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Contrats d’achats de vaccins Covid : « L’argumentaire que la Commission européenne nous oppose dans son pourvoi devant la CJUE manque de sérieux »

octobre 6, 2024 20:22, Last Updated: octobre 6, 2024 21:43
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ENTRETIEN – Dans un arrêt rendu le 17 juillet dernier, le Tribunal de l’Union européenne condamnait la Commission présidée par Ursula von der Leyen pour son manque de transparence sur les contrats d’achats de vaccins contre le Covid-19. Sommée de lever le voile tant sur les clauses d’indemnisation caviardées que l’identité des membres de l’équipe conjointe de négociation, pour que leurs conflits d’intérêts puissent être vérifiés, la Commission disposait jusqu’au 27 septembre pour contester cette décision. In extremis, celle-ci a formé un pourvoi devant la Cour de justice de l’UE. Me Arnaud Durand, avocat à l’origine de la victoire obtenue en première instance, décortique l’argumentaire présenté par l’institution, dénonçant son caractère « déraisonnable » et révélateur, selon lui, d’une volonté délibérée de la Commission de « s’enfoncer dans l’opacité », en vain.

Epoch Times : Pouvez-vous tout d’abord rappeler le contexte dans lequel une action collective en justice a été enclenchée contre la Commission européenne dans le cadre de l’affaire des contrats d’achat de vaccins Covid et les grandes lignes de la décision rendue par le Tribunal de l’UE le 17 juillet dernier ?

Me Arnaud Durand : Le 25 mai 2021, au titre du principe fondamental de transparence de l’Union européenne, 2089 requérants ont formulé une demande d’accès aux contrats conclus par la Commission européenne avec les fabricants de vaccins anti-Covid (Pfizer-BioNTech, Moderna, Johnson & Johnson, AstraZeneca…), ainsi qu’aux déclarations d’absence de conflit d’intérêts des négociateurs. Cette demande avait été rejetée par la Commission.

Pour rappel, les eurodéputés Michèle Rivasi et Virginie Joron n’avaient de leur côté pu consulter ces contrats d’achats que de manière fragmentée, puisque les informations cruciales avaient été masquées. Ce que l’on peut assimiler à un simulacre de transparence.

C’est pourquoi les requérants ont ensuite saisi le tribunal de l’UE afin de réclamer non seulement la fin de l’opacité sur le contenu des contrats, mais aussi l’identité des négociateurs.

En tant que contribuables – l’achat des vaccins pour un coût total escompté à 71 milliards d’euros a été financé par les citoyens des États membres –, nos clients souhaitent connaître les conditions de passation de ce marché en vérifiant notamment si les membres de l’équipe de négociation étaient bien dénués de conflits d’intérêts.

Il existe en effet des doutes légitimes entourant l’équité des négociations des contrats : l’augmentation des commandes de doses de vaccins s’est accompagnée de hausses de prix, ce qui est contraire aux principes économiques usuels. De plus, la Commission a consenti à des prix d’achats supérieurs à ceux acceptés par d’autres États, pour acquérir des vaccins dont les données d’étude étaient parcellaires et fragiles, et qui, effectivement, n’ont pas du tout tenu leurs promesses : on se souvient des campagnes de presse qui annonçaient par exemple, tambour battant, une efficacité du vaccin Pfizer à 95%. On se souvient aussi de la question de la faculté à protéger contre la transmission du virus, qui en réalité n’avait même pas été testée.

Ensuite, la Commission ayant accordé aux laboratoires pharmaceutiques des clauses exorbitantes de droit commun, dérogeant aux principes fondamentaux de la responsabilité, les requérants demandent à connaitre la teneur exacte des stipulations relatives à l’indemnisation, qui sont intégrées au contrat. Puisqu’elles ont été cachées au public par la Commission européenne, ces clauses indemnitaires ne peuvent être invoquées en justice, par exemple par des victimes d’effets indésirables qui souhaiteraient construire une stratégie de dédommagement efficace.

Rappelons aussi qu’en cas de refus de l’injection du produit, alors même qu’il n’a pas été testé contre la transmission du virus, certains des requérants ont été privés de leurs libertés individuelles et de leurs droits fondamentaux. Le ministre de la Santé Olivier Véran déclarait en effet lui-même en décembre 2021 que « le passe vaccinal est une forme déguisée d’obligation vaccinale ».

