ENVIRONNEMENT

Crise de la biodiversité : pourquoi cela nous concerne tous

octobre 25, 2017 15:15, Last Updated: octobre 25, 2017 21:33
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Le changement global que connaît notre planète est trop souvent associé aux seuls changements climatiques. Or il concerne aussi la biodiversité, avec ce processus appelé « crise de la 6ᵉ extinction ».

Ces crises de la biodiversité désignent une période au cours de laquelle une grande partie des espèces vivantes est frappée d’extinction, à l’image de celle du Crétacé-Tertiaire, il y a 65 millions d’années, qui vit disparaître les dinosaures.

Ces dernières décennies, de nombreuses espèces ont donc disparu ou ont été terriblement affectées au point d’être menacées de disparition. C’est ce que l’analyse des populations de 25 000 espèces de vertébrés a récemment établi.

Selon une autre étude, on apprend que l’Europe a perdu 421 millions individus d’oiseaux ces trente dernières années ; de nombreuses espèces communes, comme les alouettes ou les mésanges, sont en fort déclin. Et ces derniers jours, la revue scientifique Plos One a fait beaucoup parler en publiant les résultats de travaux quantifiant pour la première fois le dramatique déclin des insectes volants sur le Vieux Continent.

Pour beaucoup, cette crise de la biodiversité demeure un évènement de moindre importance, dont les conséquences pour les humains resteraient purement éthiques ou patrimoniales. On trouve triste de voir décliner les populations d’éléphants, de baleines, d’oiseaux ou de grenouilles, mais ce n’est pas aussi grave que certains drames humains, comme les famines ou les exodes causés par le changement climatique. C’est ici une lourde erreur car perte de biodiversité et changement climatique sont intimement liés et ont ensemble des conséquences dramatiques pour l’humanité.

En Europe, les populations de mésanges connaissent un fort déclin. (Julie Missbutterflies/Flickr/CC BY-SA)

Une crise bien caractérisée et sans précédent

La 6e extinction de masse affecte pratiquement tous les milieux et toute la biodiversité. Elle s’explique par une multitude de facteurs, tous liés aux activités humaines : changement climatique, dévastation des milieux naturels due à l’agriculture industrielle, déforestation, exploitation minière, urbanisation effrénée, pollutions innombrables des pesticides aux plastiques, en passant par les apports azotés excessifs et la pollution lumineuse. Il apparaît bien difficile d’agir de manière efficace en se limitant à une seule de ces causes.

Cette crise est d’autre part incroyablement rapide. Son appellation, en référence aux extinctions de masse passées, peut être trompeuse de ce point de vue : elle va en effet mille fois plus vite que les précédentes et nous affectera directement à l’échelle de notre vie d’adulte.

Ce sont tous les seuils de stabilité des cycles terrestres qui sont aujourd’hui affectés ; une situation pouvant conduire à des changements de biodiversité très forts et très rapides.

Des réseaux d’interactions essentiels

La biodiversité ne se résume pas à des listes d’espèces peuplant des milieux spécifiques. Chaque espèce dépend de beaucoup d’autres du fait de leurs interactions, au travers de relations de consommation, de prédation, de parasitisme, de mutualisme, ou de commensalisme.

Introduisez, comme ce fut le cas en Australie il y a quelques décennies, des bovins en oubliant d’introduire les insectes coléoptères bousiers coprophages associés et ce sont les prairies qui dépérissent d’être littéralement recouvertes de bouses.

Laissez-vous envahir par un charançon exotique et 10 000 palmiers meurent sur la Côte d’Azur en moins de 10 ans. Supprimez un tiers des abeilles sauvages en France et la pollinisation de 80 % des plantes, y compris celles de nombre de nos cultures, sera gravement affectée.

C’est une évidence absolue que la perte d’espèces en proportions considérables (selon les groupes d’organismes, de 10 à 40 % dans les 50 prochaines années) aura des effets écologiques très forts et des conséquences immédiates sur notre vie quotidienne.

