Conversation avec Carlos Moreno : « Le poids culturel de la voiture en France est très lourd »

21 décembre 2017 19:25 Mis à jour: 21 décembre 2017 19:25

Professeur à l’Université de Paris-Sud et d’Evry-Val-d’Essonne, Carlos Moreno a fondé la start-up Sinovia, spécialisée dans la gestion intelligente des systèmes de la ville. Considéré comme l’un des précurseurs du concept de ville du futur, il a participé à Bordeaux en décembre 2017 aux Tribunes de la presse où nous l’avons rencontré.


Vous théorisez depuis de nombreuses années la ville du futur. Cependant, vous parlez peu des campagnes, qui jouent un rôle important en France. Alors que les villes sont toujours plus densément peuplées, ne faudrait-il pas que les gens réinvestissent l’espace rural pour favoriser un développement apaisé des centres urbains ?

En France, 85 % de la population n’occupe que 20 % des territoires. Sur ces 85 %, une grande majorité habite une vingtaine de grands centres urbains qui deviennent des métropoles, comme Paris, Lyon, Marseille, Nantes ou Bordeaux. Inverser cette statistique est difficile. Je suis néanmoins partisan du développement de la République des territoires, c’est-à-dire l’alliance des métropoles avec ces petites et moyennes villes qui peuvent faire tampon face à un grossissement chaotique et incontrôlé des grandes villes.

Il s’agit de développer avec elles des accords qui permettraient de générer de nouveaux circuits économiques, d’agriculture, d’approvisionnement. Et, autour des villes moyennes, développer un écosystème rural qui permette de stabiliser et améliorer la situation.

Dans les grandes villes, on a de plus en plus de mal à circuler ; désengorger les axes routiers devient essentiel. Pour ce faire, doit-on compter sur le contournement de ces axes et sur la complémentarité des transports ?

Ce n’est pas uniquement une question de savoir s’il faut contourner ou pas. On peut faire une route à quatre ou six voies, le problème restera le même : lorsque l’on élargit les voies, il y a des voitures ! Le poids culturel de la voiture en France est très lourd, car il est synonyme de liberté individuelle. Il faut transformer cela et développer le covoiturage.

Le but serait de favoriser l’intermodalité, c’est-à-dire passer du covoiturage au tramway, prendre un vélo, faire de la marche, ou combiner tout cela. Et encourager cette transition grâce à des facilités d’accès et d’utilisation ; de même, soutenir une transition électrique pour abandonner le diesel. Je suis surtout pour la création d’une polycentralité urbaine, c’est-à-dire la possibilité d’être à un quart d’heure du logement, du travail et des loisirs. On aurait plus besoin de faire 50 kilomètres pour aller travailler !

Comment les gens peuvent-ils changer leurs habitudes et réapprendre à vivre collectivement ?

C’est une question de responsabilité sociétale, on doit savoir dans quel monde on veut vivre. Aujourd’hui, en France, on a un phénomène de pics de pollution qui devient de plus en plus soutenu. Le facteur principal est évidemment la vie urbaine. L’homme est producteur de ses propres menaces, c’est ce qu’on appelle l’anthropocène. Si l’on continue sur ce rythme d’émissions de CO2, la survie de l’humanité à l’horizon 2100 n’est pas assurée.

Plus on retarde la prise de conscience, plus nous deviendrons tributaires d’une échéance impossible à contrôler. Il y a un tel effort à fournir que même si l’on change d’avis dans quelques années, il sera trop tard. La machine climatique est en train de s’emballer.

Comment prendre en compte la dimension économique dans ce nécessaire changement d’habitudes ? Ne pensez-vous pas que c’est l’une des raisons principales pour laquelle les citoyens sont rétifs au changement ?

Il n’est pas certain que ce changement soit si coûteux ; et il faut ici analyser le coût global. Avec le phénomène des pics de pollution, par exemple, les gens peuvent souffrir d’asthme cinq ou dix ans plus tard. Le coût de la Sécurité sociale explose et c’est la collectivité qui paie via l’impôt. Ce sont des coûts indirects. Il est donc indispensable de mener un combat culturel pour changer les mentalités, tout en offrant aux gens une authentique qualité de vie.

Il faut donc aller vers des modes de transport alternatifs. Et surtout, se dire que ce n’est pas une honte de rouler à quatre dans un véhicule ! Aujourd’hui, les gens ne veulent plus partager leur voiture ni leur musique avec les autres…


Propos recueillis par Yohann Dessalles et Bastien Munch, étudiants en master professionnel à l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine et Université Bordeaux Montaigne.

François Simon, Maître de conférences hors classe en sciences de l’information et de la communication, Université Bordeaux Montaigne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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