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Dans la ville yéménite de Hodeida, la nourriture comme arme de guerre

janvier 28, 2019 10:28, Last Updated: janvier 28, 2019 14:36
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Les silos à grains renvoient l’écho de tirs: dans la ville portuaire de Hodeida, dans l’ouest du Yémen en guerre, un important stock de blé reste inaccessible à la population menacée de famine, malgré une trêve entre le gouvernement et les rebelles.

Les « Minoteries de la mer Rouge » contiennent suffisamment de blé pour nourrir près de quatre millions de personnes pendant un mois. Mais depuis septembre, les organisations humanitaires n’y ont pas accès. Et le cessez-le-feu conclu en décembre sous l’égide de l’ONU entre les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran et le gouvernement yéménite, soutenu militairement par une coalition conduite par l’Arabie saoudite n’y a rien changé.

La façade des Minoteries, calcinée et couverte d’éclats d’obus, souligne à quel point la nourriture est devenue une arme de guerre au Yémen. Le site, à la périphérie est de Hodeida, a été contrôlé jusqu’en novembre par les Houthis, puis les forces pro-gouvernementales soutenues par les Saoudiens et les Emiratis s’en sont emparées, avant l’entrée en vigueur de la trêve le 18 décembre. Les minoteries auraient été lourdement minées par les Houthis, selon la coalition et des ONG.

Lors d’un voyage de presse organisé par la coalition militaire menée par l’Arabie saoudite, un journaliste de l’AFP a vu des combattants pro-gouvernementaux, dont des soldats soudanais membres de la coalition anti-rebelles, examiner les lieux avec des détecteurs de métaux.

Ces forces affirment craindre que des rebelles n’entrent en douce sur le site pour y poser des explosifs. Une colonne de fumée s’élève dans le ciel depuis des positions rebelles, à moins d’un kilomètre et demi. Les loyalistes soutiennent que les insurgés brûlent des pneus pour les provoquer.  Puis une rafale de coups de feu retentit à travers la minoterie sans qu’il ne soit possible de déterminer qui tire.

« Nous sommes attachés à la trêve, mais l’ennemi ne s’est engagé à rien comme vous pouvez le voir et l’entendre », accuse un commandant yéménite loyal au gouvernement, Mohammed Salmane, depuis un dépôt dont le toit est constellé de trous de balles. Vendredi, juste après la visite organisée par la coalition pour les journalistes, l’ONU a indiqué qu’un incendie, apparemment causé par des tirs de mortier, avait endommagé deux silos de cette minoterie.

« La perte de ce blé arrive à un moment terrible », a déploré Lisa Grande, coordinatrice de l’ONU pour l’aide humanitaire, soulignant que « plus de 20 millions de Yéménites, soit près de 70% de la population totale, ont faim ».  Hodeida, point d’entrée de plus des deux tiers des importations alimentaires et de l’aide humanitaire internationale, est devant un choix difficile: une trêve imparfaite avec des violations de la part des deux parties au conflit, ou une guerre totale qui pourrait déclencher une famine.

Le cessez-le-feu est intervenu après des pressions occidentales sur l’Arabie saoudite, priée de mettre fin à sa campagne militaire au Yémen au moment où le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, admis par Ryad, a braqué l’attention sur le royaume. Mais avec les violations répétées, l’effondrement de la trêve à Hodeida pourrait n’être qu’une question de temps.

« Si on laisse la trêve s’effondrer, il n’y aura pas d’opportunité pour un accord similaire avant longtemps », a averti l’International Crisis Group, un centre de réflexion sur les conflits. A Hodeida même, une seule phrase revient chez les civils comme chez les militaires: « mafi houdna » dont la traduction est « pas de trêve ».

Le colonel Saeed Salmeen, commandant émirati dans cette région, dit à l’AFP que ses hommes sont engagés à respecter le cessez-le-feu mais qu’ils sont « toujours prêts » à la bataille. Il avertit que la route côtière au sud de Hodeida, essentielle pour l’approvisionnement de ses troupes, est une « ligne rouge ».

L’ONU estime que malgré les violations, la trêve tient de manière générale, les deux parties n’ayant pas cherché de nouveaux gains territoriaux. Mais un redéploiement des forces rivales, une mesure de confiance programmée pour le 7 janvier, n’a pas eu lieu en raison de la méfiance réciproque.  « Combien de temps la communauté internationale peut-elle accepter le jeu des Houthis », s’interroge un membre de la coalition qui accuse les rebelles d’utiliser la trêve pour renforcer leurs positions.

« Ce n’est qu’en les attrapant par le cou qu’ils viendront à la table des négociations », affirme-t-il à l’AFP sous couvert d’anonymat. D’autres militaires de la coalition dirigée par les Saoudiens voient aussi l’option militaire comme seule solution, même si elle aboutit à un bain de sang.

Mais la trêve a donné au Programme alimentaire mondial (PAM) « une certaine marge de manœuvre » pour atteindre des quartiers du sud de Hodeida qui étaient auparavant inaccessibles en raison des combats, souligne auprès de l’AFP son directeur pour le Yémen Stephen Anderson.

Toutefois, 51.000 tonnes métriques de blé, soit le quart de la capacité de stockage du PAM au Yémen, restent enfermées dans les « Minoteries de la mer Rouge ». « Nous avons essayé d’y accéder, mais (j’ai entendu dire que) les Houthis ne nous permettent pas d’aller à la minoterie », a déclaré le chef du PAM David Beasley dans une interview à Davos (Suisse). « C’est donc quatre pas en avant, deux en arrière, mais je reste prudemment optimiste ».

« Les Minoteries de la mer Rouge sont un levier utilisé de la manière la plus machiavélique par tous les belligérants pour atteindre des objectifs politiques », estime Wesam Qaid, directeur de Small and Micro Enterprise Promotion Service, une ONG yéménite. « Celui qui contrôle de telles installations pourra davantage décider qui sera nourri ou non. La nourriture est (devenue) une arme » de guerre.

D.C avec AFP

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