Dans sa décision du 17 juillet, le tribunal de l’UE a reconnu que ces clauses d’indemnisation ne devaient plus être cachées au public et que la Commission devait aussi lever le voile sur l’identité de ses négociateurs pour permettre la vérification d’une absence de conflit d’intérêts.

Le 27 septembre, la Commission européenne a décidé de faire un pourvoi devant la Cour de justice de l’UE, mais aussi un référé mesures provisoires. En quoi consiste la nouvelle étape de cette procédure judiciaire ?

Tout d’abord, il convient de noter qu’un pourvoi devant la Cour de justice, seule voie de recours possible pour la Commission, vise moins à contester les faits du dossier qu’à remettre en question la manière dont les juges du tribunal de l’UE ont appliqué le droit. C’est en quelque sorte comme un pourvoi en cassation en France : la Cour de cassation ne rejuge pas les faits, mais vérifie si la règle de droit a été correctement appliquée par les juges du fond, en tenant compte de la jurisprudence.

La Commission a accompagné ce pourvoi principal d’une demande de suspension de l’exécution de la décision rendue en première instance le 17 juillet 2024 et devenue exécutoire à partir du 28 septembre, en introduisant un référé mesures provisoires. Par ce second recours mené en parallèle de son recours au fond, la Commission veut faire  suspendre temporairement l’exécution de la décision du Tribunal de l’UE pendant que le pourvoi est en cours de façon à s’assurer que, si elle venait à gagner le pourvoi devant la CJUE, la situation puisse être rétablie sans conséquences irréversibles.

Toutefois, pour que ce référé soit accepté par le président de la CJUE, il faut que les arguments soulevés dans le recours au fond par la Commission aient clairement la capacité de renverser la décision de première instance. En d’autres termes, il s’agit ici d’une sorte de « juge de l’évidence » : il doit être évident aux yeux du président que le pourvoi présente une certaine solidité et mérite d’être pris au sérieux.

Fait notable, la Commission ne demande toutefois sa suspension que sur un point spécifique de l’arrêt de première instance : la divulgation de l’identité des négociateurs, ce qui renforce ma conviction qu’il s’agit là d’un problème majeur pour la Commission ; son agitation à cacher les noms des négociateurs montre bien que l’on est face à un « secret d’État » de la Commission.

Dans son recours sur le fond, la Commission reproche aux juges qui vous ont donné raison devant le Tribunal de l’Union européenne d’avoir « dénaturé » les éléments de preuves « dans l’appréciation de la nécessité de la transmission » de l’identité des membres de l’équipe de négociation des contrats. Si vous n’avez pas encore déposé votre réponse à la partie adverse, que pouvez-vous nous dire quant à la nature de ce premier argument ?

La manière dont la Commission a développé l’argumentaire contenu dans son pourvoi ne donne pas l’impression d’avoir affaire à une institution raisonnable.

Son premier argument consiste en effet à prétendre que les juges en première instance n’auraient pas correctement interprété l’écrit que constitue notre demande initiale pour la transparence, car nous n’aurions à aucun moment indiqué notre souhait de connaitre l’identité des négociateurs pour vérifier leurs conflits d’intérêts. En guise de preuve, il est affirmé que nous nous serions « limités à poser des questions » dans notre demande initiale et, peut-on lire, « poser des questions ne saurait être sérieusement considéré comme l’expression de l’objectif de vérification de l’impartialité [des négociateurs, ndla], ces questions pouvant avoir une tout autre finalité ».

Une ligne de défense bien étrange… Tout d’abord, nos questions étaient explicites et exprimaient clairement un but spécifique d’intérêt public, qui est de vérifier les conflits d’intérêts des parties prenantes à la négociation des contrats d’achat de vaccins. Par exemple, nous demandions dans notre acte judiciaire : « Quelles sont les personnes mandatées par la Commission européenne pour négocier avec les producteurs de vaccins ? » et « Quels sont les liens d’intérêts directs ou indirects entre les producteurs de vaccins, les investisseurs ou financiers liés aux producteurs ? »

Ensuite, ces questions avaient été introduites ainsi : « Les conditions de négociation de ces contrats, leur contenu exact et vérifiable ainsi que leur exécution soulèvent un certain nombre de questions ». Enfin, dans notre demande initiale, nous avions clairement articulé que notre but vise le contrôle démocratique de l’action des institutions, en vertu du principe de transparence fondamental en droit de l’Union.

