Assignée à résidence, coupée du monde et inculpée à de multiples reprises, l’ancienne dirigeante birmane Aung San Suu Kyi entame samedi son quatrième mois en détention.
La lauréate du prix Nobel de la paix 1991, en bonne santé même si elle a perdu plusieurs kilos d’après ses avocats, n’a pas été vue en public depuis son arrestation lors du coup d’Etat du 1er février contre son gouvernement.
Pressentant le passage en force des généraux, Aung San Suu Kyi, 75 ans, avait exhorté la population à « ne pas accepter » le putsch.
Formé un gouvernement de résistance
Elle a été entendue. Depuis trois mois, malgré une répression sanglante de la junte, des manifestations secouent le pays, une vaste campagne de désobéissance civile – avec des milliers de travailleurs grévistes – paralyse des secteurs entiers de l’économie et des opposants, passés dans la clandestinité, ont formé un gouvernement de résistance.
Dans les rues, de petits groupes de protestataires brandissent le portrait de « Mother Suu » Kyi pour exiger sa libération et les messages de soutien alimentent les réseaux sociaux.
Mais, derrière les murs de la résidence de la capitale Naypyidaw où elle est assignée, l’ex-dirigeante est tenue à l’écart des agitations et des violences.
« Pas accès aux informations et à la télévision »
Elle n’a probablement « pas accès aux informations et à la télévision. Je ne pense pas qu’elle soit au courant de la situation actuelle », relève à l’AFP l’une de ses avocates Min Min Soe.
Près de 760 civils – dont des femmes, des adolescents et des enfants – sont tombés sous les balles des forces de sécurité ces trois derniers mois et quelque 3.500 sont en détention, d’après une ONG locale.
La junte n’a cessé d’intensifier son offensive judiciaire contre Aung San Suu Kyi.
Elle est poursuivie pour six chefs d’accusation, notamment pour avoir violé une loi sur les secrets d’Etat datant de l’époque coloniale, et pourrait être bannie de la politique voire condamnée à de longues années de prison si elle est reconnue coupable.
Elle a aussi été accusée d’avoir perçu plusieurs centaines de milliers de dollars et onze kilos d’or de pots-de-vin quand elle était à la tête du pays, mais n’a pas été inculpée pour corruption.
Ses avocats ne sont pas autorisés à la rencontrer, ne pouvant la voir que lors de rares et brèves audiences judiciaires, et uniquement en visioconférence, très surveillées par les forces de sécurité selon eux.
« Sans recevoir d’instructions de l’accusée, comment pouvons-nous la défendre ? », déplore Khin Maung Zaw qui dirige l’équipe. « Nous sommes très inquiets pour le respect de ses droits ».
Aung San Suu Kyi a déjà passé plus de 15 ans en résidence surveillée après le soulèvement populaire de 1988.
« Irremplaçable » aux yeux des Birmans
Libérée définitivement en 2010, elle remporte les élections cinq ans plus tard.
L’image de l’icône se casse à l’international quand des centaines de milliers de musulmans rohingyas fuient en 2017 au Bangladesh les exactions de l’armée. Elle ne condamne pas le drame et nie « toute intention génocidaire » des militaires.
Certains lui reprochent d’avoir fait trop de compromis, permettant aux généraux de conserver une grande emprise sur le pays et le contrôle de ses principales ressources (mines de jades, de rubis, gaz, pétrole…).
Ces concessions n’ont pas suffi aux militaires: le 1er février, ils évincent Aung San Suu Kyi, alléguant des fraudes aux législatives de 2020, remportées massivement par son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).
« Mother Suu » reste adulée par une majorité de la population, notamment dans les zones rurales.
« Elle est irremplaçable » aux yeux des Birmans, estime Moe Thuzar de l’Institut d’études sur l’Asie du Sud-Est de Singapour (ISEAS-Yusof Ishak). « Même s’ils ne sont pas tous d’accord avec la politique menée par la LND », elle reste « celle qui a incarné le processus démocratique birman pendant toutes ces années » et « la fille du héros de l’indépendance », Aung San assassiné en 1947.
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