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Dans la «petite Arménie» française, la crainte d’une Histoire qui se répète

octobre 6, 2023 14:30, Last Updated: octobre 6, 2023 14:39
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Dans le centre d’Alfortville, surnommée la « petite Arménie » française, une stèle célèbre la « mémoire » des « victimes du génocide » arménien de 1915. Une tragédie ayant emporté les ancêtres de nombreux habitants de cette ville proche de Paris, dont beaucoup craignent la répétition après les évènements au Haut-Karabakh.

Arax Der Kevorkian, 44 ans, incarne cette histoire douloureuse. Ses aïeux sont des survivants du génocide commis par l’Empire ottoman, qui tua jusqu’à 1,5 million d’Arméniens en 1915-1916. « Mon arrière-grand-mère m’a raconté des histoires de viols, de femmes enceintes qu’on éventre », dit-elle à l’AFP. Elle-même, devenue directrice de la Maison de la culture arménienne d’Alfortville, a fait partie en 2018 d’une délégation au Haut-Karabakh dont l’objectif était de sceller une « charte d’amitié » entre sa commune et le village de Berdzor.

« C’était une terre arménienne », affirme-t-elle, éplorée, tout en regardant des photos prises lors de ce voyage. Et de se désespérer, tout en mentionnant des exactions commises selon elle par la partie azerbaïdjanaise : « J’entends les mêmes choses aujourd’hui. Pour nous, c’est comme revivre ce qui a été vécu. » Alors qu’Erevan dénonce un « nettoyage ethnique » après l’exode forcé de plus de 100.000 Arméniens du Karabakh, ce que réfute formellement l’Azerbaïdjan, Alfortville, qui entretient « une relation presque charnelle » avec l’Arménie, selon son maire Luc Carvounas (socialiste), s’inquiète au diapason.

45.000 habitants d’origine arménienne

La ville s’est en effet « construite avec des milliers » d’émigrés arméniens fuyant le génocide, dans les années 1920, explique l’édile. Beaucoup travaillaient alors dans les usines alentour. Ils formèrent leur propre quartier à Alfortville, dont 6000 à 7000 des 45.000 habitants aujourd’hui sont d’origine arménienne. Chaque année, la commune, qui compte des écoles bilingues, une église apostolique ou encore une radio communautaire, est l’une des rares en France à commémorer le génocide de 1915.

Alfortville fut aussi en 2020 la première ville française à reconnaître la République autoproclamée d’Artsakh, le nom arménien du Haut-Karabakh, une région largement peuplée d’Arméniens, qui proclama son indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991 après la chute de l’URSS, avec le soutien de l’Arménie. Les séparatistes du Haut-Karabakh, jamais reconnus internationalement, s’opposèrent trois décennies durant à Bakou, notamment durant deux guerres sanglantes (1988-1994 puis automne 2020), pour finalement être défaits par une offensive éclair des forces azerbaïdjanaises il y a quelques semaines.

« Il faut absolument que cela s’arrête, parce qu’on sait aujourd’hui que ce n’est pas seulement l’Artsakh qui est attaquée, mais aussi l’Arménie », s’indigne Arax Der Kevorkian, en référence aux prétentions territoriales de Bakou sur une partie de son pays d’origine. Depuis peu, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev qualifie ainsi le Sud arménien d’« Azerbaïdjan occidental ». En février 2018, il allait même beaucoup plus loin. « Erevan est notre terre historique », affirmait-il lors d’un congrès. « Nous Azerbaïdjanais devons retourner sur nos terres historiques. »

« Génocide en cours »

Des propos nourrissant les craintes d’Erevan que l’histoire se répète. En juillet dernier, deux mois à peine avant l’offensive victorieuse de Bakou, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian dénonçait un « génocide en cours » mené par l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh. Ces mots trouvent un écho fort à Alfortville. Agnès Kechichian, auxiliaire de puériculture de 34 ans rencontrée par l’AFP devant un commerce arménien, dit ressentir « de la tristesse » et de la « colère face aux Azerbaïdjanais qui vont en fait exterminer tout un peuple ».

Vilma Kouyoumdjian, née à Istanbul et enseignante d’arménien occidental à la Maison de la culture arménienne (MCA), estime de son côté que « pour tous les Arméniens, le génocide n’a pas pris fin ». « Que ce soit en Turquie ou en Azerbaïdjan, ils nomment leurs rues avec des génocidaires », avance-t-elle dans une salle de classe du sous-sol de ce grand pavillon, où l’alphabet millénaire de ce dialecte classé « langue en danger » par l’Unesco est épinglé sur les murs blancs.

Le génocide arménien a été reconnu par de nombreux historiens et une trentaine de pays, mais pas par l’Azerbaïdjan ou la Turquie, celle-ci admettant des massacres mais récusant le terme de génocide. Michèle-Archalouïs Sarkissian, dont les deux grands-pères étaient originaires de l’ancien village arménien de Tchenguiler près d’Istanbul et rescapés du génocide, a écrit un livre : Les Arméniens d’Alfortville. Se basant sur l’histoire de son peuple, elle craint également le pire pour l’Arménie. « Ici, nous sommes beaucoup à être issus d’Anatolie, remarque-t-elle. Et notre Arménie qui a depuis disparu, elle était en Turquie. »

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