Pour se défendre, la Commission fait donc mine de ne pas comprendre que ces questions expriment un objectif. Cela soulèvera une question de droit inédite à soumettre à la Cour de justice : un avocat peut-il s’exprimer par le biais de questions dans une plaidoirie ou des écritures ? À l’évidence oui ; cela relève de la rhétorique. Et la Commission le sait très bien.

Dans son arrêt, le tribunal de l’UE cite d’ailleurs lui-même nos questions pour dire que nous avons « dûment démontré le but spécifique d’intérêt public de la divulgation de données à caractère personnel » des négociateurs.

Les juges du fond disposent d’une appréciation souveraine et peuvent estimer qu’une question exprime effectivement un but, surtout compte tenu de la manière dont elle a été formulée. En droit, une dénaturation de notre demande initiale aurait supposé que les juges en aient fait une interprétation contraire à son contenu.

L’argument de la Commission quant au fait que les juges du Tribunal aurait dénaturé notre écrit n’est donc pas sérieux..

La Commission avance en outre que les juges ont commis une erreur de droit quant à la nécessité de faire la transparence sur les noms des négociateurs des contrats d’achat desdits vaccins Covid-19. Comment le justifie-t-elle ?

Dans son pourvoi, la Commission européenne va jusqu’à prétendre, devant le Président de la cour de Justice, que pour vérifier l’absence de conflit d’intérêts, nul besoin de connaître le nom des négociateurs des contrats…

Sans sourciller, celle-ci écrit : « Étant donné que la divulgation des versions anonymisées des déclarations d’absence de conflit d’intérêts avait déjà atteint le but de vérifier l’impartialité des membres de l’équipe conjointe de négociation, le Tribunal a considéré à tort que la divulgation des “noms, prénoms et rôle professionnel ou institutionnel“ de ces fonctionnaires était nécessaire ».

Selon la Commission, les documents de déclaration de conflit d’intérêts sur lesquels elle a… masqué les noms des négociateurs suffiraient donc pour vérifier d’absence de conflit d’intérêts.

Si on va jusqu’au bout de sa logique, il faudrait alors imaginer une justice 3.0 avec des tribunaux dont les noms des juges seraient cachés, et où l’identité de votre avocat ne pourrait pas vous être révélée. Pas plus que les motifs de la décision qui serait rendue.

En substance, la Commission demande à la Cour de juger que les citoyens devraient juste lui faire confiance et renoncer à leur droit à la transparence. Faut-il rappeler toutes les affaires dans lesquelles la Commission européenne a été impliquée à ce jour ? Faut-il aussi rappeler que Mme von der Leyen, présidente des commissions von der Leyen 1 et 2, a acquis 14 168 options d’achat de part dans la société de son mari spécialisée en matière… d’ARN messager… Covid-19 ? La Commission a érodé cette confiance. La transparence est plus que jamais nécessaire.

La Commission fait par ailleurs valoir que le contrôle démocratique de l’identité des négociateurs ne relève pas d’un but d’intérêt public.

Elle avance qu’il s’agirait d’un but d’ordre individuel, car il serait réalisé par des particuliers, ajoutant que ce serait aux seules « autorités compétentes, comme les instances disciplinaires, les autorités de police et les procureurs compétents », de se charger de procéder aux vérifications nécessaires.

« Le Tribunal assume à tort que n’importe quel citoyen peut à tout moment endosser le rôle de “policier informel“ en vue d’investiguer l’impartialité des fonctionnaires dans l’exercice de leurs tâches techniques », soutiennent ses avocats. On nous oppose donc un discours d’entre-soi.

La Commission a manifestement oublié que le principe de transparence fondamental en droit de l’Union est destiné aux citoyens et non pas aux autorités qui, en vertu de leur pouvoir d’enquête, n’ont évidemment pas besoin du principe de transparence pour investiguer.

C’est d’ailleurs souvent grâce à des journalistes ou à des citoyens, des lanceurs d’alerte par exemple, que des scandales sont révélés au grand jour, incitant ensuite les autorités à enquêter et les responsables politiques à mettre en œuvre des mesures pour éviter que de tels événements ne se reproduisent. Dans une démocratie en bonne santé, la transparence est le garant de la responsabilité et de l’intégrité des institutions.

