opérations de contre-insurrection à la solde de la France ou des États-Unis de la même manière. On peut s’attendre à voir un jour des troupes des FSR déployées en Libye.
D’autre part, avec le déploiement routinier de paramilitaires pour combattre dans les guerres du Soudan à l’intérieur et à l’extérieur du pays, l’armée soudanaise est devenue une sorte de projet de vanité. Elle est l’heureuse propriétaire de biens immobiliers extravagants à Khartoum, avec des chars, des pièces d’artillerie et des avions impressionnants. Mais elle dispose de peu d’unités d’infanterie aguerries. D’autres forces sont entrées en scène sur le plan sécuritaire, notamment les unités opérationnelles des services nationaux de renseignement et de sécurité, les paramilitaires tels que les unités spéciales de la police – et les FSR.
Qui sème le vent…
Mais il y a aussi un revers à la médaille. Tous les dirigeants du Soudan, à une exception notable près, sont issus du cœur de Khartoum et des villes voisines sur le Nil. L’exception est Khalifa Abdullahi « al-Ta’aishi » qui était un Arabe du Darfour. Ses armées ont fourni la majorité des forces qui ont conquis Khartoum en 1885. Les élites locales se souviennent du règne de Khalifa (1885-1898) comme d’une tyrannie. Elles sont terrifiées à l’idée d’un retour de cette tyrannie.
Hemedti est le visage de ce cauchemar, le premier dirigeant non issu de l’establishment du Soudan depuis 120 ans. Malgré les griefs contre les paramilitaires de Hemedti, il est toujours considéré comme un Darfourien et un étranger à l’establishment soudanais.
Lorsque le régime soudanais a semé le vent des Janjawids au Darfour en 2003, il ne s’attendait pas à récolter la tempête dans sa propre capitale. En fait, les graines avaient été semées bien plus tôt. Les gouvernements précédents avaient adopté une stratégie de guerre dans le sud du Soudan et le sud du Kordofan consistant à monter les populations locales les unes contre les autres. Cette stratégie a été préférée à l’envoi d’unités de l’armée régulière car il s’agissait de ne pas mettre en péril ces dernières, composées de fils de l’establishment local.
Hemedti est cette tempête. Mais son ascension est aussi, indirectement, la revanche des marginaux historiques. La tragédie des marginaux soudanais est que l’homme qui se présente comme leur champion est le chef impitoyable d’une bande nomade, qui a parfaitement su tirer parti des conflits militaires déchirant le pays.
Une version de cet article a été publiée pour la première fois par la World Peace Foundation.
Article écrit par Alex De Waal, Research Professor and Executive Director of the World Peace Foundation at The Fletcher School, Tufts University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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