Les réseaux d’interactions entre espèces au sein des écosystèmes sont incroyablement complexes et leur modélisation reste un problème scientifique de longue haleine. Le nombre d’espèces intervenant au sein de ces réseaux naturels est considérable : la faune française compte par exemple pas moins de 90 000 espèces d’insectes dont les rôles écologiques sont souvent primordiaux.

Toutes les espèces comptent

Une autre idée reçue nuit à l’appréhension des effets de cette crise de la biodiversité : les écosystèmes ne sont pas uniquement régis par quelques espèces abondantes et communes dont il serait plus facile de préserver l’existence. Les espèces rares – et précisément plus fragiles du fait de leur rareté – assument souvent des rôles écologiques majeurs malgré leur faible importance numérique. Leur disparition ne passera ainsi pas inaperçue au plan fonctionnel.

Un bilan publié en 2013 – prenant en compte différents types d’écosystèmes et plusieurs milliers d’espèces – a montré que des fonctions originales et importantes sont ainsi fréquemment tenues par des espèces rares.

Il est souvent difficile de faire comprendre ce type de résultats peu compatibles avec notre vision dominante de l’ingénierie agronomique, dans laquelle l’homme pense pouvoir gérer durablement des systèmes simplifiés, notamment agricoles ou forestiers, avec un interventionnisme permanent.

L’étude cite ainsi l’exemple d’une petite plante (saxifrage) des milieux alpins européens, assez rare et très discrète. Cette dernière permet aux pollinisateurs de se maintenir sur des affleurements rocheux inhospitaliers. En maintenant ces pollinisateurs naturels et leurs espèces associées, on évite une cascade d’interventions coûteuses, polluantes et peu pérennes.

Saxifrage en Vanoise. (Wikipedia)

Une synthèse récente a examiné environ 2 000 études scientifiques à propos des relations entre biodiversité et sociétés humaines. Elle a permis de montrer que les pertes de biodiversité aboutissent toujours à des diminutions importantes de services écosystémiques, comme la décomposition, les cycles de la matière, l’assainissement des eaux, la régulation climatique ou la pollinisation.

Perte de biodiversité et dégradation du climat

On souligne souvent cet enchaînement fatal des causalités : émissions/perturbations humaines conduisant au changement climatique provoquant une perte de biodiversité, cette dernière causant elle-même des dommages aux sociétés humaines.

Mais cela fait abstraction d’une boucle de rétroaction extrêmement importante et trop peu mentionnée : celles de la biodiversité sur le climat.

Or, envisager la planète comme un système purement physique et minéral dans lequel la biodiversité est hébergée – n’assurant pas elle-même de rétroaction fonctionnelle ou régulatrice sur celui-ci – est une représentation complètement erronée de la réalité.

La couverture végétale et le sol assument, par exemple, un rôle crucial de régulation climatique directe, outre le stockage et le recyclage du carbone. La déforestation entraîne ainsi la disparition locale définitive des nuages et des pluies. La composante biologique des océans (notamment le plancton) absorbe également une quantité de carbone considérable : on rappellera ainsi que plus d’un quart du CO2 émis par les activités humaines est absorbé par les océans.

Les synthèses citées ici ont montré que les pertes de biodiversité conduisaient à de fortes baisses de performances dans les écosystèmes, jusqu’à hauteur de 10 à 15 % de leur productivité.

Une couverture végétale terrestre ou des peuplements planctoniques marins, tous appauvris ou profondément déséquilibrés, n’assureront pas en effet leurs fonctions régulatrices avec la même efficacité. Sans compter que d’énormes surfaces de cette couverture végétale – comme les forêts tropicales – continuent à être rapidement dévastées.

La crise de la 6e extinction n’est pas qu’une préoccupation pour les défenseurs des droits des animaux ; elle nous concerne tous. Au-delà des aspects éthiques évidents d’une telle catastrophe, les conséquences dans notre vie quotidienne seront importantes et sans aucun doute profondément négatives.

 

Philippe Grandcolas, Directeur de recherche CNRS, systématicien, UMR ISYEB, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités et Roseli Pellens, Ingénieure de recherche en macroécologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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