Par ailleurs, l’eurodéputée Virginie Joron a rapporté le 2 octobre que lorsqu’elle a interrogé le procureur européen sur le nombre d’enquêteurs mobilisés pour les contrats d’achat des vaccins Covid et le nombre de perquisitions effectuées, ce dernier a éludé la question et changé de sujet.

Il est d’ailleurs à noter que le parquet européen est structurellement dépendant de la Commission : j’ai identifié une dizaine de dispositions statutaires qui montrent son lien avec celle-ci en application du règlement 2017/1939 sur le Parquet européen. Notamment, le Parquet européen doit rendre compte de son activité à… la Commission, la nomination de ses membres est proposée par… la Commission, ses membres comme son Chef peut être révoqué en Justice à la demande de… la Commission, son budget est établi sous le contrôle de… la Commission, sa comptabilité est vérifiée par… la Commission. En résumé, et comme le dit l’article 103 du règlement, « le Parquet européen établit et maintient une relation de coopération avec la Commission ».

Dans un tel contexte de promiscuité institutionnelle, peut-on imaginer un seul instant que le Parquet européen soit légitimement en charge d’enquêtes relatives à… la Commission ou à sa présidente ?

Non, et ne comptez pas sur les membres des actions collectives que je porte pour renoncer à leur droit à la transparence dans un tel contexte.

Vous avez aussi soulevé l’hypothèse selon laquelle la présidente de la Commission Ursula von der Leyen aurait pu faire partie de l’équipe de négociation des contrats.

Lors de l’audience en première instance, les juges ont mis en exergue un détail intrigant : certains documents désignant les acheteurs mentionneraient un négociateur supplémentaire, lequel disparaitrait dans d’autres documents. Le New York Times ayant révélé l’affaire des SMS entre Mme von der Leyen et le PDG de Pfizer, pourrait-elle être ce mystérieux négociateur supplémentaire et s’il s’agit d’une autre personne, pourquoi les noms restent-ils cachés ? C’est une question que l’on peut se poser.

Si Ursula Von der Leyen était effectivement impliquée dans les négociations, cela soulèverait de sérieuses préoccupations en matière de conflit d’intérêts. Comme on l’a évoqué tout à l’heure, en début d’année 2024, sa déclaration d’intérêts indique qu’elle a acquis 14 168 options d’achat de parts dans Orgenesis, une société dirigée par son mari et spécialisée dans l’ARNm en lien avec le Covid-19.

Quelles sont les prochaines étapes du calendrier procédural et dans quel état d’esprit se trouvent les requérants ?

Nous avons jusqu’au 29 octobre si nous souhaitons répondre à la demande de référé, et un délai de deux mois et dix jours pour fournir une réponse détaillée au pourvoi.

En plus de la réponse au pourvoi, nous allons demander le rejet de la suspension de l’exécution de la décision en première instance demandée par la Commission au travers de son référé, et ce en vue de mettre en exergue auprès du président de la Cour de justice le caractère déraisonnable de son argumentaire.

Par ailleurs, le premier citoyen ayant à faire partie des 2089 requérants représentés en première instance a proposé à la Commission d’être le seul destinataire des noms des négociateurs et de les garder secrets jusqu’à ce que la Cour de justice confirme ou non l’arrêt du Tribunal. De la sorte, la Commission n’a plus aucune raison d’avoir la moindre peur, même irrationnelle.

En parallèle, il est envisageable que nous fassions un pourvoi incident sur les points pour lesquels nous n’avons pas obtenu gain de cause en première instance. Toutefois, je ne le ferai que si les chances de succès sont élevées. Contrairement à la Commission, je ne veux pas m’engager dans une démarche juridiquement fragile. Nous allons également réexaminer attentivement la jurisprudence sur la question des enjeux commerciaux, car, sur certains points, le tribunal de l’UE a peut-être été un peu trop protecteur envers les intérêts commerciaux des fabricants de vaccin.

En tout cas, une chose est certaine : la Commission ne réussira pas à étouffer ce dossier en s’enfonçant dans son opacité. Au contraire, nos clients sont résolument déterminés à ne rien lâcher. C’est si vrai qu’ils seront encore plus nombreux à être représentés devant la Cour. Alors qu’ils étaient 2089 à agir en première instance, grâce aux interventions volontaires ce sont plus de 3000 citoyens qui vont être représentés devant la Cour pour dire “oui” à la transparence.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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