Cernes sous les yeux, Tony Martin se réchauffe près d’un brasier de pneus, devant l’usine sucrière Tereos d’Escaudoeuvres, dont il bloque l’entrée au côté d’autres salariés, avec une seule certitude: « dans trois mois, on est dehors ».
Le site historique du groupe, propriétaire de Béghin Say, qui fabrique du sucre à partir de betteraves, devait bientôt fêter ses 150 ans dans cette bourgade du Nord de 3.300 habitants. Mais mercredi, la direction a annoncé sa fermeture d’ici la mi-juin, et la suppression de 123 postes.
Selon le géant sucrier, ils pourraient être répartis sur d’autres sites. Tony Martin, cuiseur de 32 ans, se voit pourtant déjà « au chômage » l’été prochain, après 13 ans de bons et loyaux services. « C’est injuste, mais on ne peut que subir », lance-t-il la mine défaite et les traits fatigués.
C’est aussi un peu de leur vie qui disparaît
Depuis l’annonce, des salariés de la sucrière, gilets jaunes réfléchissants sur le dos et casques de chantier blancs sur la tête, se relaient devant l’entrée, bloquée par un tracteur. Sur un drap accroché aux grilles, un slogan : « Non à la fermeture de l’usine ».
« Rien ne rentre, et rien ne sort. On va se battre », gronde Adrien Fené, chaudronnier et secrétaire CSE CGT, non loin d’un imposant silo contenant près de 40.000 tonnes d’or blanc. Il entend bien défendre « sa famille » mais aussi le site, qui fait la fierté de sa petite « cité du sucre ». « Mon père a travaillé ici, et moi j’y viens depuis que je suis enfant. Dans le village, tout le monde connaît un sucrier », glisse-t-il.
Une situation aussi triste qu’inattendue
Venu parlementer avec la direction, Nicolas Siegler, président (droite) de l’agglomération de Cambrai, estime que « 400 emplois directs et indirects vont potentiellement disparaître ». Une situation « crève coeur » mais aussi inattendue, selon lui, Tereos ayant investi « plus de 60 millions d’euros en cinq ans » dans le site, l’une des neuf sucrières du groupe en France, et la dernière du département.
Selon le sucrier, le choix de fermer Escaudoeuvres est essentiellement dicté par une « réduction durable » de la production de betteraves en 2023-24, avec, dans le secteur d’Escaudoeuvres, une baisse des surfaces emblavées supérieure à 10%.
Les raisons invoquées
La Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) pointe « l’interdiction des néonicotinoïdes » comme la principale explication à cette baisse des surfaces. Dans les Hauts-de-France, terre betteravière par excellence, les surfaces cultivées ont diminué de 20% depuis 2018, chiffre-t-elle.
Venue soutenir les salariés, Maryse Treton, de la fédération CGT agroalimentaire, déplore pour sa part « des emplois sacrifiés au nom de la rentabilité financière ». « Aujourd’hui, Tereos vend son sucre 1.000 euros la tonne, lorsqu’on sait qu’une sucrerie est rentable à partir de 340 euros la tonne », pointe-t-elle.
Incompréhension du côté du ministère de l’Agriculture
Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a appelé jeudi le sucrier à ne laisser aucun des salariés menacés « sans solution ». Il a aussi critiqué le choix de Tereos de fermer une usine dans « une zone de production de betteraves moins touchée que beaucoup d’autres par la jaunisse en 2020 ».
A l’instar des salariés de la sucrière, Jean-Paul Derchef, exploitant dans le secteur de Comines à la frontière belge, a appris mercredi la nouvelle, lui qui fournissait depuis des années le site voué à la fermeture. Ses betteraves seront réorientées vers d’autres usines, lui a-t-on dit.
Mais cela ne le rassure pas : « on nous demande de produire français et on est en train de laisser s’échapper le sucre de notre pays », déplore ce betteravier de 63 ans. Il prévoit de basculer, à terme, sur la culture de légumes. Comme des voisins et collègues, qui « arrêtent ou ralentissent » la culture betteravière.
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