La roue tourne. Deux ans après sa trahison envers la France, l’Australie, qui doit retirer du service d’ici à 2038 ses sous-marins de la classe Collins, est dans l’impasse. Washington et Londres, vers qui Canberra s’était finalement tourné en septembre 2021 pour acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire dans le cadre d’un accord tripartite, ne seront pas en capacité de tenir leurs délais. Coup du sort, la marine australienne risquant désormais de se retrouver en rupture capacitaire, Paris pourrait être de nouveau sollicité dans la construction de bâtiments au cœur du programme de défense australien visant à contenir Pékin.
L’information était déjà publique depuis deux ans et demi. Dans un rapport publié fin juillet 2022, le Congrès des États-Unis soulignait déjà que l’allié australien ne pourrait pas compter sur la livraison d’un seul sous-marin américain à propulsion nucléaire avant au moins 2040, l’industrie de défense du pays se trouvant déjà aux limites de sa capacité de production pour les besoins de l’US Navy. La faute à une croissance des coûts, à une pénurie des pièces de rechange et à des retards de maintenance. Même topo du côté du Royaume-Uni : il faudrait attendre la fin des années 2030.
Coup dur donc, puisque le renouvellement de la flotte de sous-marins diesel, pièce maîtresse de la stratégie de l’ile-continent pour contrecarrer les velléités chinoises sur Taïwan à l’aube de la décennie 2040, doit impérativement s’effectuer avant 2038. Ses sous-marins, en fin de vie, seront alors mis au rebut.
« L’Australie doit acheter 12 sous-marins nucléaires français », selon l’ASPI
Face à ce danger pour la sécurité nationale, le groupe de réflexion Australian Strategic Policy Institute (ASPI), dans une note mise en ligne le 5 décembre, propose donc une solution aux allures de coup de théâtre : renoncer à acheter les sous-marins nucléaires américains et britanniques, et se retourner vers… la France.
« L’Australie devrait commencer à planifier l’acquisition d’au moins 12 sous-marins français de type Suffren. Le projet actuel d’Aukus, qui prévoit huit sous-marins nucléaires d’attaque, a toujours été imparfait et les risques s’accumulent désormais, explique ainsi l’influent think tank financé par le gouvernement australien. Nous devons être prêts à abandonner le projet d’achat de sous-marins dans le cadre de l’Aukus : trois aux États-Unis (de classe Virginia), dont les livraisons par Washington sont de moins en moins probables, et cinq qui sont censés être construits selon un modèle britannique surdimensionné et qui ne pourront probablement pas arriver à temps. »
Pour Peter Briggs, spécialiste des sous-marins à la retraite et ancien président du Submarine Institute of Australia, qui a rédigé ce texte, Canberra devrait acheter le sous-marin nucléaire – et non plus diesel – de classe Suffren, car « ce modèle offre des capacités adéquates pour les besoins de l’Australie ». Et le plus tôt serait le mieux : « Pour que les livraisons puissent commencer dès 2038, le gouvernement australien élu l’année prochaine devrait s’engager à décider en 2026 s’il passe ou non au modèle français ».
« Un coup dans le dos »
Ce scénario, s’il venait à se concrétiser, marquerait en France un sacré retournement de situation. En avril 2016, l’Élysée se félicitait d’un contrat « historique » de 90 milliards de dollars australiens (56 milliards d’euros) pour la fourniture de 12 sous-marins conventionnels Suffren, « les plus sophistiqués du monde », selon les termes du Premier ministre australien de l’époque, Malcolm Turnbull. La mise en service du premier bâtiment était alors prévue en 2030, soit dans les temps avant la mise à l’arrêt des sous-marins Collins.
Cependant, « ce contrat du siècle » avec Naval Group, Scott Morrisson, une fois au pouvoir, a décidé de le torpiller sans préavis, le 15 septembre 2021. Au cours d’une allocution conjointe avec Joe Biden et Boris Johnson, il annonçait y mettre fin au profit d’une nouvelle alliance formée par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni : Aukus.
« Une décision brutale », « un coup dans le dos », s’était étranglé le ministre des Affaires étrangères de l’époque Jean-Yves Le Drian, n’hésitant pas à affirmer que l’administration de Joe Biden avait volé ce contrat : « Je suis en colère, ça ne se fait pas entre alliés ».
Crise diplomatique
La veille, le président américain avait réservé quelques mots en direction de Paris pour tenter de faire passer la pilule : « La France est un partenaire clé et un allié dans le renforcement de la sécurité et de la prospérité de la région. Les Etats-Unis ont hâte de travailler étroitement avec la France ». En vain. Impossible pour l’Élysée de rester sans réagir.
Aussi, pour la première fois de son histoire, la France rappelait-elle son ambassadeur aux États-Unis. Pour une semaine : après un échange téléphonique avec son homologue américain, le 22 septembre, Emmanuel Macron avait tôt fait de se rabibocher avec le démocrate et ordonnait le retour du représentant français à Washington, les deux chefs d’État estimant dans un communiqué commun « que des consultations ouvertes entre alliés sur les questions d’intérêt stratégique pour la France et les partenaires européens auraient permis d’éviter cette situation ».
L’ambassadeur français en Australie, rappelé à Paris en même temps que son homologue américain, était pour sa part rentré à Canberra au début du mois d’octobre 2021. Glaciales, les relations entre les deux pays vont, elles, rester au point mort jusqu’à l’élection du Premier ministre Anthony Albanese. Pour apaiser les tensions, le travailliste a négocié avec Naval Group un accord de dédommagement de 555 millions d’euros, ce qui représente toutefois moins de 1% de la commande australienne à l’Hexagone. Au total, cette rupture de contrat aura coûté environ 3,7 milliards d’euros au contribuable australien, dont le pays pourrait, au final, se retrouver dépourvu de flotte sous-marine pendant une période transitoire dont la durée exacte est encore inconnue.
Une confiance franco-australienne brisée ?
Alors l’Australie pourrait-elle renouer un partenariat avec la France pour une acquisition de 12 sous-marins nucléaires Suffren ? « Joli rêve, mais ça n’arrivera pas. Et franchement, je ne pense même pas qu’on devrait le proposer. Trop risqué en termes de revirement. Trop de risques que Washington fasse casser l’affaire dans 5 ou 10 ans », tranche sur X, Stéphane Audrand, historien et consultant en risques internationaux. Ce dernier prend pour exemple la méfiance de Naval Group dans le cadre de l’éventuel prochain « contrat du siècle » pour l’industrie navale, cette fois-ci avec le Canada, qui souhaite se doter de 12 marins à propulsion classique.
Si le Suffren correspond aux attentes canadiennes, à ce jour, le constructeur militaire français n’a toutefois pas encore pris part à l’appel d’offres. Le risque de se retrouver à nouveau piégé inquiète. Indépendamment du cas australien, comme le rappelle à BFM Business Louis Le Pivain, ancien cadre de Naval Group et vice-président du Groupement des industries de construction et activités navales dans le Magazine des ingénieurs de l’armement, le Canada avait lui aussi trahi la France en 1989, annulant à la dernière minute un contrat de 12 sous-marins nucléaires de type Améthyste, sous pression de Washington.
Et même si l’on retire de l’équation les risques de manœuvres américaines sur la négociation d’un nouveau contrat, il n’est pas certain que la France soit disposée à accorder sa confiance pour la construction de ces bâtiments sur l’île-continent.
Dans son livre-enquête paru en juillet dernier, le journaliste australien Andrew Fowler révèle que les Australiens ont signé un accord avec Naval Group, car, en réalité, ils comptaient… s’emparer du système de propulsion de l’industriel français, avant de rompre le contrat, puis de construire eux-mêmes leurs sous-marins. « Ceux de Naval Group ont la particularité d’être très silencieux, un avantage presque unique au monde que l’Australie a cherché à dérober », détaille Le Point.
Finalement, à l’aide d’une rhétorique anti-française, d’une mise en garde contre une prétendue explosion des coûts, et d’un discours axé sur un risque d’invasion chinoise, Scott Morrison a tout bonnement saboté le méga-contrat avec Paris au profit de sous-marins nucléaires Aukus. Problème, le nouveau contrat liant Washington à Canberra n’a rien de contraignant : les États-Unis anticipant déjà d’importants retards de livraison afin de prioriser les besoins de leur propre flotte militaire, l’Australie, faute d’alternative d’ici à 2038, risque désormais de voir sa stratégie navale de défense tomber à l’eau.
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